Parc éolien citoyen dans les Crêtes Préardennaises

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Membre du réseau des territoires à énergie positive (Tepos), la communauté de communes des Crêtes préardennaises dispose d’importantes ressources naturelles que les élus entendent bien valoriser. Les forêts alimentent des chaufferies bois, les cours d’eau se prêtent à la micro-hydraulique, les fermes à la méthanisation et puis il y a le vent. Dès 2002, un projet de parc éolien voit le jour. Les études amènent à redimensionner un premier projet trop ambitieux. Finalement, les experts concluent à la faisabilité d’un parc de trois éoliennes totalisant 2,4 MW, soit l’énergie consommée par 4.000 personnes. Afin que l’énergie produite profite à ses habitants, les élus souhaitent mobiliser l’épargne locale pour financer ce projet de trois millions et demi d’euros. Pour cela, ils s’appuient sur les promoteurs du parc éolien qui vont impliquer les citoyens avant les banques.

À télécharger : ficheexperience_cretespreardennaises_eolien-2.pdf (240 Kio)

Les crêtes préardennaises, territoire rural diversifié, au relief varié ouvert aux vents

1 – Les crêtes, des reliefs complexes, « côtes » et balcons, linéaires remarquables

L’unité paysagère des crêtes préardennaises occupe le sud-ouest du département des Ardennes. Elle donne son nom à la communauté de communes, qui rassemble 94 communes et 20 000 habitants, sur un même cadrage géographique. Elle présente un relief très vallonné et boisé. Les crêtes se subdivisent en deux chaînes que sépare une dépression. Elles marquent les confins du Bassin Parisien. Alternant vues et micro-sites intimistes, la diversité cette diversité s’avère propice à l’implantation de l’énergie éolienne, avec des vents prenant toute leur ampleur sur les différentes pentes et crêtes.

2 – Les crêtes agricoles, territoire peu habité, aux marqueurs paysagers variés

Le territoire des crêtes préardennaises accueille 22 habitants/km² ; seulement 4 % de la surface territoriale est urbanisée. Cette faible densité est propice à l’implantation d’éoliennes, qui peuvent se déployer à l’écart des habitations. Les paysages sont encore marqués par l’héritage médiéval : patrimoine architectural des abbayes, ouvertures agricoles et crêtes occupées par les forêts. Quant aux hauts fourneaux encore présents, ils témoignent de l’activité industrielle rurale de la première moitié du XXe siècle. Les pâtures pour l’élevage et les cultures céréalières et maraîchères se succèdent sur les pentes ondulées. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les paysages se sont légèrement ouverts à la faveur du remembrement. Une part du territoire reçoit une urbanisation diffuse sous l’influence de Charleville-Mézières, occupant les pentes et privatisant les vues qui s’ouvrent depuis les crêtes nord.

3 – Stratégies territoriales et implication citoyenne

L’activité principalement agricole du territoire présente un caractère équilibré en termes de surface, entre pâtures et cultures céréalières et maraîchères. Le défi actuel des acteurs du territoire est l’autonomie alimentaire, avec la volonté de bénéficier de toutes les activités de la filière en circuits de proximité (production, transformation, distribution). Une stratégie territoriale globale est menée dans les années 2000, avec une dynamique locale forte du fait d’une implication citoyenne. Le tissu associatif local est varié, complété par un tissu économique de plus de 650 entreprises essentiellement tournées vers l’artisanat. L’A34 assure un lien facile aux pôles d’emploi et d’activités que sont notamment Charleville-Mézières, Rethel, Reims. Les qualités rurales préservées font des crêtes préardennaises une destination de tourisme appréciée, avec une qualité architecturale conservée dans l’ensemble des villages. Ce territoire se révèle ainsi propice à la naissance de projets citoyens concertés, comme celui du parc éolien des Ailes des Crêtes.

Co-construction du projet énergétique et de l’identité paysagère

1 – Une envie collective

La Communauté de communes des Crêtes Préardennaises est créée en 1995. Les élus prennent conscience de l’importance de prendre en main les questions émergentes d’énergies contemporaines. Au début des années 2000, l’Agence locale de l’énergie des Ardennes (ALE08), structure départementale, organise de nombreuses réunions publiques pour expliquer, informer et communiquer auprès des populations sur les enjeux de l’éolien. La Communauté de communes porte un schéma de développement éolien en 2003, afin de définir une planification. Ce modèle soutenu et suivi par l’Ademe s’est par ailleurs exporté au niveau national sous la forme de Zone de dévelopement éolien (ZDE). La ZDE des crêtes préardennaises comporte une réflexion paysagère nourrie, et incite au développement de parcs éoliens citoyens sur le territoire. Le comité de pilotage est composé d’acteurs très variés (élus, associations, services de l’État, ABF), et établit les arbitrages sur les lieux potentiels d’implantation. Suivi par l’Ademe, ce mode de gouvernance sert de laboratoire. De son côté, la préfecture des Ardennes ouvre un Pôle éolien pour que toutes les personnes instruisant des dossiers éoliens travaillent ensemble. En 2007, il produit un plan de paysage éolien, révisé en 2021.

2 – Scénario énergétique citoyen

L’envie de générer un scénario énergétique citoyen émerge, avec la création en 2008 d’une coopérative énergie, la SCIC ENERgic comme structure économique porteuse. En 2014, le projet de parc éolien citoyen des Ailes des Crêtes se définit pour 1/3 par la SCIC et pour 2/3 pour les habitants. Dans un même temps, d’autres sites éoliens sont en projet et se réalisent. À partir de 2013, avec la disparition de la validité réglementaire des ZDE, la réglementation fait passer l’opposabilité au niveau régional, avec l’obligation pour les régions d’établir un Schéma Régional Eolien. Les développeurs ont ainsi prospecté dans le cadre des schémas régionaux, en dépit parfois du cadrage ZDE qui n’était plus opposable. Pour le site des Ailes des Crêtes, la volonté d’ouvrir à un investissement citoyen a orienté le choix vers le développeur Enéole, intéressé par ce type de projets. Afin de mobiliser l’épargne des différents acteurs du territoire pour le projet, un co-financement pour une animation territoriale est défini entre la Communauté de communes et le Département. Une animatrice « investissement local et citoyen » est recrutée après l’obtention du permis de construire en 2013. Elle organise des réunions publiques, des animations auprès des élus, des écoles, etc. Cela permet une mobilisation des habitants autour du projet. La fondation belge Kids & Wind participe également au projet, promouvant l’investissement pour des enfants afin qu’ils deviennent copropriétaires d’une éolienne. En 2008, la SCIC se met en lien avec d’autres acteurs citoyens à l’échelle nationale pour créer le mouvement Énergie partagée. Cette fédération bénéficie d’aides financières de l’Ademe afin de générer un agrément autorisant les offres au public de titres financiers, ce qui permet notamment au projet des Ailes des Crêtes d’aboutir.

L’attention paysagère du projet, pour toutes les phases et échelles de réflexion des éoliennes

1 – Les zones de développement éolien choisies selon des arbitrages de paysage

À la faveur des concertations liées au schéma de développement éolien de la Communauté de communes en 2003, il apparaît que les habitants ne veulent pas d’un développement anarchique. Leur territoire se prête au développement de l’éolien, mais en quantité restreinte. C’est pourquoi le nombre de sites retenus par les élus lors du schéma est fortement limité par rapport au nombre de sites accessibles du point de vue technique. Ce schéma donne lieu à la mise en place de Zones de développement éolien (ZDE), qui sont déterminées en fonction de typologies de paysages plus ou moins propices à l’accueil d’éoliennes. Les services de l’Etat, par « peur du mitage du paysage », préfèrent des parcs denses. Ils choisissent de privilégier quelques machines de grandes tailles (100 m minimum en bout de pale). La ZDE, préfigurée par la Communauté de communes, est modifiée. Un seul parc, au niveau du secteur 2, sur les trois initialement prévu, est construit.

2 – Les sensibilités paysagères à l’échelle du département

En 2007, les services de l’État, (DDT) produisent leur schéma de paysage, révisé aujourd’hui en 2021 à l’echelle départementale. Pour des cadrages précis, des cartographies des contraintes socioculturelles, géographiques et paysagères sont réalisées. La cartographie des sensibilités paysagères à l’échelle du département répertorie les unités paysagères et les possibilités d’implantation selon des gradients allant de sensible à adapté.

3 – Echelle du projet de parc, arpentage de terrain et zone d’influence visuelle

Pour l’étude d’impact réalisée dans le cadre du permis de construire du parc des Ailes des Crêtes, le développeur Enéole fait appel au même bureau d’étude que celui mandaté pour établir le schéma de développement éolien de la Communauté de communes. Celui-ci mène l’étude d’impact sur le volet environnemental et paysage. Une analyse paysagère à l’échelle d’un cadrage élargi est réalisée. Elle identifie les composantes paysagères, les perceptions du paysage, les périmètres éloignés et rapprochés autour du futur parc. Elle est composée d’arpentages de terrain, de cartographies de zones d’Influence visuelle, de photomontages et de coupes topographiques. L’échelle du plateau de Chagny et Bouvellemont est définie comme en accord avec celle des éoliennes. Cependant à l’échelle globale de l’aire d’étude, les paysages des Crêtes Préardennaises présentent un caractère intimiste et des échelles fines de paysage. La problématique du dossier réside dans la préservation des villages contre la dominance visuelle et sonore des éoliennes, ainsi que le maintien des lignes d’horizon. L’agencement des éoliennes prend en compte les lignes de force structurantes du paysage à échelle large, et notamment la présence de la RD 991 qui dessine une orientation Nord/Sud sur le plateau à l’échelle du périmètre rapproché.

4 – Les trois éoliennes, projet énergétique modeste en commun

Les trois éoliennes sont implantées parallèlement le long de la RD 991 sur les communes de Chagny et Bouvellemont, dans une zone ouverte de plateau agricole. Elles sont situées à la même altitude et sont équidistantes les unes par rapport aux autres. Ce sont des modèles Enercon. Elles sont implantées sur des terres agricoles, et sont très facilement accessibles depuis la route sur de courts chemins agricoles. Leurs socles de béton servent de plateformes de compostage du fumier.

Les énergies et paysages partagés, soins et attentions futures

1 – L’après du projet phare

Le projet des Ailes des Crêtes a eu un certain retentissement après sa mise en place. Des articles et des interviews ont été publiés sur ce projet dans différents médias, en faisant une vitrine pour le territoire. Les investisseurs citoyens sont régulièrement tenus au courant par une lettre d’information de l’état du parc et des nouveautés. Il n’y a pas encore eu de retour financier, car le projet s’est déployé, comme la plupart des projets d’investissement, sur le temps long, il est estimé que des bénéfices se feront dans les prochaines années.

2 – Futurs des énergies sur le territoire, redistribution, mix et pensée globale

Pour les suites de son implication en tant que territoire à énergie positive (TEPOS), et sur les questions soulevées en termes d’autonomie et d’identité territoriale, la Communauté de communes tire des enseignements des Ailes des Crêtes. Le projet a été très long à mettre en place et a demandé beaucoup d’énergie. L’ouverture à la gouvernance partagée a été compliquée, notamment du fait de l’expérience pionnière, et a entraîné des désillusions. Les élus tentent aujourd’hui de réfléchir le mix énergétique (micro-hydraulique, méthanisation à petite échelle, solaire…), en mobilisant d’autres infrastructures d’EnR, par exemple la création de centrales photovoltaïques villageoises. Pour les futurs projets éoliens, la volonté de la Communauté de communes n’est pas forcément de reprendre le modèle du projet à investissement citoyen, mais d’aller à la rencontre de développeurs intéressants, et de les impliquer dans les processus territoriaux en marche (implication des populations, volonté de plus en plus marquée d’autonomie énergétique, etc). Un pacte fiscal de redistribution est mis en place sur l’ensemble des projets énergétiques. Les bénéfices reviennent à la Communauté de communes et sont redistribués équitablement dans le territoire. Cela permet d’éviter que certaines mairies veuillent à tout prix des éoliennes sur leur commune, et permet de réfléchir l’implantation d’éoliennes de façon globale et harmonisée.

3 – Co-création du réseau national

Energie partagée, réseaux d’entraide entre porteurs de projet La SCIC ENErgic accompagnant le projet de parc éolien des Ailes des Crêtes est l’une des premières SCIC portant un projet énergétique citoyen et à créer le réseau énergie partagée. Cela a eu un certain retentissement et a permis de fédérer, autour de valeurs communes et d’outils partagés, de multiples porteurs de projets locaux à l’échelle nationale.

4 – Absence d’outils réglementaires et de gouvernance des projets

Aujourd’hui, à l’échelle du département, les différents acteurs pensent qu’il y a une surcharge en termes de projets éoliens. Depuis l’abandon des ZDE en 2013, il n’y a plus d’outil de régulation par les acteurs publics des projets énergétiques portés par des acteurs privés. La ZDE élaborée par la Communauté de communes avait permis d’identifier des sites de projets intéressants, notamment en termes de paysage, avec des études poussées portées par un acteur public. Sans cet outil réglementaire, le choix pour les sites de projet se fait au gré des spéculations des acteurs privés. « Lors de l’élaboration de la ZDE à l’échelle de la Communauté de communes, un site potentiel de projet avait été identifié comme incompatible avec le développement éolien. L’étude paysagère indiquait un effet de surplomb trop fort sur le village attenant. Aujourd’hui, des développeurs font une nouvelle étude d’impact, et celle-ci indique le contraire. Le projet est donc accepté, et la population n’a plus confiance. » Christel Sauvage, présidente d’ENErgic Les habitants perdent confiance dans les institutions territoriales, et les projets se font sans acceptation globale. Des associations se sont dressées contre plusieurs projets sur le territoire des Crêtes Préardennaises.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402

En savoir plus