Une Entreprise de Travail Adapté et une coopérative qui misent sur la participation démocratique
Entreprise La Lorraine
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche présente le réseau d’entreprises sociales La Lorraine, société tournée vers les valeurs de l’économie sociale. Elle valorise l’engagement de personnes handicapées ou à faibles compétences et elle les aide, en les formant, en les responsabilisant et en les intégrant dans les décisions de l’entreprise, à se réinsérer dans la vie active.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de La Lorraine asbl, et notamment à partir de l’entretien avec l’administrateur délégué de l’association.
Contexte et origines du projet
L’asbl a été fondée en 1972 à l’initiative de l’actuel administrateur délégué, éducateur social de formation, qui a toujours été sensible aux problèmes aigus que pose la remise au travail de personnes handicapées. A l’origine, l’atelier protégé faisait du conditionnement de pâtes alimentaires. Mais dès 1973, ce type d’activité, nécessitant trop de capitaux et trop peu de main d’œuvre, est progressivement abandonné et remplacé au profit d’activités de service et particulièrement de nettoyage.
Au fil des années, d’autres secteurs se sont ajoutés et se sont développés selon les possibilités du marché. On y trouve des activités relatives aux parcs et jardins (entretien d’espaces verts et clôtures ; aménagement et plantations ; tailles, arbustes et coupe de taillis), des activités de peinture et décoration, des travaux forestiers (abattages délicats et soins aux arbres), et des activités de pose et de location de chapiteaux.
En 1983, La Lorraine a créé une entreprise d’insertion. En décembre 1999, cette structure est établie sous la forme d’une Société Coopérative à Responsabilité Limitée à finalité sociale dont l’asbl La Lorraine est l’actionnaire majoritaire.
Objectifs et enjeux du projet
Sur base des statuts, les objectifs de l’association sont les suivants : « La mise au travail et la participation des personnes handicapées au sein de leur milieu de travail, en vue de leur promotion sociale et humaine. Pour la réalisation de cet objectif, l’association peut organiser, et exercer toute activité mettant à l’avant l’initiative des personnes handicapées, particulièrement au sein d’une entreprise sociale… ».
Un des buts est de dépasser un type de relations trop souvent marqués par la passivité des aidés et le paternalisme des aidants.
Parmi les objectifs poursuivit, il y a également l’intégration économique et sociale des personnes handicapées.
Population concernée et groupes cibles
La Lorraine emploie une majorité d’handicapés (pratiquement 90%) et quelques employés sous statut « ordinaires ».
Au niveau des ressources humaines, trois critères principaux président à la décision d’embauche d’un travailleur handicapé: la motivation de l’intéressé, les besoins de l’entreprise et son inscription à l’AWIPH (Agence Wallonne pour l’intégration des Personnes Handicapées). Le travail s’effectuant en équipes, les responsables constituent des équipes équilibrées en terme de force de travail et en terme financier par la subvention proportionnelle à la reconnaissance du handicap obtenue. Le travail est adapté aux capacités des personnes.
Montage financier
En 1979, au départ de ses activités, La Lorraine avait en caisse environ 100 000 FB et a reçu des dons à hauteur d’environ 70 000 FB provenant de mutualités et d’associations de handicapés mentaux.
En 2000, La Lorraine bénéficie de subsides divers dont ceux de l’AWIPH, ceux pour la section d’accueil et le Contrat d’Adaptation Professionnelle (CAP), ceux du programme de formation ADAPT, et des subsides de la Province du Luxembourg.
En 2000, le bénéfice totale est d’environ 10 millions de FB pour un chiffre d’affaire qui avoisine les 85 millions de FB. Une part importante des charges de frais de personnel est couverte par des subsides et les réductions de sécurité sociale.
Partenaires du projet
La Lorraine travaille avec un grand nombre de partenaires commerciaux pour qui elle effectuent divers travaux en qualités de clients des services de La Lorraine. En tout, elle compte environ 2000 clients dont un quart sont des petites et grandes entreprises ainsi que des communes, des écoles et des administrations.
Déroulement du projet
Au sein du service, il y a deux types de membres du personnels : le personnel de maîtrise et de gestion et le personnel de production. En outre, l’entreprise a opté pour une intervention à tous les niveaux de production et de sous-traiter au minimum. C’est pourquoi elle assure elle-même le travail administratif, la comptabilité et le secrétariat social, tout comme l’entretien du parc automobile qui compte une septentaine de véhicules.
Misant sur la pleine participation des personnes handicapées aux décisions et actions qui les concernent, le personnel est présent ou représenté tant au sein des structures de décisions qu’au sein des structures de concertation sociale. « A titre d’exemple de participation là où elle est possible, explique l’administrateur délégué, l’entreprise a une caisse de 200 000 FB pour sponsoriser des activités sportives proposées par le personnel. »
Chaque jour, ce sont une quarantaine d’équipes d’environ quatre personnes qui sont sur le terrain. Le type de clientèle, géographiquement situé dans la région et parfois au delà, occupe une niche située entre le marché du travail au noir et celui des grosses entreprises.
Perception du projet par les acteurs
Résultats quantitatifs
En termes humains, le résultat est important puisque l’association emploie, en avril 2001, plus de 180 personnes dont 160 travailleurs sont inscrits à l’AWIPH, 5 sont apprentis en Contrat d’Adaptation Professionnelle (CAP) et 20 sont employés sous statut de travailleurs « ordinaires ».
En termes financiers aussi, en 2000, le chiffre d’affaire est de 83.648.313 FB, avec un bénéfice net de 9.830.183 FB. Cette situation arrive après plusieurs années plus difficiles financièrement qui avaient nécessité de geler les salaires du personnel de cadre et de maîtrise pendant trois ans, de 1997 à 1999.
Résultats qualitatifs
L’asbl permet la mise au travail et la participation au sein du milieu de travail, autant que possible, pour du personnel dont environ 88% est handicapé. Par ailleurs, le travail leur amène une reconnaissance sociale et le fait que les handicapés travaillent presque exclusivement chez les clients fait qu’ils ne vivent plus cachés mais dans la société. En outre, dans la région d’Arlon, on peut les voir circuler sur les routes dans leurs véhicules arborant le sigle de La Lorraine et s’activer sur les chantiers.
Efficacité du projet
L’intégration économique et sociale se réalise via l’engagement de personnes handicapées, sans emploi, et généralement sans qualification, en leur proposant une rémunération décente pour un travail adapté à leurs capacités, en leur offrant une formation et en les faisant participer au processus de décisions de l’entreprise et en leur permettant une reconnaissance sociale. Le travail chez le client permet de lutter contre la stigmatisation et l’exclusion.
La participation
La Lorraine mise sur la participation la plus large possible des personnes handicapées aux décisions et actions qui les concernent. En 1988, la pratique de la participation démocratique a été inscrite dans les statuts. Elle est voulue tant au sein des structures de décisions (Comité de direction, Conseil d’animation) que des structures de concertation sociale (Conseil d’entreprise, Comité de sécurité et d’hygiène, Délégation syndicale). Au sein de l’entreprise, l’Administrateur délégué a pour rôle de dynamiser la participation et doit veiller à ce que tous les travailleurs de l’entreprise sociale, et particulièrement les personnes handicapées, soient les acteurs de leurs propre promotion sociale. Il est chargé de veiller entre autres à maintenir en permanence les conditions d’un débat démocratique au sein de l’entreprise.
Dans un soucis de participation et de communication, un journal a été créé dans lequel de nombreuses informations sont reprisent concernant les grandes décisions des différents comités et conseils.
Le syndicat est présent comme dans tout comité d’entreprise mais ici il n’est pas utilisé comme un contre pouvoir mais comme un partenaire. Il y a quelques années, lors d’une période économiquement difficile, ils ont par exemple décider d’un commun accord du blocage des salaires du personnel de cadre et de maîtrise.
Au niveau du comité de direction, toute décision doit se prendre avec un responsable du département concerné.
Avancées au niveau du droit
Parmi les droits fondamentaux, l’entreprise favorise le droit au travail des personnes handicapées.
Le projet comme processus
Le projet a lieu sur le long terme. Il y a une volonté d’insertion et d’apprentissage entre autres avec les Contrats d’Adaptation Professionnelle.
Il est possible de réorienter les personnes en fonction de leur évolution et de leur capacité vers d’autres départements, et les équipes sont constituées de la manière la plus équilibrée possible en fonction de la rentabilité et des capacités de chacun.
Difficultés rencontrées, blocages et handicaps
Étant donné les montants limités perceptibles par une asbl, une coopérative partenaire a été créée pour ouvrir l’accès à certains emplois et chantiers.
Atouts du projet et causes de réussite
Au niveau de l’entreprenariat :
Une des forces du projet est d’intervenir à tous les niveaux de production et de sous-traiter un minimum. Une activité moins rentable peut être maintenue parce qu’elle permet d’offrir un service complet. C’est le cas du travail de déchiquetage en travaux forestiers qui est peu rentable mais qui offre un service complet au client. En outre, au niveau du travail administratif, la comptabilité et le secrétariat social sont assumés par l’asbl elle-même, tout comme l’entretien du parc automobile qui compte une septentaine de véhicules.
En termes d’entreprenariat, on note également la diversification des services, l’évaluation permanente de la rentabilité des activités et du bénéficie net par heure prestée/facturée au sein de chaque département d’activité.
Les responsables sont aussi attentifs à l’adaptation de l’offre de services en fonction des besoins du marché. On observe le lancement progressif de nouvelles activités à côté d’activités qui tournent et l’abandon d’activités dont la rentabilité est en déclin tout en assurant, dans la mesure du possible, la reconversion des travailleurs.
L’entreprise sociale focalise ses activités sur du travail qui demande beaucoup de mains d’œuvre et peu de qualification.
Au niveau humain :
La Lorraine tient compte des personnes, de leurs capacités et de leur rentabilité pour leur proposer des activités adaptées dans des équipes équilibrées.
L’entreprise sociale veille à impliquer les travailleurs dans la vie de leur entreprise via leur information et leur consultation, et en favorisant la participation là où s’est possible.
Perspectives de développements futurs du projet
En perpétuelle adaptation au marché, actuellement, La Lorraine vise le développement et la consolidation des activités de location de chapiteaux.