Utiliser le CO2 : une stratégie permettant de valoriser économiquement le CO2 tout en contribuant au développement territorial
Suren Erkman, décembre 2023
La stratégie climatique traditionnelle de l’atténuation (mitigation, en anglais), qui reste naturellement prioritaire, s’efforce de réduire les émissions de gaz à effet de serre à la source.
Toutefois, force est de constater que cette stratégie, à elle seule, ne produit pas les résultats escomptés.
C’est pourquoi, en complément, une autre approche connaît un développement rapide depuis quelques années : la capture du CO2 à partir de sources concentrées (cimenteries, aciéries, usines d’engrais, incinérateurs, etc.) ou diluées, par capture directement dans l’air (en anglais : Direct Atmospheric Capture, DAC). Il peut ensuite être stocké ou valorisé. C’est cette seconde option, particulièrement intéressante pour les territoires, qui est présentée ici avec les trois modes de valorisation : l’usage direct du CO2, sa transformation chimique, sa transformation biologique. Tous les trois s’inscrivent dans le vaste mouvement de l’écologie industrielle et territoriale qui vise à tirer parti des complémentarités entre activités d’un même territoire, comme le fait la nature elle-même dans les écosystèmes, le déchet de l’un étant la matière première de l’autre.
Une fois le CO2 capté (et parfois purifié), il existe deux grandes options :
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a) Le stockage (ou séquestration) du CO2, en abrégé : CCS (Carbon Capture and Storage).
Le CO2 capté est transporté puis stocké dans des structures géologiques profondes. Outre les difficultés techniques et les risques de fuites, le stockage se caractérise par ses coûts élevés.
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b) La capture et utilisation (ou valorisation) du CO2, en abrégé : CCU (Carbon Capture and Utilization).
Contrairement au CCS, le CCU considère le CO2 comme une matière première, et donc lui confère une valeur économique. Le CO2 peut ainsi constituer une source de revenus pour des entreprises ou des organismes publics.
Les possibilités d’utilisation du CO2 sont très nombreuses et variées, elles se répartissent en trois grandes familles :
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1) La voie physique, sans transformation : le CO2 est utilisé tel quel comme agent anti-incendie, agent nettoyant (CO2 supercritique), fertilisant pour les cultures sous serres, ou même comme agent calo- ou frigo-porteur dans des réseaux de chauffage et/ou de refroidissement à distance (les réseaux à base de CO2 présentent certaines avantages techniques et économiques par rapport aux traditionnels réseaux utilisant l’eau ou la vapeur).
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2) La voie chimique, sans doute la plus prometteuse, qui implique une transformation du CO2 en divers produits : production de polymères, de molécules à forte valeur ajoutée (comme l’acide succinique), carburants et combustibles de synthèse (méthane ou méthanol, notamment).
En particulier, deux approches sont susceptibles de valoriser de grandes quantités de CO2 :
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La minéralisation : le CO2 peut réagir avec différents types de minéraux (naturels ou résidus industriels) pour produire, par carbonatation, des matériaux de construction.
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Le stockage sous forme chimique des excédents d’électricité renouvelable provenant de sources intermittentes (solaire, éolien). L’électricité en excès sert à électrolyser de l’eau, puis l’hydrogène ainsi obtenu réagit avec le CO2 pour donner du méthane (p. ex.).
Ce procédé (connu sous le nom générique de Power to gas) a naturellement un coût énergétique : mais il est préférable de consentir à une pénalité énergétique plutôt que de devoir délester l’intégralité de l’électricité renouvelable excédentaire.
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3) La voie biologique : dans ce cas, l’étape de capture du CO2 est effectuée par des organismes vivants (photosynthèse) : microalgues, bactéries, plantes, etc. Différentes substances peuvent ensuite être extraites, puis utilisées telles quelles ou transformées pour obtenir des produits spécifiques (biocarburants, polymères, etc.).
Enjeu énergétique :
La capture, et surtout la transformation du CO2, nécessitent de l’énergie, notamment de la chaleur. Toutefois, certaines réactions chimiques comme la conversion du CO2 en méthane (méthanation) ou la carbonatation de matières premières minérales dégagent de la chaleur (réactions exothermiques).
Pour les étapes de transformation qui requièrent de la chaleur (réactions endothermiques), le principe général est celui d’«opportunisme territorial» : sur un territoire donné, on trouve toujours de nombreuses sources de chaleur fatale (incinérateurs, cimenteries, installations industrielles diverses, etc.) disponibles souvent en grandes quantités. Cela diminue considérablement l’apport net d’énergie pour les opérations de capture et de transformation.
Par ailleurs, les recherches sur de nouveaux catalyseurs, qui permettent d’abaisser l’énergie nécessaire aux réactions de transformation du CO2, progressent rapidement.
Enjeu territorial :
Sur un territoire donné, trois éléments jouent en faveur d’une approche telle que le CCU :
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présence de nombreuses sources de chaleur fatale (gisements encore largement sous-utilisés) ;
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présence de nombreuses sources d’émissions de CO2 concentré (gisements inexploités aujourd’hui) ;
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présence de nombreux utilisateurs potentiels de CO2 ou de produits dérivés.
La combinaison de ces trois éléments incarne bien l’approche de l’écologie industrielle : optimisation des flux et des stocks de ressources par des synergies (ou symbioses) entre activités existantes (voire nouvelles), tirant parti de ressources aujourd’hui peu ou mal utilisées.
Dans ce contexte, la stratégie d’utilisation du CO2 permet d’enclencher des dynamiques de développement à l’échelle territoriale, associant développement socio-économique (production locale de valeur) et contribution aux politiques climatiques.