La ville productive, pour quoi faire ?

Carnet pratique n°16 : (Re) développer les activités productives dans les régions métropolitaines

Thierry Petit, novembre 2024

Institut Paris Région (IAU)

Si elles ont perdu une large part de leur base industrielle, essentiellement la moins compatible avec l’urbain, les métropoles restent attractives pour les industries innovantes, celles fortement intégrées avec les services qui leur sont complémentaires, ainsi que les industries orientées vers les petites séries et la personnalisation, qui misent sur la qualité et la réactivité ou encore dépendent de ressources locales spécifiques. Le secteur industriel du XXIe siècle peut donc jouer un rôle essentiel dans les dynamiques urbaines. « La ville productive » sera résiliente : un espace vivant, un acteur majeur des transitions.

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Selon Espon, les activités productives les plus à même de s’épanouir au sein des métropoles sont celles liées au fonctionnement métropolitain et à sa population : les industries liées aux services urbains (utilities) et à la logistique. Ce sont ensuite les activités de haute technologie et à haut niveau de compétence pour lesquelles les effets d’agglomération sont les plus forts. Ce sont enfin les productions s’adressant à une clientèle en recherche d’un haut niveau de différenciation et pour laquelle le « Made in local » représente un atout différenciateur. Ainsi, Espon montre qu’en Europe les métropoles continuent à accueillir une majorité des emplois industriels. En 2017, au sein de l’Union européenne, les zones métropolitaines accueillaient 54 % de l’emploi et 63 % de la valeur ajoutée (VA) industriels. Ce sont principalement les métropoles secondaires avec respectivement 31 et 33 %, qui concentrent ces emplois, tandis que les métropoles de premier rang, y compris les régions capitales, représentent encore 23 % de l’emploi et 29 % de la VA de l’industrie. À l’échelle nationale, le retour de l’industrie permet de limiter le déficit commercial, d’aller vers plus de souveraineté en dépendant moins de pays concurrents (voire hostiles), notamment pour les biens les plus critiques. Sont souvent cités dans cette catégorie les biens alimentaires, la santé, la défense, mais aussi les activités du numérique et de la transition écologique.

Réindustrialiser la France, c’est aussi participer à la réduction mondiale des émissions de CO2, et de la pollution industrielle en général, du fait de réglementations environnementales plus contraignantes qu’ailleurs dans le monde et du raccourcissement des chaînes d’approvisionnement. Le cabinet Trendeo notait dans son rapport de 2021 que depuis l’épisode de la Covid-19 et les perturbations d’approvisionnement qu’elle a entraînées, les chaînes d’approvisionnement mondiales se sont en moyenne raccourcies de 5 % en distance. À l’échelle des régions métropolitaines, le maintien et le redéveloppement d’une base productive répondent aussi à plusieurs enjeux.

Répondre aux besoins de fonctionnement des métropoles et de leurs habitants.

Il est impératif de conserver une place pour les grands services urbains qui assurent au quotidien le fonctionnement de la métropole. Ces services ont une forte dimension productive, notamment le traitement des déchets et leur valorisation, la génération/distribution d’eau et d’énergie (électricité, chaleur, gaz), les activités de réparation, de tri et de recyclage. Par ailleurs, les habitants et les entreprises franciliennes utilisent les services de nombreuses entreprises artisanales qui ont une dimension productive et dont le marché est l’Île-de-France. On y trouve principalement les métiers du bâtiment : plomberie, électricité, maçonnerie, charpente, menuiserie…

Participer à l’objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette).

Maintenir les activités productives au sein des métropoles, c’est participer à l’objectif de Zéro artificialisation nette des sols. En effet, à l’occasion de leur relocalisation en dehors de la zone urbaine, les activités productives tendent à occuper plus d’espace pour un même niveau d’activité, car elles sont peu incitées à densifier leur parcelle. Maintenir des espaces pour l’activité dans les métropoles, c’est favoriser l’intensification des usages du sol. Cette intensification passe par diverses voies, comme remobiliser des friches partiellement ou en totalité, tirer parti des interstices urbains, favoriser la mutualisation, pousser à construire en hauteur. Dans certains cas, on peut inciter au remembrement de parcelles sous-occupées pour proposer de nouveaux espaces, tandis que certaines activités peuvent cohabiter avec d’autres fonctions économiques, voire du logement sous certaines conditions ou encore participer au déploiement des énergies renouvelables.

Participer à l’objectif ZEN (Zéro Émissions Nettes).

La réindustrialisation en général et le maintien des activités productives dans un environnement dense permettent aussi de réduire les émissions de CO2 de ce secteur comme le rappelle la Stratégie nationale bas carbone. Au niveau local, cela doit permettre notamment de réduire les déplacements, principalement carbonés. Les salariés peuvent ainsi plus facilement habiter à proximité de leur lieu de travail, s’y rendre en transports en commun ou privilégier les déplacements en modes actifs. Pour certaines activités, c’est aussi la possibilité de rester proches de la clientèle et du marché en général, et donc de réduire les distances de transport. Indirectement, cela participe donc aussi à l’objectif de réduction de la congestion et de la pollution liées aux transports.

Conserver un caractère vibrant aux métropoles.

La présence d’une activité productive permet, lorsque l’on parle d’artisans, d’animer une ville, d’offrir un bien et un service au plus près des habitants. Plus généralement, ces activités permettent de rompre l’uniformisation des villes par l’introduction d’une certaine mixité de fonctions et d’intensifier l’usage temporel de quartiers monofonctionnels à l’échelle de la journée ou de la semaine et participer à leur animation.

Renforcer et diversifier l’offre d’emploi.

Pour les territoires, c’est aussi un moyen de renforcer l’offre d’emploi et de la diversifier. D’une part, directement avec les emplois productifs, mais aussi indirectement par un effet d’entraînement puissant sur le territoire, sachant qu’un emploi industriel génère entre deux ou trois emplois de service, alors que l’industrie tend à se tertiariser en incorporant plus de services à son offre. La société hyper-industrielle théorisée par Pierre Veltz fait le constat d’une industrie qui tend à proposer des « solutions » et plus uniquement des produits.

Offrir des emplois de qualité.

L’emploi productif, notamment industriel, offre une variété plus large de possibilités et souvent, à niveau de formation égal, un niveau de salaire supérieur à ce que peut offrir le secteur tertiaire, notamment pour les emplois les moins qualifiés. De plus, pour ces mêmes catégories, ces emplois sont souvent plus stables que les emplois de service. La présence de l’activité productive permet donc de répondre à un enjeu social et de maintenir une relative mixité sociale des métropoles.

Permettre plus de résilience et d’innovation.

Le maintien des activités productives renforce aussi la diversité des activités d’un territoire, garante en retour d’une résilience du tissu économique, mais aussi offrant plus d’occasions de développement et d’innovation par les nombreuses possibilités d’interaction. En termes de compétitivité du territoire, l’industrie est le principal générateur de R&D avec 80 % des dépenses dans ce domaine. Or la réindustrialisation passera avant tout par le développement de nouvelles activités plutôt que par des relocalisations. À ce titre, Louis Gallois estime que : « la réindustrialisation de la France sera technologique », or la forte concentration de la recherche dans les zones métropolitaines laisse à penser que la réindustrialisation endogène s’opérera d’abord à partir de ces territoires.

L’industrie du futur sera urbaine

Les activités productives les plus attirées par l’urbain souhaitent bénéficier des aménités que leur procure cet environnement à la fois pour collaborer avec des partenaires de la recherche et de service avec lesquels elles travaillent étroitement. Au plus près de leur marché, elles bénéficient d’un avantage sur leurs concurrents lointains, qui leur confère la possibilité d’atténuer la compétition par les coûts grâce à une forte réactivité et une relation étroite, plus orientée sur la confiance et la qualité. Elles y bénéficient aussi d’une meilleure connectivité numérique, et plus généralement de la présence d’acteurs du numérique devenus incontournables.

L’espace métropolitain permet à ces entreprises d’offrir à leurs salariés un accès à un environnement attractif, ce qui peut en partie répondre aux besoins de main-d’oeuvre de ce secteur de plus en plus en concurrence avec les services pour certains profils. Cela donne aussi un accès à un bassin d’emploi à la fois vaste et diversifié.

Toutefois la relocalisation, le maintien des activités productives permettent aussi d’envisager pour les industriels la possibilité d’une diversification de leurs approvisionnements avec une composante locale plus marquée, certes plus coûteuse, mais offrant l’avantage d’une meilleure maîtrise des délais, d’une réduction des frais de transport et des aléas, d’une réduction des frais d’entreposage et des intermédiaires ainsi que de l’ensemble des coûts cachés de l’approvisionnement lointain (risque sur la marchandise durant le transport, qualité réelle des produits, risque de copiage…). De plus, proposer un cadre qui sanctuarise les activités productives dans les métropoles assure à ces dernières une visibilité qui en retour leur permet de se projeter à long terme et donc d’investir, de renouveler et de renforcer leur outil de production.

Pour les entreprises, la sanctuarisation des sites d’activités devrait freiner la spéculation foncière et par conséquent les aider à concentrer leurs moyens financiers sur leur outil de production.

Le passage vers un modèle plus circulaire constitue aussi un moyen pour les industriels de faire face à la hausse des coûts des matières premières et à l’incertitude croissante quant à leur disponibilité tant dans un environnement international plus tendu que du fait du réchauffement climatique et ses conséquences. Pour certaines activités, être localisées dans une métropole permet de tirer parti de la mine urbaine et d’envisager la création de boucles autour du réemploi et du recyclage, à l’image de ce qui se met en place dans le bâtiment avec les matériaux de réemploi, les plastiques ou encore dans l’automobile. Les activités de recyclage sont notamment appelées à croître avec la nécessaire décarbonation de l’économie et les besoins accrus en matières premières déjà en tension que cela va occasionner.

Références