Éducation à l’environnement, éducation par l’environnement - Retrouver le sens de la trivialité
mars 2006
Cette fiche propose un article rédigé pour la revue territoire dans le cadre d’un numéro spécial sur l’éducation à l’environnement.
Le but premier de l’éducation à l’environnement doit être de mieux permettre aux individus de comprendre leur inscription dans les grands équilibres biogéochimiques. De ce point de vue l’approche d’une ferme est d’abord une occasion d’introduire les grandes notions de l’écologie humaine, quitte à rappeler que l’homme est d’abord un flux : la masse de ce qu’il ingère et excrète dans une vie est considérablement supérieur à son poids.
Rencontre avec Matthieu Calame, chargé de mission à la fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’homme.
La fondation pour le Progrès de l’homme possède un domaine rural dans le Vexin, la ferme de la Bergerie, et s’implique sur les questions de développement durable. Comment mobilisez vous la Bergerie dans le domaine de la formation ou de la sensibilisation à l’environnement ? Comment abordez vous la question ?
Au cours du temps, au fil des rencontres, des accueils de groupes d’enfants ou d’adultes, nous avons acquis un certain nombre de convictions. La première, je pense largement partagée par tous les acteurs, c’est que l’éducation à l’environnement n’est pas qu’un enjeu « pédagogique » , c’est un enjeu social et vital pour les sociétés. Il ne s’agit pas de rendre les gens plus savants, mais plus conscients, plus citoyens. En ce sens, l’éducation à l’environnement est autant civique que scientifique. Non que la nature nous enseigne ce que l’homme doit être, la nature ne donne aucune leçon, mais parce que l’homme doit comprendre le monde qui l’entoure pour adopter un comportement durable : un comportement adapté à la réalité qui l’entoure. Ce qui nous donne le sentiment d’extrême urgence, c’est que clairement il y a un « problème » dans la relation des individus à leur environnement. L’homme méconnaît le monde dans lequel il vit et son comportement, ses aspirations, ses peurs, ses tabous et ses rêves ne sont pas compatibles avec les limites des écosystèmes. Nous nous adressons d’ailleurs autant aux adultes qu’aux enfants. En effet, les problèmes de l’écologie sont trop graves pour que l’on s’en remette benoîtement à la sagesse des générations futures.
Notre postulat de base est d’ailleurs que ces problèmes ne se posent pas uniquement en termes de connaissance qui ferait défaut, mais aussi en termes de psychologie. Parler de la vie, des écosystèmes, de l’environnement c’est aussi, c’est même nécessairement parler, excusez-moi la violence des termes, de la merde et du sang. Car c’est aussi cela replacer l’individu dans les grands cycles. Apprendre à prendre conscience d’abord de son inscription dans un « système » , et donc de la réalité des interdépendances et d’autre part de son impact – son empreinte écologique sur le monde. Je vous rappelle que le poids d’un individu est très inférieur au flux qui le traversera sa vie durant : d’un point de vue strictement matériel, avant d’être un corps, un individu est un flux.
Présenter des vaches permet-elle cette prise de conscience ?
Oui, dès lors que l’on parle authentiquement de l’animal, que l’on évite les images « Bambi » aseptisées de la réalité. Bien sûr, on peut broder sur le gentil fermier, la gentille vache, le gentil lait, le gentil yaourt, et la gentille personne qui le mange, sans jamais parler des abattoirs, des usines, des tas de fumiers, des veaux que l’on retire à sept jours à leur mère, des WC, des stations d’épuration, etc. Nous avons pris le parti de parler de l’animal réel. Il naît, il vit, il meurt. Pendant sa vie, il mange, il pisse, il respire, il défèque, etc. Cela paraît trivial. Mais justement, à force de ne valoriser que l’exceptionnel, nous avons perdu le sens de la trivialité.
Ensuite, nous procédons par analogie en faisant ouvertement des parallèles. Oui, la vache « chie » et oui, tout le monde va aux toilettes après avoir mangé. Et oui, tout cela fait des masses colossales de déchets. Et non, le caca ne « disparaît » pas quand on a tiré la chasse. Et oui, il faut gérer tout cela. Il faut rappeler que les boues de station d’épuration forment désormais un problème colossal. On ne peut parler d’environnement sans parler de l’inscription de l’homme dans son environnement. L’amour de la nature doit être complétée par le sens de la responsabilité et donc la conscience de ce que nous sommes et faisons. Parler de la vache en tant qu’animal, c’est l’occasion de nous parler à nous-mêmes de notre animalité que notre société s’efforce trop souvent de cacher et finit par mal gérer. J’observe que les enfants et les enseignants qui viennent sont fascinés par l’idée de se regarder à nouveau eux-mêmes comme ils ne se sont jamais regardés. Passé le premier émoi – pensez que depuis l’âge de quatre ans, on s’est interdit de penser « caca » et que l’on évite toujours de parler de la mort –, les gens adhèrent à l’idée qu’il s’agit de choses simples et omniprésentes qu’il faudra bien apprendre à gérer et à apprivoiser, que l’on ne peut tout simplement pas se contenter de fermer les yeux.
Mais il faut aussi comprendre le cycle.
Tout à fait. Parler du sang et de la merde, ce n’est pas par goût pour le gore ou pour la scatologie. Quand vous emmenez des enfants vers un tas de fumier, c’est d’abord pour leur montrer la suite : le compostage, la naissance d’un des éléments clef de la terre. Quelle surprise de sentir que ce qui nous répugne est devenu humus ! Il se trouve que nous avons également un bout de forêt, et il n’y a rien de plus passionnant que de glisser de la plaine et de sa terre brune à la forêt et à sa terre noire en faisant remarquer que la roche est… blanche ! Roche blanche, compost et terre noire, terre brune des plaines vivant de l’héritage forestier, vous touchez du doigt les principes fondamentaux de la vie aérienne : cette patiente accumulation de matière organique sur les plateaux continentaux. Quand ces principes sont compris, vous pouvez ensuite introduire toutes les notions de bon comportement environnemental et vous pouvez notamment évaluer si l’homme joue pour ou contre le vivant.
Rencontrez-vous des blocages ?
Quand le discours est clair, qu’il part de l’expérience de chacun et qu’il revient, au final, au quotidien de chacun, il n’est pas de notion que l’on ne puisse aborder. La difficulté va plutôt naître des conditionnements psychologiques qui naissent directement d’une dérive sécuritaire. L’hygiénisme et l’asepsie ont tué l’hygiène ! On nous a appris à nous méfier du vivant au lieu de coexister. Au lieu d’aider les gens à comprendre, on les enferme dans des phobies. Hélas, la société construit en permanence ces logiques paranoïaques qui nous amènent finalement aux maladies nosocomiales dans les hôpitaux. Il faut le répéter, l’hygiène n’est pas l’asepsie.
Si vous deviez résumer l’éducation à l’environnement en une phrase.
Rien de ce qui est vivant ne m’est étranger.