Synthèse du rapport AR6 du GIEC
Groupe de travail I
François Beny, Stéphanie Canas, Manoel Chavanne, Denis Deutsch, Léa Persoz, Alexandre Tuel, août 2021
Le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) est une organisation regroupant 195 États membres de l’ONU dont l’objectif est de faire régulièrement un état des lieux sans parti pris des connaissances scientifiques les plus avancées sur le climat. Il réunit des milliers d’experts volontaires du monde entier pour évaluer, analyser et synthétiser les nombreuses études scientifiques sur le sujet. Les rapports du GIEC sont au cœur des négociations internationales sur le climat, tel que l’Accord de Paris (COP21) en 2015 et la COP26 qui aura lieu à Glasgow en novembre. En 2007, le GIEC a partagé le prix Nobel de la Paix avec Al Gore. Le GIEC est organisé en trois groupes de travail. Le groupe 1 étudie les aspects scientifiques du changement climatique et a produit ce rapport. Le groupe 2 évalue les conséquences, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique, et le groupe 3 étudie son atténuation ; ils publieront leur rapport en 2022.
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L’état actuel du climat
L’influence des êtres humains sur le réchauffement de l’atmosphère, des océans et des continents est sans équivoque. En émettant des gaz à effet de serre (GES), l’humanité a provoqué des changements rapides et étendus au niveau de l’atmosphère, de la cryosphère (glaces terrestres et marines), de la biosphère (les êtres vivants) et des océans.
Les principaux GES émis par les êtres humains sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), et le protoxyde d’azote (N2O). Une partie des émissions humaines sont captées par l’océan et à la surface des continents (56% pour le CO2). Le reste est stocké dans l’atmosphère, augmentant leur concentration. Cette concentration s’exprime en partie par million (ppm) ou en partie par milliard (ppb pour billion qui est la traduction de milliard en anglais). Ces ppm et ppb sont les équivalents des pourcents, mais rapportés à 1 million (ppm) ou à 1 milliard (ppb). A titre d’exemple, 1 ppm, c’est 1 sur 1 million. De 1750 à 2019, les concentrations atmosphériques sont passées d’environ 280 à 410 ppm pour le CO2, d’environ 800 à 1866 ppb pour le CH4, et d’environ 270 à 332 ppb pour le N2O. Bien que la concentration atmosphérique en CH4 soit environ 220 fois plus faible que celle du CO2, le CH4 est responsable de plus d’un quart du réchauffement en raison de son pouvoir réchauffant plus fort. L’amplitude de ces variations pour le CO2 et le CH4 dépasse de loin celle des variations naturelles entre périodes glaciaires et périodes interglaciaires au cours des 800 000 dernières années. La concentration actuelle en CO2 est la plus haute depuis au moins 2 millions d’années.
Cette augmentation de la concentration en GES est à l’origine d’une accumulation importante d’énergie sous forme de chaleur à la surface du globe. Cette énergie se retrouve à 91% dans les océans, 5% sur les surfaces continentales, 3% dans les glaces (causant leur fonte), et 1% seulement dans l’atmosphère.
Pourtant, cette infime proportion (1%) de chaleur piégée dans l’atmosphère est la principale cause du réchauffement observé depuis 1850 : la température mondiale de surface sur la période 2011-2020 était 1.09°C plus chaude que celle sur la période 1850-1900, avec un réchauffement plus important sur les continents (+1.59°C) qu’au-dessus des océans (+0.88°C). Le réchauffement de la température de surface mondiale directement imputable aux humains est estimé à 1.07°C, soit la quasi intégralité du réchauffement observé. Le réchauffement s’est également accéléré, avec +0.19°C entre la période 2003-2012 et la période 2011-2020. Le rythme du réchauffement sur les 50 dernières années est sans précédent depuis au moins 2000 ans. Les températures actuelles dépassent le maximum de la dernière période chaude datant d’il y a 6500 ans, et il est probable qu’elles dépassent également le précédent maximum datant d’il y a 125 000 ans (FIGURE 1).
L’accumulation de chaleur dans les glaces, quant à elle, a provoqué un retrait des glaciers et de la banquise arctique. Entre les périodes 1979-1988 et 2010-2019, la surface de la banquise arctique a diminué de 40% en fin d’été, sa valeur la plus faible depuis au moins 1850. Le retrait quasi-simultané de la plupart des glaciers de la planète est également sans précédent depuis au moins 1000 ans. De même, l’influence des humains sur le climat est très probablement responsable de la fonte de la calotte groenlandaise durant les deux dernières décennies, qui a été 4 fois plus rapide sur la décennie 2010-2019 que sur la période 1992-1999. En revanche, aucune tendance n’est confirmée pour la calotte antarctique depuis 1979.
La fonte des glaces continentales (glaciers de montagnes, calotte groenlandaise) est également responsable de 42% de la montée du niveau de la mer sur la période 1971-2018. A cela, s’ajoute l’effet de dilatation thermique : le volume d’une masse donnée d’eau augmente lorsque sa température augmente. Cet effet est responsable de la moitié de la hausse du niveau de la mer.
Le niveau de la mer s’est élevé de 20 cm entre 1901 et 2018. D’un rythme de 1.3 mm/an entre 1901 et 1971, l’augmentation s’est accélérée pour atteindre +3.7 mm/an sur la période 2006- 2018. Par conséquent, ce niveau a augmenté plus rapidement depuis 1900 que pendant n’importe quel siècle depuis 3000 ans. Sur la même période, l’océan s’est également réchauffé plus rapidement que depuis la fin de la dernière déglaciation, il y a environ 11 000 ans. En plus d’avoir un effet sur la température et le niveau des océans, la dissolution dans les eaux de surface d’une partie du CO2 d’origine humaine augmente l’acidité des océans. Celle-ci a atteint, ces dernières décennies, un niveau inhabituel sur les 2 derniers millions d’années, ce qui représente un risque majeur pour la biodiversité marine en entraînant le déclin de nombreux écosystèmes.
En perturbant le climat, l’humanité a également provoqué des changements dans la fréquence des événements météorologiques et climatiques extrêmes, globalement plus fréquents et plus intenses depuis 1950. C’est le cas des chaleurs extrêmes dont la fréquence a doublé depuis les années 1980, des fortes précipitations (en particulier pour le nord de l’Europe), des feux de forêt, des inondations ainsi que des ouragans. À cela s’ajoutent les sécheresses des sols dans certaines régions, en particulier le pourtour du bassin méditerranéen, le sud et l’ouest de l’Afrique, et l’ouest de l’Amérique du Nord.
Les possibles climats futurs
Sous l’effet des émissions de GES passées et futures, les changements du système climatique observés au cours des récentes décennies se poursuivront durant tout le XXIème siècle et au- delà. Cela augmentera la probabilité d’impacts sévères, généralisés et irréversibles sur les écosystèmes et les êtres humains.
Les températures continueront d’augmenter sur l’ensemble de la planète – en moyenne 1,4 à 1,7 fois plus sur terre que sur mer, et au moins deux fois plus au Pôle Nord qu’ailleurs (FIGURE 2). La hausse du niveau de la mer et l’acidification des océans se poursuivront. Les vagues de chaleur, les pluies extrêmes et les ouragans violents seront encore plus fréquents et plus intenses, tandis que les vagues de froid se raréfieront. Des évènements extrêmes d’amplitude inédite se produiront à coup sûr. Les glaces terrestres et le permafrost continueront de fondre et la banquise arctique reculera, particulièrement en été. Un été presque sans banquise dans l’Arctique est probable avant 2050, quoi que nous fassions.
Le changement climatique conduira à une intensification du cycle hydrologique (FIGURE 2). Les précipitations seront globalement plus abondantes, surtout dans les hautes latitudes, les tropiques et la plupart des régions de mousson, mais plus variables, au cours d’une saison et d’une année à l’autre. Certaines régions recevront cependant moins de pluie dans le futur, comme la Méditerranée et plusieurs régions subtropicales. En moyenne, les épisodes pluvieux – notamment ceux associés aux moussons – ainsi que les sécheresses seront plus intenses, bien que là encore des variations régionales importantes sont prévues. Le GIEC a d’ailleurs mis en ligne un atlas interactif permettant de visualiser les changements climatiques attendus à l’échelle régionale pour différentes valeurs de réchauffement planétaire.
L’importance de ces changements dépend surtout des émissions de GES à venir. Pour étudier les impacts futurs possibles, le GIEC s’est donc appuyé sur cinq scénarios appelés SSP (Shared Socio-economic Pathways, ou « Trajectoires socio-économiques partagées »). Ces scénarios reflètent diverses possibilités d’évolutions futures en termes de population, de développement économique et technologique et de politiques environnementales (FIGURE 3). Ils vont de scénarios assez optimistes reposant sur de fortes réductions immédiates des émissions de GES (SSP1-1.9 et SSP1-2.6), à un scénario « catastrophe » dans lequel les émissions annuelles de GES tripleraient d’ici 2100 (SSP5-8.5), en passant par des scénarios « intermédiaires » (SSP2- 4.5, SSP3-7.0). Ces scénarios sont ensuite utilisés pour faire tourner des modèles climatiques globaux : des algorithmes qui simulent l’évolution du climat planétaire durant des décennies. Les modèles climatiques utilisés pour ce 6ème rapport du GIEC présentent des améliorations considérables par rapport à la génération précédente.
Le CO2 restant en moyenne un siècle dans l’atmosphère, la température planétaire continuera d’augmenter au moins jusqu’en 2050 quoi que nous fassions au cours des prochaines décennies. Même en cas de réduction immédiate des émissions de GES, la barre des +1,5°C sera atteinte, et a une chance sur deux d’être dépassée d’ici 2040 – dans moins de 20 ans ! Notons que ces chiffres représentent des moyennes sur 20 ans – il est donc probable que les +1,5°C soient atteints ponctuellement bien avant 2040, peut-être même d’ici 2025. Une baisse rapide des émissions permettrait néanmoins de fortement limiter le réchauffement planétaire d’ici 2100, entre 1,4 et 1,8°C, tandis qu’il atteindrait 2,7 à 3,6°C dans les scénarios intermédiaires et 4,4°C dans le pire des scénarios. La barre des +2°C serait ainsi largement franchie avant 2060, sauf dans les scénarios optimistes.
Bien qu’elle puisse sembler anodine, une différence de 0,5°C de réchauffement planétaire a des conséquences majeures, surtout sur les évènements extrêmes. Un pic de chaleur qui se produisait une fois tous les 50 ans il y a un siècle est déjà 5 fois plus fréquent actuellement, alors que la température planétaire n’a augmenté « que » d’1°C. Avec 1,5°C de réchauffement, il serait presque 9 fois plus fréquent, et près de 14 fois plus fréquent à +2°C, tandis qu’à +4°C, il arriverait presque tous les ans. Toute augmentation du réchauffement diminue également l’efficacité des puits de carbone naturels (océans, sols, végétation).
Même si nous arrivons à limiter l’augmentation de température à 1,5°C d’ici 2100, trois changements majeurs sont irréversibles à l’échelle d’une vie humaine : le réchauffement et l’acidification des océans, la fonte des glaciers et calottes polaires et la montée du niveau de la mer. Une réduction future des émissions de GES ne pourra que ralentir sans arrêter ces phénomènes, même si les températures de surface n’augmentent plus. La raison en est que l’inertie des océans et des glaces terrestres est beaucoup plus grande que celle de l’atmosphère. Quoi que nous fassions, le réchauffement passé se fera donc sentir sur des siècles, voire des millénaires.
Dès 2050, le niveau de la mer devrait augmenter d’au moins 18 cm par rapport à la moyenne 1995-2014 quelles que soient les émissions de GES. D’ici 2100, on prévoit une augmentation de 38 cm dans les scénarios les plus optimistes et de 77 cm pour SSP5-8.5. Au-delà, ce niveau continuera à augmenter au fur et à mesure que l’océan profond se réchauffe et que les glaces terrestres fondent – de +0,6 à 1,4 m dès 2150 et +2-3 m durant les 2000 prochaines années, et ce pour un monde plus chaud de 1,5°C seulement. Ces chiffres sont cohérents avec ce que nous savons des climats plus chauds du passé.
Des augmentations encore plus brusques dans les prochaines décennies ne peuvent être exclues. Dans le pire cas, une élévation de 2 m pourrait être atteinte dès 2100, à la suite d’un effondrement partiel des calottes polaires – un évènement certes très improbable mais pas impossible au vu de nos connaissances très imparfaites du comportement des calottes glaciaires dans un monde plus chaud. Un réchauffement supérieur à +3°C pourrait aussi faire complètement disparaître les glaces du Groenland d’ici quelques milliers d’années. D’autres changements climatiques brusques (tipping points, ou « points de bascule ») sont également possibles au cours du XXIème siècle si nous ne parvenons pas à rester sous les +1,5°C, comme la disparition de la forêt amazonienne sous l’effet conjugué du réchauffement et de la déforestation.
Risques climatiques et adaptations régionales
Plus le réchauffement climatique sera important, plus les impacts régionaux sur les sociétés humaines et les écosystèmes seront multiples.
Les précipitations extrêmes et les inondations associées seront plus fréquentes et plus violentes dans de nombreuses régions, dès 1.5°C de réchauffement. Il en va de même des sécheresses. À +2°C, les précipitations moyennes devraient augmenter dans plusieurs régions du monde, notamment en Europe du Nord.
L’urbanisation peut augmenter l’impact des précipitations en exacerbant la pluviométrie et le ruissellement local. La sévérité des canicules sera également amplifiée dans les villes. Pour les villes côtières, les inondations seront plus probables à cause du double phénomène de ruissellement et de submersion marine. Ce dernier phénomène sera aggravé par la poursuite de l’élévation du niveau de la mer et l’érosion des côtes. Les hauteurs extrêmes de la mer atteintes tous les cent ans par le passé pourraient se produire tous les ans d’ici 2100 dans plus de la moitié des sites évalués.
Bien que peu probables, certains évènements comme l’effondrement de la calotte polaire antarctique ou de la circulation océanique atlantique, et le dépérissement des forêts peuvent avoir de graves conséquences sur les humains et les écosystèmes. Ces potentiels points de bascule doivent être considérés dans l’évaluation des risques.
Quant à la circulation océanique atlantique (dont fait partie le Gulf Stream), elle s’affaiblira très certainement au XXIème siècle quel que soit le scénario. Même si une modification brutale de cette circulation est assez peu probable avant 2100, son éventuel effondrement provoquerait un changement abrupt des conditions météorologiques et du cycle de l’eau au niveau planétaire : glissement vers le sud de la zone de pluies tropicales, affaiblissement des moussons africaines et asiatiques, augmentation des moussons dans l’hémisphère Sud et assèchement en Europe.
Tous ces changements peuvent être amplifiés ou atténués temporairement par d’autres phénomènes naturels comme les cycles solaires ou les éruptions volcaniques. Toutefois, il est certain que plus les émissions de GES augmentent, plus la probabilité que ces changements se produisent augmente. De la même façon, des phénomènes extrêmes d’intensité sans précédent apparaitront en des lieux épargnés jusqu’à présent.
Limiter le changement climatique
Un des résultats majeurs de ce rapport est que la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 – le but affiché de l‘Accord de Paris – est impossible sans une réduction majeure et immédiate des émissions de GES, suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. En particulier, cela implique d’arriver à la neutralité carbone (les émissions doivent être compensées par des captures de CO2) peu après 2050. En effet, il y a une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement climatique. Chaque 1000 Gt (Gigatonne = milliard de tonnes) de CO2 supplémentaire augmente la température de surface mondiale moyenne d’environ 0.45°C. Limiter la hausse des températures implique donc de respecter un budget carbone strict.
Entre 1850 et 2019, l’humanité a émis environ 2390 Gt de CO2, dont 64% issus des combustibles fossiles (une fraction montant à 86% pour ces 10 dernières années). Des budgets de CO2 restant à émettre ont donc été estimés à partir de 2020 jusqu’à atteindre la neutralité carbone pour chaque scénario. Par exemple, pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à +1.5°C, il resterait environ 500 Gt de CO2 à émettre. Au rythme actuel, ce budget serait dépassé en 2032. Pour rester sous +2°C, le budget serait de 1350Gt de CO2. Il est aussi notable que malgré la réduction des émissions en 2020 (due au COVID-19), la courbe du CO2 a continué de grimper.
Atteindre la neutralité carbone repose sur l’élimination du CO2 de l’atmosphère, en utilisant des systèmes naturels (végétation, sols, etc.) ou des procédés industriels pour le stocker. Déployées à une échelle suffisante, ces méthodes pourraient permettre de diminuer la concentration des GES dans l’atmosphère. Ceci réduirait le réchauffement et l’acidification des océans et améliorerait la qualité de l’eau. Pour autant, certains impacts dureront des siècles, voire des millénaires, comme la montée du niveau de la mer.
Réduire les émissions de GES aura également un effet positif sur la qualité de l’air. En effet, des aérosols (dont font partie les particules fines) sont souvent émis lors de la combustion de ressources fossiles. Bien que les aérosols renvoient une partie du rayonnement solaire vers l’espace et contribuent à refroidir l’atmosphère, ce refroidissement temporaire est plus faible que le réchauffement provoqué pas les GES. Réduire les aérosols ainsi que les GES permet donc de limiter le réchauffement climatique.
Le climat que les générations actuelles et futures vont connaître dépendra des émissions à venir. Leur réduction rapide limitera les changements. A l’inverse, continuer sur notre lancée conduira à des bouleversements plus importants, plus rapides, qui affecteront progressivement toutes les régions du monde, et auxquels nos sociétés ne sont pas préparées. Certains changements dureront des siècles ou des millénaires : nos choix d’aujourd’hui auront des conséquences pendant très longtemps.