Financement communautaire et participation citoyenne pour assurer les services locaux de base.
Municipalité de Wildpoldsried (Allemagne)
Pierre Bauby, Mihaela Similie, 2016
La mise en place des politiques de transition à l’échelle locale suppose des investissements financiers importants et une volonté politique forte. L’exemple de la commune de Wildpoldsried illustre les modalités de mise en œuvre des politiques de transition énergétique et de développement d’infrastructures alternatives avec l’implication des habitants et des acteurs locaux. Il met aussi en exergue ses impacts positifs: la transformation du tissu économique local, la création de nouvelles sources de revenus pour la collectivités, la construction collective d’un projet territorial qui vise à trouver des solutions adaptées aux besoins locaux.
En Bavière, la municipalité de Wildpoldsried 1 , commune de 2 600 habitants, consacre une part importante de ses actions à la production d’énergie renouvelable et vise l’autosuffisance énergétique d’ici à 2020. La mise en œuvre au niveau local de la politique de transition énergétique a été réalisée avec l’implication des habitants.
En 2010, la commune disposait de 190 installations photovoltaïques, 5 installations éoliennes, 4 installations de biogaz, 3 centrales hydro-électriques. La biomasse et l’énergie solaire sont également utilisées.
Le cheminement du village vers la transition énergétique a commencé en 1998 quand la nouvelle municipalité élue en 1997 a organisé une réunion de brainstorming sur les objectifs futurs de la commune. Pour la municipalité il s’agissait de construire une nouvelle industrie au niveau local, d’assurer de nouveaux revenus et de ne pas créer de dette non soutenable. La construction d’une maison de retraite, d’une nouvelle salle de sport et d’une salle de théâtre ont aussi fait partie des objectifs. Cela aurait pu prendre des décennies pour être réalisé si la politique nationale de transition énergétique 2 n’avait pas pu être mobilisée pour financer les investissements dans les énergies renouvelables et les projets environnementaux. L’utilisation de cette opportunité politique a permis à la communauté locale d’atteindre ses objectifs en moins de temps et sans créer des dettes risquées.
Toutefois l’objectif d’amener les citoyens à investir dans les énergies renouvelables n’a pas convaincu immédiatement l’ensemble des habitants. Pour construire l’acceptabilité sociale, l’autorité locale a d’abord mis en place des projets à petite échelle détenus par les habitants locaux. Ainsi, en dépit de l’intérêt d’investir manifesté de l’extérieur de la commune, il a été décidé à un certain moment que seuls les habitants du village pouvaient investir. Pour le vice maire de la commune, le secret de la réussite est la participation des citoyens : « Chaque fois que vous avez des investisseurs étrangers ou des grandes compagnies, ce n’est pas facile. La population ne va pas accepter. Chaque fois qu’ils peuvent participer eux-mêmes, c’est plus facile, et ils peuvent en tirer profit car quelques années après ils peuvent aussi gagner un peu d’argent. » 3
La municipalité a lancé en 1999 un guide (Wildpoldsried Innovativ Richtungsweisend – WIR 2020) qui est devenu la feuille de route dans les relations entre les demandes citoyennes, les projets communautaires et le développement futur. Le conseil local a souhaité que le guide puisse motiver la population à s’impliquer, qu’il les sensibilise aux enjeux environnementaux et qu’il serve à créer des emplois et une croissance économique pour la communauté. Les trois thèmes principaux de la WIR 2020 ont été : l’énergie renouvelable et l’économie d’énergie ; la construction écologique des bâtiments utilisant des matériaux de construction écologiques, notamment le bois ; et la protection des eaux et des ressources d’eau, ainsi que la collecte écologique des eaux usées 4.
Comme le retrace l’article écrit par Christie Allen (2011), un citoyen a commencé à discuter avec ses voisins et amis sur les intentions de la municipalité et cela a conduit à la formation d’une société. L’idée était de faire en sorte que la communauté devienne un groupe actif pouvant éventuellement conduire à de nouvelles initiatives. En 1999, la société a créé une première compagnie de production d’énergie éolienne. 70% des investissements ont été assurés par emprunt. En 2001, une deuxième compagnie a été créée avec 94 investisseurs ; la contribution de chacun a été entre 5 000 et 25 000 euros. Deux autres éoliennes ont été construites avec presque deux tiers d’investissements assurés par emprunt. En juin 2008, une cinquième éolienne a été installée ce qui a conduit à une capacité totale de 12 MWh. En 2011, une troisième compagnie locale a été créée pour installer deux autres éoliennes avec un investissement réservé aux habitants de la commune. Au total, les investisseurs dans la société de la communauté semblent avoir reçu un bénéfice d’au moins 8 à 10% par rapport à leur investissement.
Avant que la construction des premières éoliennes ait été initiée, le conseil avait approuvé la construction par un fermier d’une première station de production de biogaz qui est devenue opérationnelle en 1997. Deux autres ont été approuvées après 2000. En 2013, elles produisaient environ 320 000 kWh/an.
Ces initiatives en ont généré d’autres, et de plus en plus de membres de la communauté de Wildpoldsried ont proposé des idées et des plans visant à assurer leur indépendance énergétique 5.
Les subventions de l’Etat ont joué aussi un rôle important dans la faisabilité financière des projets de transition énergétique, en particulier après l’adoption en 2000 de la Loi sur les ressources d’énergies renouvelables (Erneuerbare Energien Gesetz - EEG)6. Cette loi a introduit un système de subvention aux ménages et entrepreneurs investissant dans les énergies renouvelables, en particulier dans l’énergie solaire. La subvention est financée par un surcoût sur la facture d’électricité de l’ensemble des consommateurs. En conséquence, dans la commune de Wildpoldsried de plus en plus d’habitants ont commencé à installer des panneaux solaires sur les toits, le prix de vente de l’énergie renouvelable qu’ils produisent étant garanti à un prix constant pendant 20 ans. En 2013, plus d’un tiers des toits des maisons du village étaient dotées des panneaux solaires.
En 2014, la commune produisait cinq fois plus d’énergie qu’elle n’en avait besoin7. En 2011, la vente du surplus d’électricité produite a permis à la collectivité de recevoir 4,4 millions d’euros8. Par ailleurs, cela assure une partie du financement d’infrastructures publiques. Ainsi, la vente de l’excès d’électricité produite par les panneaux solaires de la salle de gym de la commune paie les coûts de maintenance du bâtiment.
La biomasse alimente le nouveau service de chauffage urbain créé en 2005 qui, dans un premier temps, a desservi les bâtiments municipaux et publics, pour s’élargir ensuite à la desserte des maisons à la demande des habitants. En 2010, 100% des bâtiments municipaux ont été chauffés à la biomasse. Le raccordement domestique a permis de remplacer le fuel par des énergies renouvelables et de faire des économies pour leurs dépenses énergétiques. Par ailleurs, un grand nombre de bâtiments privés sont chauffés avec du bois de la région, la commune étant entourée de 1 413 ha de forêts9.
En 2010, le nouveau schéma d’aménagement a retenu des zones bâtissables à neutralité énergétique ou en surplus énergétique pour les ensembles d’habitation. Ce schéma s’inscrit dans le programme d’efficacité énergétique « maisons passives » du Gouvernement fédéral adopté à la suite d’une résolution du Parlement européen de 2008. Ainsi, pour inciter les maisons à assurer leur passivité énergétique ou leur performance énergétique (isolation maximale des nouveaux espaces d’habitation, appareils efficaces du point de vue énergétique, sans chauffage au fuel), des mesures d’incitation financière ont été prévues (15 euros par m2 de terrain). Pour les maisons rénovées, une analyse des pertes d’énergie et de chaleur est réalisée avec des recommandations conséquentes (visant en particulier le remplacement des fenêtres, l’amélioration de l’isolation, le remplacement du système de chauffage).
Progressivement, l’économie d’énergie est devenue une autre préoccupation des habitants de la commune. Cela a conduit aussi à d’autres initiatives, comme par exemple la mise en place d’une nouvelle technologie (Joonior) qui permet de suivre la bourse des prix et d’activer la consommation quand le prix d’énergie est plus faible9.
Dans le domaine du traitement des eaux usées, l’implication citoyenne a également joué un rôle important dans la commune de Wildpoldsried. En 1994 déjà, un premier système privé d’assainissement naturel a été créé par un habitant pour sa maison. A l’époque, les inondations étaient un problème important. En 2000, le maire a obtenu des fonds européens visant à contrôler les inondations et le détournement des eaux de pluie. Pour cela, en s’appuyant sur l’initiative privée existante, le projet a cherché également à construire un système d’assainissement naturel pour l’ensemble de la communauté (le projet WiWaLaMoor). En effet, l’ancienne station d’assainissement était obsolète et la construction d’un nouveau système aurait coûté beaucoup plus cher à la communauté que le système naturel mis en place. Celui-ci a rempli les conditions permettant d’obtenir l’accord de l’autorité départementale de l’eau pour son installation. Non seulement la solution a été moins coûteuse et naturelle, mais elle a également pris en considération les problèmes des inondations qui étaient une préoccupation constante auparavant9.
Conclusion
Ce cas allemand montre comment l’implication de la population et des acteurs locaux permet de mobiliser des moyens nécessaires et l’adhésion de la communauté locale pour mener la politique territoriale de transition énergétique.
Par ailleurs, les initiatives dans d’autres secteurs, comme c’est ici le cas du secteur de l’assainissement, montrent que le développement d’une culture locale de participation crée les prémices d’une pratique durable de partenariat entre les différents acteurs locaux, bénéfique à tous.
1 Le site officiel de la municipalité de Wildpoldsried
2 Jusqu’à la fin des années 1950, le charbon a joué un rôle central pour assurer la sécurité énergétique en Allemagne. Dans le contexte d’une augmentation des coûts et de la crise pétrolière des années 1970, le pays a défini une politique énergétique alliant la valorisation du charbon au nucléaire civil, ce dernier assurant au milieu des années 1980 40% de l’électricité. En même temps, à la fin des années 1970, un mouvement anti-nucléaire s’organise et dans la décennie suivante le discours écologique prend de l’ampleur, ce qui conduit à la définition d’objectifs de réduction des émissions de CO2. Au début des années 1990, la mise en place du premier tarif de rachat des énergies renouvelables a contribué au développement de l’énergie éolienne (loi de 1991 sur les énergies renouvelables). En 2000, la nouvelle loi sur les énergies renouvelables marque le véritable tournant de la politique énergétique allemande. Elle prévoit un tarif d’achat garanti pour les producteurs d’énergies renouvelables, avec un report sur le consommateur du surcoût d’achat de ces énergies par rapport au coût du marché (en 2014, ce surcoût est évalué à plus de 20 milliards d’euros pour les ménages et les petites entreprises). En 2002, le gouvernement prévoit la sortie de nucléaire à l’horizon 2021. La poursuite de cet objectif est renforcée par la catastrophe de Fukushima de 2011 et le gouvernement décide de porter à 80% la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité en 2050. Par ailleurs, la politique publique en matière d’efficacité énergétique vise le soutien financier à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments (aides et prêts), l’utilisation des énergies renouvelables pour le chauffage (aides) et les économies d’énergie. Néanmoins, le volume de financement de l’efficacité énergétique reste bien plus faible que celui prévu pour le financement du développement des énergies renouvelables.
3 Peach S., 2013, « With Citizen Buy-in, German Village Generates 5X Renewable Energy It Needs ». Yale Climate Connections, 16 Juillet 2013.
4 Allen C., 2011, « German Village Achieves Energy Independence… And Then Some ». BioCycle, Août 2011, Vol. 52, No. 8, p. 37
5 Allen C., 2011.
6 Pour davantage d’informations, consulter: Energytransition.de, s.d., « Renewable Energy Act with feed-in tariffs and auctions ». The energiewende story, Energytransition.de
7 Peach S., 2013.
8 Singh T., 2011, « German Village Produces 321% More Energy Than It Needs! ». inhabitat.com, 21 Août 2011.
9 Allen C., 2011.
Sources
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Allen C., 2011, « German Village Achieves Energy Independence… And Then Some ». BioCycle, Août 2011, Vol. 52, No. 8, p. 37
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Energytransition.de, s.d., « Renewable Energy Act with feed-in tariffs and auctions ». The energiewende story, Energytransition.de
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Peach S., 2013, « With Citizen Buy-in, German Village Generates 5X Renewable Energy It Needs ». Yale Climate Connections, 16 Juillet 2013.
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Singh T., 2011, « German Village Produces 321% More Energy Than It Needs! ». inhabitat.com, 21 Août 2011.
To go further
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Le site officiel de la municipalité de Wildpoldsried
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Le site consacré à la politique de transition énergétique allemande Energytransition.de