Des jardins d’insertion pour l’insertion socio-professionnelle des détenus dans la région wallonne
Retour sur l’expérience des Jardins du Lien
Pascale Thys, September 2001
Pour faire écho au projet de Jardin du lien, cette fiche propose de s’intéresser à ce qui se passe dans la région wallonne et ce qui pourrait y être reproduit.
Ce projet de jardin s’est appuyé sur un partenariat entre divers acteurs publics et privés et a permis à un public exclu (des détenus) de répondre à une demande d’un quartier défavorisé (aménagement d’une friche non sécurisante dans un quartier de tours d’habitations sociales). L’aménagement réalisé est durable et créateur de lien social entre les habitants du quartier.
Exemples des actions mises en œuvre dans la région wallonne
Il n’existe pas de partenariat de ce type en Région wallonne. Par contre il y a de nombreuses ressources et des expériences qui sont menées séparément au niveau des jardins et des prisons.
Des jardins comme outils d’insertion socio-professionnelle
Diverses expériences d’utilisation du maraîchage comme outil d’insertion socioprofessionnelle existent à l’initiative de certains Centre Public d’Aide Sociale (CPAS) -comme ceux de Namur (projet maraîchage comme outil d’insertion) et de Liège (voir ci-après), par exemple-, d’autres pouvoirs publics ou encore de privés. La Ligue des Coins de Terre et des Jardins Familiaux, créée en 1896, est le plus ancien acteur en matière d’insertion par l’horticulture. Ses principaux objectifs étaient, entre autres, de permettre aux ouvriers et aux famille de « changer d’air », de lutter contre l’alcoolisme, d’apporter un complément alimentaire1…
Le CPAS de Liège, via la ferme de la Vache a créé un jardin collectif qui permet la redynamisation et la resocialisation de personnes par le travail de la terre et le développement communautaire du quartier, des jardins familiaux pour personnes à revenus modestes et diverses activités comme des tables d’hôtes, des ateliers de cuisine…
S’inspirant des Jardins de Cocagne français, le CPAS de la Louvière projette de créer un jardin d’insertion sur le site du domaine des étangs de Strépy. L’objectif du projet est de « combiner l’insertion sociale et professionnelle de personnes en difficulté, la protection de l’environnement, le développement local à travers une économie solidaire et responsable ». Il s’agit de créer une Entreprise de Formation par le Travail (EFT), indépendante du CPAS, qui offrira aux bénéficiaires du minimex et de l’aide sociale, une formation pratique et théorique à la culture et à l’élevage biologique. Un système de parrainage sera organisé, de même que l’accompagnement social sera pris en charge par le CPAS.
Des collaborations seront établies avec les producteurs locaux et les éleveurs. Dans un premier temps les légumes récoltés seront vendus par panier d’abonnement : les adhérents (personnes qui versent une cotisation) recevront chaque semaine un assortiment de légumes de saison. Les légumes seront gratuit pour les personnes en formation. Ce système est déjà bien développé aux Pays Bas et en Flandre. Le projet devrait se développer sous différentes formes : diversification des légumes et herbes, vente sur le marché, élevage de petits animaux, hébergement, ferme pédagogique…
Dans la même commune, des femmes de la Cité jardin de Saint-Vaast cultivent leurs légumes sur un terrain mis à leur disposition par la ville (dans le cadre du Plan Social Intégré). L’atelier menuiserie du Forem (service public wallon de l’emploi et de la formation) a réalisé les abris. Cette expérience crée des échanges interculturels, inter-générationnnels…
La Cellule Parcs & Jardins de la Province de Namur soutient et initie divers projets, notamment des colloques (comme celui sur « Les jardins de la solidarités » en 1999), des jardins d’école, des expositions, des projets de réhabilitation, d’embellissement et de fleurissement au sein des communes (38 communes y ont participé en 2000), des actions d’habitants (projet Quartier de Vie du quartier des Balances).
Dans le cadre des jardin de maraîchage et d’insertion2, la Cellule projette de :
-
organiser des formations très ciblées répondant aux demandes des personnes travaillant aux projets d’insertion par le maraîchage ;
-
créer un réseau des acteurs de jardins de maraîchage et d’insertion.
La Cellule a recensé près d’une dizaine de projets de jardins de maraîchage et d’insertion dans la Province de Namur.
L’insertion des détenus
Des formations sont organisées à l’intention des personnes détenues. Comme par exemple des formations en bâtiment (prison de Jamioulx), en horticulture (prison de Marneffe), mécanique auto (prison de Verviers), maçonnerie (prison de Lantin). Les formations sont dispensées par différents opérateurs comme, par exemple, la promotion sociale, l’aide sociale aux justiciables, Lire et Ecrire … Les différents organismes qui dispensent les formations sont regroupés au sein de la FAFEP - Fédération des Associations de Formation et d’Éducation permanente en Prison. Celle-ci édite une brochure qui présente les opérateurs et l’offre des formations disponibles par prison. De bonnes formations sont dispensées, mais l’offre est maigre.
Les organismes qui organisent des activités de formation en prison doivent faire face à quelques problèmes dus, entre autre, au problème de surpopulation (en 2000, 8500 personnes étaient incarcérées alors que la capacité globale était de 7.502 places3), aux transferts entre prisons, au manque de ressources humaines, de moyens financiers, à certaines autorités pénitentiaires qui ont peur de s’ouvrir à l’extérieur, aux différences de statuts (par exemple, les détenus qui ne peuvent pas du tout sortir)…
Pour Alain Harford de l’Organisation pour l’emploi des délinquants (OED), n’y a pas de réelle politique de réinsertion où les prisonniers puissent dès le début de leur incarcération suivre un parcours d’insertion. Alors qu’il n’est possible de donner un maximum de chances de réinsertion qu’en créant un maximum de ponts atténuant progressivement la coupure qui existe entre prison et société.
Créée en 1998, l’OED est un réseau qui soutient et suscite toute initiative qui peut permettre de développer de meilleures perspectives de formation/emploi pour les (ex)-délinquants4 et, ainsi, diminuer la délinquance individuelle et la criminalité dans son ensemble. Il est composé d’une centaine d’experts issus de tous les secteurs (agence conseil en économie, employeurs, avocats, services d’aide sociale, …).
L’OED effectue, notamment un travail de lobbying pour influencer les législations en matière d’insertion sociale et professionnelle et apporte assistance et expertise. Elle assiste les associations qui s’occupent de programme d’insertion et élabore des stratégies pour que les employeurs engagent des ex-détenus5.
L’OED charge, en collaboration avec la région wallonne, des agences conseils (Agence conseil 2001), l’administration pénitentiaire et de nombreux partenaires économiques et sociaux, … à relever le défi de réinsérer efficacement les (ex)délinquants grâce à la création, en milieu pénitentiaire, de structures d’économie sociale.
Par exemple, l’OED collabore à un projet pilote d’économie sociale en partenariat, entre autre, avec le centre de détention de Saint Hubert, l’administration pénitentiaire, le Forem, le FSE, l’asbl Défi et Valbois RN et en concertation avec les marchands de bois locaux. Il s’agit d’un projet en deux volets. Le premier est la mise sur pied d’une Entreprise de Formation par le Travail qui organisera des formations en sylviculture et en bûcheronnage. Concernant le deuxième volet, il s’agit d’une entreprise d’économie sociale de découpe du petit bois (le travail du petits bois n’étant pas rentable pour les exploitants) pour le transformer en divers matériaux comme, par exemple, en tuteurs de jardins. Les salaires proposés correspondront aux conventions paritaires du secteur. Le personnel sera partie prenante dans le projet puisqu’il est proposé de s’appuyer sur leurs compétences et leur savoir faire en la matière.
Éléments à reproduire issus du Jardin du Lien à Tourcoing
Apparemment, tous les éléments pour se servir des idées développées par l’expérience française sont disponibles en Région wallonne. Il y a des opérateurs de formations de détenus, des expériences de jardins d’insertion, des habitants de cités prêts à développer des projets, des possibilités de financement pour ce genre de projet…
Formation des détenus
Une recommandation adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, en 1989, stipule que « tous les détenus doivent avoir accès à l’éducation, qui devrait englober l’instruction de base, la formation professionnelle, les activités créatrices et culturelles, l’éducation physique et les sports, l’éducation sociale et la possibilité de fréquenter une bibliothèque ; (…) il faudrait mettre en place des programmes de perfectionnement pour assurer que les éducateurs des prisons adoptent des méthodes d’éducation appropriées aux adultes ».
Les détenus sont reconnus comme un des groupes cibles qui peuvent bénéficier des budgets européens (FSE, Leonardo, …). Par exemple, un des volets du PIC (Programme d’Initiative Communautaire) Emploi, porte sur l’insertion socioprofessionnelle de publics vulnérables ou exclus du marché du travail ou qui risquent de l’être et il finance certains projets. Ce programme a permis, par exemple, l’engagement d’une coordinatrice et de deux assistantes sociales pour encadrer les formations à la prison de Lantin. Ou encore le projet Avanti del’ORS (Office de réadaptation sociale) qui a établi un partenariat avec la Chambre syndicale et interprofessionnelle de la construction6.
Un travail de comparaison des programmes de réinsertion des détenus dans les pays de l’Union européenne a été effectué par le Forum européen pour l’emploi des délinquants (le FEED s’est créé en 1993). Cela a permis de repérer les bonnes pratiques en la matière, de les modéliser et d’encourager à la création de réseaux d’acteurs (comme, par exemple, l’OED) pour relayer le travail réalisé au niveau européen et travailler au développement des législations, politiques et programmes au niveau national et régional.
Le travail de l’OED, en matière de recherche sur l’économie sociale, a montré que la conception des projets s’articule autour de trois axes : un dispositif de formation au travail (EFT, OISP, …) ; une structure à finalité sociale (SFS) ; les structures de guidance psycho-sociale.
En 1996, le ministre de la Justice belge a souligné l’importance des formations professionnelles, notamment, comme préparation à la réintégration.
Au niveau des compétences, la gestion des prisons est de compétence fédérale et les dispositifs de réinsertion de compétence régionale et communautaire. La Région s’occupe de l’aide aux victimes et aux délinquants qui ne sont plus détenus et la Communauté française a la tutelle sur les ASJ (Aide sociale aux justiciable7) dans le cadre de leur intervention en milieu carcéral.
Le système des peines alternatives pour les jeunes de 14 à 19 ans donnent la possibilité aux jeunes d’effectuer une peine alternative dans des établissements comme, par exemple, dans les maisons de retraites, les sociétés de logements sociaux. Le travail d’intérêt public (organisé par une loi de 1994) permet d’effectuer un travail d’intérêt public ou de suivre une formation en remplacement d’une détention.
Le Plan de Développement Rural de la Région wallonne soutien la formation professionnelle agricole et sylvicole pour permettre aux exploitants d’acquérir des compétences nécessaires (par exemple dans le cas du projet à la prison de Saint-Hubert).
Diverses fondations comme par exemple la Fondation Levi Strauss&Co, la Fondation Roi Baudouin, et quelques firmes privées, soutiennent des projets en matière de lutte contre l’exclusion.
Les jardins
En 1994, la Fondation Roi Baudouin a initié le projet « La nature a le doit de cité » dans le cadre du programme « Cadre de vie » afin de développer la nature dans et aux abords des cités d’habitations sociales. Une des conditions était la création d’un partenariat regroupant les habitants, les sociétés de logement, les communes, les association d’environnement et les Régies de quartier. Ou encore dans le cadre du programme Quartier de Vie.
Au niveau de la Région wallonne, la Rénovation rurale subventionne la création et l’aménagement d’espaces verts et de plantations, ou encore via la DG des ressources naturelles et de l’environnement.
Au niveau des habitations sociales, il est intéressant de voir du côté de la Société Wallonne du Logement, des Régies de Quartier et de Sociétés de logement de service public.
De nombreuses reformations et formations diverses en horticulture, maraîchage… existent, notamment via des association comme le CRABE (agriculture biologique et maraîchage) en Brabant wallon et les Centre Régionaux, d’Initiation à l’Environnement.
Il est possible de conclure des baux avec la SNCB pour occuper les terrains le long des chemins de fer, ou encore avec d’autres acteurs privés ou publics pour occuper des terrains non utilisés.
1 Bauduin V. 2001, p.7
2 Projet où le maraîchage est reconnu comme un outil de redynamisation et un outil d’insertion socioprofessionnelle pour des personnes défavorisées.
3 Matgen J-C. 2001, p.3
4 Bien qu’il puisse paraître péjoratif en français, le terme (ex)-délinquant est, pour l’OED, le plus adéquat pour désigner toutes les personnes qui sont jugées coupables d’un délit.
5 Robert F. 2000, pp.13-14.
6 FBD. 2001, p.20
7 La mission générale des ASJ est d’apporter aux détenus qui le demandent ou qui l’acceptent, une aide sociale globale en vue d’une gestion de la détention la plus humains possible, et de préparer leur libération et leur retour à la vie sociale.
Sources
Symbioses, le magazine du Réseau Idée
Bauduin V. 2001. Les jardins sociaux : du jardin ouvrier au jardin familial, Mémoire, ISI Huy-Gembloux
Harford A. 1998. La réinsertion professionnelle des (ex)délinquants en Europe et en Belgique, OED, janvier.
Sutton P. (coord.) 1994. L’éducation de base dans les prisons, Nations Unies
Matgen J-C. 2001. « La criminalité n’est pas en hausse, la sévérité pénale si », In La Libre Belgique, du 10 juillet
Robert F. 2000. « L’organisation pour l’emploi des délinquants : réseau pour l’insertion socioprofessionnelle », In Alter Echos, n°81, 11 septembre
FBD. 2001. « Avanti à Charleroi : de l’aide aux justiciables au retour à l’emploi », In Alter Echos, n°100, 15 juin
Décret de la Communauté française relatif à l’aide sociale aux détenus en vue de leur réinsertion sociale, voté le 17 juillet 2001 (Cabinet du ministre de l’aide à la jeunesse et de la santé de la communauté française)
Recommandation N R (89) 12 du Comité des ministres aux États membres sur l’éducation en prison adoptée par le Comité des ministres du conseil de l’Europe le 13 octobre 1989
To go further
La ferme de la Vache du CPAS de Liège
Bibliothèque René Péchère (art et histoire des jardins)
Cellule Parcs et Jardins de la province de Namur
CRABE – Coopération, Recherche Animation pour le Brabant wallon de l’Est
Portail environnement de Wallonie
FAFEP - Fédération des Associations de Formation et d’Éducation permanente en Prison (mission, entre autres, de promouvoir et de coordonner les activités de formation en prisons
Aide et reclassement, asbl, opérateur de formations
ADEPPI – Atelier D’Éducation Permanente pour Personnes Incarcérées (opérateur de formations)
Document sur la réintégration de ou d’ex détenus en Belgique
Plan de Développement Rural de la région wallonne