Quand la coopération n’est pas la réponse
Le cas du Grand Paris et des transports intérieurs en France
Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012
La coopération territoriale est souvent considérée comme une réponse à de nombreux problèmes territoriaux. Pour décaler le regard, nous proposons ici d’exposer quelques cas où la coopération territoriale n’a pas été envisagée comme la meilleure ou la plus simple.
Le cas du Grand Paris est éclairant à cet égard. Le gouvernement de l’Ile-de-France est souvent critiqué au regard de la très mauvaise articulation entre les ambitions régionales et nationales et les politiques locales. Dans le domaine du logement ou de l’urbanisme, est souvent mis en avant le décalage entre un Etat ou une Région souvent volontariste en matière de développement résidentiel et des communes accusées de « malthusianisme », c’est-à-dire de faibles ouvertures des droits à construire, pour préserver le cadre de vie et, parfois, un confort électoral. Face à cette difficulté, les tentatives de promouvoir une « autorité métropolitaine » pour le logement et l’urbanisme n’ont pas manqué. Toutefois, face à la fronde des élus locaux et, peut-être, la peur face à l’émergence d’un « mastodonte » politique au cœur de la plus peuplée des régions françaises, l’idée d’un grand soir institutionnel a été presque totalement abandonnée après un débat qui a occupé bien des esprits entre 2007 et 2010. L’Etat a trouvé une autre manière d’entrer dans le jeu métropolitain : la loi sur le Grand Paris du 3 juin 2010 prévoit la réalisation d’un métro automatique, principalement de rocade, et des contrats de développement territorial signés par l’Etat et les communes pour déterminer les projets d’aménagement autour des futures stations. Il s’agit ainsi de mettre « du métropolitain dans le local », c’est-à-dire de faire valoir les points de vue de l’Etat dans la définition des politiques locales, sans remettre en cause l’architecture institutionnelle existante. L’esprit des institutions est, lui, remis en cause, parce que cette loi rompt avec la décentralisation des compétences d’urbanisme aux vers les communes, voulue par la loi de 1982. Ce pari va-t-il réussir ? Il est trop tôt pour le savoir, mais remarquons comment, dans cet exemple, la solution de la coopération obligatoire a été progressivement évacuée.
Dans de nombreux cas donc, il apparaît que la coopération n’est pas toujours le meilleur choix, même si le principal problème est lié à la coordination entre acteurs. Sylvain Barone montre comment les déplacements périurbains en transports collectifs ont pu être pris en charge par les autorités locales malgré une segmentation de leurs prérogatives entre selon les types de réseau.
Les transports intérieurs en France sont organisés conformément à la répartition de responsabilités que définit la loi d’orientation pour les transports intérieurs (LOTI) depuis 1982. Les transports urbains sont de la responsabilité des communes et de leurs groupements ; les transports interurbains par route, scolaires et réguliers, sont de celle des départements ; et les transports ferroviaires et routiers d’intérêt régional sont de celle des régions. Mais cette répartition connaît des entorses dans la réalité des territoires, notamment en milieu périurbain. Ces espaces sont issus de la dilatation des bassins de vie urbains. Les décalages entre les espaces fonctionnels et les territoires institutionnels y sont spécialement forts. Pour faire face à cette dissociation prononcée, l’action publique ne s’appuie pas sur une coopération des territoires mais sur des accords entre institutions en charge des transports. C’est ce que met en évidence une recherche menée sur les projets de tram-trains entre banlieue et ville-centre en Alsace, la ligne C du réseau de transport de Toulouse et la ligne 2 de Montpellier. Sylvain Barone formule l’hypothèse que l’organisation des transports collectifs issus issue de la loi LOTI y est dépassée tant du point de vue des territoires que des réseaux qui leur sont « associés ».
Dans ces trois espaces périurbains, se pose la question de l’utilisation de lignes ferroviaires, gérées par les Régions, dont les segments les plus proches des agglomérations intéressent directement les autorités organisatrices des transports urbains.
C’est là un point central de cette étude qui montre que ce décalage entre les espaces fonctionnels et les territoires institutionnels n’a pas de solution dans une institution de coopération de territoire périurbain et/ou urbain. Le traitement de cette dissociation entre le binôme territoires/compétences relève fortement d’une dimension politique. Les dispositifs d’accord entre les acteurs mis en place sont donc très contingents. Cet accord peut donc se réaliser dans un cadre conflictuel, comme c’est le cas autour de la ligne C à Toulouse où le conflit s’est cristallisé sur le fait que la liaison ferroviaire Arènes-Colomiers soit affichée comme une liaison urbaine alors que le conseil régional doit en supporter les coûts, qui sont croissants en raison de l’augmentation du trafic sur la ligne. Pour les trams-trains alsaciens comme pour la ligne 2 de Montpellier, malgré des intérêts propres divergents, les acteurs impliqués parviennent à se coordonner sans que l’un d’entre eux prenne complètement le dessus sur les autres.
Toutefois, c’est avec un retard d’une dizaine d’années environ sur les agglomérations allemandes que les collectivités territoriales françaises réfléchissent à une amélioration substantielle de la desserte ferroviaire des territoires périurbaines. En effet, l’émergence de « communautés de transport » (Verkehrsverbund) au milieu des années 1990, a engagé un dialogue institutionnalisé entre autorités organisatrices des transports urbains et Lander en charge du ferroviaire régionale. Ainsi, dès cette époque, des réflexions sont engagées pour penser conjointement desserte urbaine et périurbaine. Bref, si une coopération institutionnelle n’est pas toujours nécessaire pour qu’un problème soit pris en charge, dans le cas de la desserte des territoires périurbains par les transports collectifs, n’apparaît pas néanmoins comme un facilitateur ?
Sources
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Desjardins Xavier, « Quand le tramway sort de la ville. Réflexion sur la pertinence territoriale des tramways régionaux à partir de l’exemple de Kassel (Hesse, Allemagne), Transports urbains, n° 119, octobre 2011.
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Desjardins Xavier, « La bataille du Grand Paris », L’information géographique, Vol. 74, n° 4, décembre 2010, pp. 29-46.
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Sylvain Barone, « Au-delà la LOTI : les transports périurbains entre réseaux et territoires », Flux, n° 79-80, janvier-juin 2010.