Des liens forts entre activités économiques et culturelles, portés par une mobilisation citoyenne

Culture & Coopération (Rhône-Alpes)

Thomas-André Podlewski, décembre 2013

Le Labo de l’économie sociale et solidaire (Labo ESS)

Créé en 2010, Culture & Coopération est un PTCE dédié aux organisations culturelles et créatives, des secteurs en proie à de fortes mutations économiques et organisationnelles. Il participe à la diversité culturelle et au développement local durable sur le territoire de l’agglomération de Saint-Étienne (40 communes, 400 000 habitants). Culture & Coopération fédère onze associations et entreprises des domaines artistiques, culturels et créatifs. Ce pôle a des connexions dans le champ du développement économique, de l’aménagement du territoire, de l’ingénierie culturelle, de la formation ou encore du développement durable. Dix années de pratiques et d’expériences de la coopération ont précédé la création du pôle, qui vient formaliser les principes d’échanges existants et forger des stratégies communes.

Il rassemble 40 salariés, 340 intermittents, 72 dirigeants associés, 300 bénévoles et génère un chiffre d’affaire cumulé de quatre millions d’euros.

Genèse

En 2007, la Ville de Saint-Étienne décide de construire un équipement dédié aux musiques actuelles, Le Fil, composé d’une salle de concert de 1 200 places, d’un club et de studios de répétition. Pour répondre à l’appel d’offre de délégation de service public, 22 associations de la région Rhône-Alpes créent l’association Ligérienne de Musiques Actuelles (LIMACE). Celle-ci signe avec la ville un contrat en affermage pour 5 ans. Cette dynamique collective autour d’un projet d’envergure concorde avec l’orientation de nombre d’opérateurs culturels locaux pour une gouvernance coopérative. Les salariés et gérants de Yes High Tech, société de production et de prestations techniques et administratives créée en 2000, choisissent de mettre en œuvre des pratiques de gouvernance horizontales et démocratiques en évoluant en société coopérative et participative (SCOP Sarl).

En juillet 2010, le cinéma « Le France » est repris par un collectif de 350 associés en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Ce nouvel état d’esprit coopératif conduit une quinzaine d’entreprises et associations à initier une démarche transversale pour consolider des pratiques de coopérations existantes. Elles structurent ainsi un pôle des filières culturelles et créatives en créant le PTCE Culture & Coopération sous statut associatif.

Objectifs et activités

L’objectif du pôle est de construire les modèles organisationnels, économiques et territoriaux capables d’agir dans les enjeux contemporains des filières créative et culturelle par la mutualisation de ressources, le développement de projets collectifs et une dynamique d’interactions entre entreprises, associations, organismes de formation et collectivités publiques d’un territoire. Culture & Coopération développe une offre de services mutualisés par et pour ses adhérents : un groupement d’employeur1 permet depuis 2011 la mutualisation d’emplois administratifs. Trois postes ont été créés dans le domaine de la comptabilité et des ressources humaines. Au-delà de la mutualisation des ressources humaines, le PTCE participe à l’émergence d’activités innovantes.

Dès 2011, il accompagne Saint-Étienne Métropole dans la conception et le pilotage du Mixeur, espace dédié à l’accélération des d’échanges et des coproductions entre le tissu économique, le monde de l’enseignement supérieur et des organisations créatives installées dans le Quartier Créatif Manufacture. Il est dédié à la recherche et au développement aux interfaces arts, sciences et design par des processus coopératifs, libre d’accès et de droits.

Dans une dynamique de veille, d’accompagnement et de formation des acteurs du territoire, la Centrale des Marchés Solidaires (CMS) propose aux organisations de l’ESS des services pour leur permettre d’accéder aux marchés publics et aux commandes privées.

Enfin, Culture & Coopération participe à la reconnaissance du secteur culturel en associant chercheurs et acteurs de la culture pour des temps forts de réflexions croisées. À titre d’exemple, en 2012, un colloque national2 a été co-organisé avec 14 partenaires nationaux. Il a réuni 300 professionnels, chercheurs, élus et techniciens autour de la coopération, du développement territorial et de l’économie culturelle pendant trois jours.

Les parties prenantes

Culture & Coopération a été créé pour consolider et formaliser des coopérations qui existaient entre les acteurs et les organisations culturelles de l’agglomération de Saint-Étienne.

Il rassemble 11 membres adhérents, dont une majorité d’associations et deux entreprises coopératives : Le Fil, équipement de programmation, diffusion, action artistique, formation et création, action et médiation culturelle ; le Cinéma[s] Le France, SCIC SA, cinéma d’art et d’essai, d’activités audiovisuelles et d’éducation à l’image ; Yes High Tech, SCOP SARL mettant à disposition les outils et les compétences nécessaires à la réalisation de tout projet dans le domaine culturel et événementiel ; La Fabrique, lieu de résidence et de création pluridisciplinaire ; Le Remue-Méninges, café-lecture associatif ; La Baroufada, association, compagnie de musiques percussives et de promotion de tout objet de récupération comme instrument potentiel de musique urbaine ; Ciel ! Les Noctambules, association de production et diffusion de courts-métrages ; Raiso (Réseau d’Accompagnement aux Initiatives Solidaires), association d’éducation populaire et de formation ; Dynamiques Plurielles, association d’appui aux projets de mobilité internationale et aux échanges interculturels ; Gaga Jazz, association de promotion du jazz ; CD1D, association créée en 2007 par 7 labels indépendants pour les fédérer et qui en rassemble 242 actuellement.

Culture & Coopération a créé deux nouvelles structures, le groupement d’employeurs EAGE et Le Mixeur, espace de recherche et développement collaboratif arts, sciences et design.

La ville de Saint-Étienne, à travers ses services Insertion et Culture, la région Rhône Alpes et Saint-Étienne Métropole par ses politique ESS et Culture ont soutenu les premiers mois de structuration du pôle et soutiennent toujours l’émergence des actions engagées. Culture & Coopération a notamment bénéficié d’une assistance à maîtrise d’ouvrage par Saint-Étienne Métropole pour définir et créer Le Mixeur qui a ouvert en 2013.

Gouvernance et organisation

Le cadre statutaire adopté, association loi 1901, a été choisi pour sa souplesse. Trois ans plus tard, une réflexion est en cours sur l’évolution des statuts, vraisemblablement vers une SCIC.

L’animation du pôle est assurée par un coordinateur avec des missions multiples allant de l’écoute des membres, la veille, la transmission d’informations, à un travail d’animation du collectif. En règle générale, l’ensemble des salariés et des équipes participent aux réunions.

L’animation est assurée par un comité de pilotage d’une vingtaine de personnes composé d’un représentant de chaque structure à minima. Toutes les six semaines une journée entière est dédiée à la mise en œuvre de la coopération.

A noter une intrication croisée des conseils d’administration des différentes structures membres du pôle qui rassemblent elles-mêmes d’autres acteurs de l’ESS (une AMAP par exemple au sein de Remue-Méninges).

Fonctionnement économique

Culture & Coopération a un chiffre d’affaire d’environ 200 000€ et emploie 7 personnes (6,3 ETP). Le financement du pôle est constitué de trois sources : des fonds publics, les cotisations et services facturés aux membres et les prestations effectuées sur les marchés privés.

Les financements publics représentent environ 50% du budget de fonctionnement du pôle. La région Rhône-Alpes et Saint-Étienne Métropole en sont les principaux soutiens, respectivement 30 000 euros et 40 000 €, tandis que la Ville de Saint-Étienne le finance à hauteur de 6 000 €.

Les ressources propres, sous forme de cotisations, correspondent à un montant de 10 000 €. Le pôle reçoit une subvention de l’État depuis 2014 en tant que lauréat du 1er appel à projet gouvernemental PTCE.

Pour rappel, les onze structures membres du pôle salarient 53 ETP et impliquent environ 300 personnes (coopérateurs, bénévoles, associés…) pour un chiffre d’affaires global de 4 millions d’euros.

Logiques de coopération

La logique de coopération qui préexistait depuis 2006 à travers une vingtaine d’organisations culturelles du territoire engagées dans des actions d’intérêts collectifs ont forgé une culture commune de coopération. La création du pôle a accentué les processus de partage d’outils et de méthodes.

Cette coopération est stratégique car la gestion du compte d’exploitation du pôle passe par le débat collectif. La confiance et l’interconnaissance développées entre les membres au fil des années, comme le rôle d’animation de l’équipe salariée du pôle, concourent à l’efficacité des formes de coopération. La logique de coopération est axée sur l’intelligence collective, avec pour focale une bonne gestion des ressources publiques et de l’intérêt collectif, ce qui favorise une émergence d‘initiatives pertinentes.

Logiques d’innovation

Le Mixeur, lieu expérimental de coopération et d’innovation, est certainement l’action aboutie la plus significative des logiques d’innovation.

Ce lieu s’est donné pour objectif de répondre aux enjeux sociétaux de la diversité culturelle, de l’attractivité créative et innovation collaborative et libre. Il mêle différentes filières : créatives, culturelle, hautes technologies. Il offre des services innovants centrés sur ses usagers, des personnes physiques (publics spécialiste et non-spécialistes, étudiants et professionnels), comme des personnes morales (enseignement supérieur, entreprises, associations, collectivités publiques). Le Mixeur développe un ensemble de formats de services, d’animations et d’événements multiples, travaillant à la fois à la mixité des publics et au décloisonnement de filières connexes. Il comprend un espace de coworking en accès libre et une pépinière de 27 entreprises créatives. Il offre une programmation orientée vers les arts numériques, le design et l’innovation (conférences, résidences artistiques, séminaires). Le Mixeur organise régulièrement des workshops dédiés à l’innovation et au développement créatif, entrepreneurial et social. Culture & Coopération le co-pilote avec Saint-Étienne Métropole et OpenScop (SCOP), assembleur de compétences numériques sur les questions du travail nomade.

La réussite de cet équipement repose fortement sur un travail d’animation de réseau, compétence reconnue à Culture & Coopération.

Enjeux

Un des enjeux sera l’élargissement du cercle des membres vers une régénérescence propice à la créativité, à la transmission et à la richesse humaine et économique. Cette intégration de nouveaux adhérents devra faire l’objet d’un accompagnement soutenu par le pôle pour réussir une intégration dans les logiques de coopération.

La particularité de Culture & Coopération se trouve dans sa diversité et sa complexité, ce qui en fait certainement sa force. Il est nécessaire de défendre cette profusion créatrice, à l’encontre des simplifications souhaitées parfois par les institutions et d’autres acteurs afin d’en avoir une lecture plus facile.

Culture & Coopération travaille en étroite collaboration avec les collectivités territoriales, notamment Saint-Étienne Métropole, porteurs de nombreux projets structurants. Les alternances de majorité politique pourraient avoir un impact sur les activités du pôle.

Projets

Le plan d’action 2014-2016 prévoit la constitution d’un fonds mutualisé de relais financier pour suppléer les éventuelles défaillances de fonds propres des entreprises et associations membres.

Lauréat de l’appel à projet lancé par l’État fin 2013, doté d’une somme de 172 000 € pour trois ans, Culture & Coopération envisage de doubler ses effectifs pour assumer les charges de l’animation du pôle. Elle compte passer de 4 équivalents temps plein en 2012 à 7,75 en 2014. La gouvernance va également évoluer en adoptant le statut de société coopérative d’intérêt collectif.

Commentaires de l’auteur

Les enseignements

La mise en visibilité de l’importance de la culture comme vecteur de développement économique est plus efficace lorsque les acteurs se regroupent sous une « bannière collective ». Ce regroupement a été d’autant plus évident que les coopérations préexistaient et que certaines structures étaient présentes dans le paysage culturel depuis longtemps (La Fabrique, 1992, Yes High Tech, 2000).

Ces acteurs du développement culturel ont saisi l’opportunité présentée par la ville de Saint-Étienne de gestion de l’équipement Le Fil pour consolider, diversifier et élargir l’éventail de leurs coopérations. C’est une illustration de la rencontre entre la volonté politique de mener une politique culturelle ambitieuse et l’énergie créative des acteurs d’un territoire. L’ensemble fait la démonstration du pouvoir d’irrigation économique lié à la culture.

Hypothèses de travail à approfondir

La communication du pôle a été négligée au détriment du projet de coopération entre membres. En 2012 les missions portées par Culture & Coopération ont été médiatisées sur plusieurs supports en interne (films, rédactionnels, conférences) et même au niveau national (Libération, Association mode d’Emploi, etc.). Mais il semble opportun que la communication porte également sur le PTCE Culture & coopération en tant que marque afin de crédibiliser et de légitimer les actions portées depuis plusieurs années.

Le Mixeur est un projet ambitieux et sans doute prometteur qui tend à être un support intéressant de promotion des savoir-faire présents au sein du PTCE. Un autre chantier important est la transformation des statuts de Culture & Coopération en SCIC.

Références

  • Revue de presse

  • Fiche LABO ESS du PTCE

  • Interview téléphonique avec guide d’entretien

  • Site Internet : Culture et Coopération