MARGE, un projet trinational pour et avec les professionnels-les des quartiers populaires
2019
Union nationale des acteurs du développement local (UNADEL)
Le projet “MARGE“, concernant 9 quartiers ciblés du Rhin supérieur, vise à permettre à l’ensemble des professionnels actifs dans ces quartiers marginalisés de bénéficier d’une ouverture transfrontalière et des connaissances acquises grâce à ce projet. Cette coopération transfrontalière est portée par trois écoles de travail social (Strasbourg, Freiburg et Bâle). Le projet s’est déroulé sur trois ans (2017-2019) et l’ORIV, centre de ressources politique de la ville sur le Grand Est y a été associé dès le démarrage. Le projet a concerné des professionnels et des habitants : associations de quartier, prévention spécialisée, chefs de projet politique de la ville, délégués du Préfet…Un certain nombre d’enseignements ont pu être dégagés concernant les conditions d’innovations sociales, les apports pour les professionnels impliqués-es, la plus-value de la dimension transfrontalière.
À télécharger : marge_fr_small.pdf (5,5 Mio)
Arrière-plans et objectifs
Malgré la similitude des défis vécus par ces quartiers et des actions publiques qui les visent, les administrations compétentes dans le développement social urbain méconnaissent très largement ce qui se fait dans les deux autres pays du Rhin supérieur. Distants parfois seulement de quelques centaines de mètres (Kreuzmatt à Kehl, Port du Rhin à Strasbourg par exemple), ces différents acteurs publics ne se connaissent pas et ne peuvent profiter des potentiels d‘innovation de leurs voisins.
Pour les quartiers frontaliers, la problématique est d’autant plus importante que les populations transitent d’un pays à l’autre.
Parmi les défis communs relevés dans ce premier projet, la coordination entre les administrations publiques responsables des programmes de développement social urbain et la société civile est unanimement considérée comme fondamentale et souvent problématique.
Au niveau de la recherche et de la science, le même constat peut être fait, bien que chaque établissement de formation partenaire du projet ait une expertise sur le sujet, aucune synergie n’a jamais été trouvée – ni cherchée – pour développer un véritable pôle de compétences transfrontalier sur le développement social urbain.
Le projet MARGE poursuivait 3 objectifs :
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Un objectif pratique pour les acteurs des quartiers impliqués dans MARGE: « Promouvoir l’échange transfrontalier pour permettre le transfert de projets innovants dans les quartiers »,
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un objectif pédagogique pour l’ensemble des acteurs du développement social urbain des trois pays : « Développer les compétences transfrontalières des professionnels du développement social urbain par la diffusion des savoirs et des expériences issus du projet par le biais d’un toolkit et d’un programme de formation continue»
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un objectif scientifique pour faire avancer la recherche sur l’échange transfrontalier et l’innovation sociale « Comprendre comment l’échange transfrontalier influence l’innovation sociale dans les quartiers »
La mise en œuvre
Le projet s’est déroulé sur une période de trois ans et comporté différentes phases : faire connaissance (identifier les projets à valoriser), s’immerger (aller sur site et accueillir), transférer les projets (démarche de recherche-action).
Une recherche-action a été menée parallèlement, interrogeant la dimension de l’innovation sociale dans l’échange transfrontalier.
Des textes de référence ont été produits pendant la recherche, permettant d’éclairer les pratiques des trois pays dans les domaines suivants : participation des habitants dans les processus de développement social urbain, coopération entre les administrations, les associations et la population, possibilités et limites de la mixité sociale, prévention des radicalisations.
Un programme de formation tri nationale a été mis en place avec une session par an.
Un document de synthèse (Le toolkit) reprenant des notes thématiques, les projets par quartier, la recherche-action, a été réalisé.
Financement et ressources
Le budget total de ce projet s’est élevé à 1.4M€, dont 600.000€ au titre d’Interreg.
Résultats et impacts
Les leviers de la coopération transfrontalière :
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Au-delà du besoin de traduction, le projet a mis en évidence la nécessité d’avoir des « passeurs de frontières », c’est-à-dire des personnes qui ont une bonne connaissance des différents pays, des habitudes de travail, des jeux d’acteurs… Il s’agit de permettre de comprendre ce qui se joue chez nos voisins, au-delà de la traduction des mots.
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Par ailleurs, il est apparu nécessaire de se détacher une d’une forme de nationalisme méthodologique, c’est-à-dire en généralisant les approches et méthodes aux « habitudes supposées » du pays.
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La durée du projet sur 3 ans s’est bien évidemment confrontée aux changements réguliers de personnes, liés à la vie des organisations. Mais cette temporalité a aussi créé une habitude de la rencontre deux fois par an. La régularité des groupes projets ont permis de créer le collectif et de donner naissance à une communauté transfrontalière.
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La phase d’immersion, sous forme de « voyage apprenant » a amené une dimension réflexive et un recul sur ses propres pratiques. Les acteurs ont pu, chacun à leur rythme, remettre en question « ce qui va de soi »
Obstacles et défis
Le projet a pu rencontrer des limites notamment en termes d’organisation (ex ; lourdeur administrative d’Interreg qui ne permettent pas d’intégrer de nouvelles parties prenantes), la langue et la dimension innovation sociale qui n’a pas pu être systématiquement identifiées.
L’essentiel des enseignements relève de « l’expérientiel », c’est-à-dire le vécu des participants qui est difficile à transmettre (dimension « hypersubjective »). De plus, le temps était limité pour mesurer des transferts sur la transformation des pratiques, sachant que l’innovation suppose également des changements dans les institutions.
Parmi les conditions favorisantes de l’innovation, la position de leadership ou l’inscription dans un réseau de partenaires territoriaux ainsi que la « capacité à agir » sont déterminantes.
Pour les acteurs, l’innovation sociale nécessite de la créativité (sortir de sa zone de confort), de l’audace (oser changer ses pratiques) et de l’expérimentation (passage à l’action).
Leçons apprises et transférabilité (perspectives ?)
Parmi les enseignements, la nécessité de prendre le temps de l’innovation et la prégnance des rapports de confiance entre acteurs : « Les professionnels et les habitants n’ont que peu conscience de la manière dont les relations de confiance sont construites dans leur propre quartier. Nous pensons important d’inclure cette dimension dans les formations transfrontalières à venir afin de permettre à chacun de prendre du recul sur sa propre situation et de pouvoir se laisser inspirer par d’autres formes de relation de confiance. »
Ce que l’échange transfrontalier apporte à l’innovation sociale :
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Une reconnaissance et une mise en visibilité de l’action sur les quartiers populaires, notamment en Allemagne et en Suisse où les dispositifs publics n’existent pas de la même manière qu’en France
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Une confrontation au regard de l’autre, qui a parfois permis la réassurance des acteurs (qui ont pu pour partie être confortés dans leurs pratiques), dimension réflexive de la pratique,
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Analyser la « Participation des habitants-es » sous l’angle des rapports de confiance : « L’organisation sociale de l’interdépendance entre les individus et les institutions, la gestion des risques, des vulnérabilités et des ressources qui en découle » : En France, égalité républicaine et délégation ; en Allemagne, principe de subsidiarité ; en Suisse, recherche permanente du consensus.
Références
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Journées des territoires 2019 « Agir sans subir : les territoires relèvent le défi écologique et social » les 25 et 26 novembre à Paris – Atelier « Évolution du développement social local ? »