Les aides au logement : une bonne aubaine pour le bailleur

Jean CAVAILHES, enero 2015

La Revue Foncière / Association Fonciers en débat

Entre 50 à 80 % des aides versées par l’État ne bénéficient pas au locataire mais sont empochées par le bailleur, en permettant une augmentation du loyer.

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Les aides au logement : une bonne aubaine pour le bailleur

L’INSEE a publié récemment une étude sur l’impact des aides au logement sur le marché locatif privé. Ces aides personnelles, principalement destinées aux locataires, sont un des principaux outils de la politique du logement. En 2012, elles sont perçues par 5,7 millions de ménages et un budget de 15,8 milliards d’euros leur est consacré (cf. encart). Ces aides « à la personne » ont pris de l’ampleur dans les années 1990 : de 1991 à 2000, augmentation des deux tiers du nombre de ménages concernés (puis stabilisation) et de 1991 à 2012, augmentation de 160 % du budget. Il est donc naturel de faire une évaluation économique de ses effets. L’INSEE a réalisé cette évaluation en comparant la situation d’agglomérations situées juste audessus de la barre de 100 000 habitants et juste au-dessous de cette barre, sachant qu’au-dessus (zone II) les aides sont plus importantes qu’au-dessous (zone III) ce qui permet d’évaluer leur impact (définitions : cf. encart). Les résultats montrent qu’en raisonnant toutes choses égales par ailleurs les loyers de la zone II sont supérieurs de 5,3% à ceux de la zone III. Cet écart n’est pas dû à des logements plus grands ni de meilleure qualité (la condition « toutes choses égales par ailleurs » est respectée). Il est dû à ce que l’institut appelle un « effet inflationniste » : le bailleur, qui sait qu’il loue à un ménage aidé (l’aide peut lui être directement versée), augmente le loyer, en moyenne de 5,3%). Pour les ménages modestes, l’augmentation est en moyenne de 6,7%. En réalité, l’effet des aides sur le loyer est supérieur : ces chiffres sont l’estimation de la différence entre le loyer de la zone II et de la zone III, mais il n’y a pas de raison pourque les aides n’aient pas aussi un effet inflationniste dans la zone III, qui s’ajoute à la différence entre les deux zones. Deux articles d’Économie et Statistique, revue de l’INSEE, avaient déjà présenté des résultats voisins, à partir de sources et de méthodes différentes 1. D’autres travaux à l’étranger font état du même « effet inflationniste » des aides au logement locatif. L’article de G. Fack apporte un résultat supplémentaire : 50 à 80 % des aides versées par l’État ne bénéficient pas au locataire mais sont empochées par le bailleur, grâce à cette augmentation du loyer. Celui de Laferrère et le Blanc présente une analyse théorique très complète des effets attendus des aides au logement locatif. Les mécanismes en jeu sur le marché qui expliquent ces résultats concernent l’offre et la demande. Du côté de la demande, les ménages aidés recherchent des logements un peu plus grands, ou plus confortables, et d’autres ménages arrivent sur le marché (par exemple des étudiants qui décohabitent). Bien qu’une partie de l’augmentation du revenu total que procurent les aides se porte sur d’autres biens que le logement, il y a donc une augmentation de la demande de logement, qui est quasi-instantanée. L’offre ne réagit pas de la même manière. À court terme, l’offre est fixe car pour qu’elle augmente il faut construire de nouveaux logements, ce qui demande du temps. L’augmentation des loyers résulte mécaniquement de l’augmentation de la demande face à une offrefixe. Cette augmentation accroît automatiquement le rendement du placement du bailleur. Les résultats statistiques obtenus, augmentation du loyer et captation par le propriétaire d’une part de l’aide accordée au locataire, sont cohérents avec cette analyse théorique. Le marché devrait ensuite poursuivre son ajustement de la façon suivante : le rendement d’un placement dans l’immobilier locatif augmentant, l’offre devrait être stimulée soit par la construction neuve soit par des travaux de rénovation dans le parc existant. À terme, une offre accrue devrait donc répondre à la demande accrue, conduisant à un nouvel ajustement sur le marché où la sur-rente due à la captation des aides par le propriétaire devrait disparaître. Le hic est que l’offre ne réagit pas ainsi, tout au moins dans le moyen terme (mais le long terme nous importe peu car « à long terme nous serons tous morts », J.-M. Keynes). Comme le disent les économistes, « l’offre est inélastique au prix ». C’est cette inélasticité de l’offre que met en évidence l’étude de l’INSEE. Dans la zone II, où les aides sont plus importantes que dans la zone III, la part du logement privé dans le parc locatif de la commune reste stable (pas d’augmentation des constructions neuves 2), la surface habitable des logements n’augmente pas, et le confort non plus 3. L’INSEE conclut que « cette absence d’effet qualité ou quantité signifie que l’offre de logements ne semble pas s’être adaptée à la différence de niveau des aides ». Dans ces conditions, si l’offre n’augmente pas en quantité ni en qualité (ou qu’elle augmente très lentement) face à une demande accrue, l’effet « inflationniste » sur le loyer est durable : c’est durablement que le propriétaire empoche tout ou partie de l’aide destinée au locataire (en théorie, il devrait s’approprier la totalité de l’aide).Deux questions découlent de cette analyse. Premièrement, pourquoi l’offre de logements locatifs n’augmente-t-elle pas, ou pas assez vite ? La réponse dépasse le cadre de cette note. Disons seulement ici que le loyer n’est pas le seul facteur du rendement d’un placement locatif : si un investisseur anticipe une moins-value de son patrimoine, due à une baisse attendue des prix immobiliers, il va placer ses capitaux ailleurs, en quête d’une meilleure rémunération. On peut penser que cette explication joue aujourd’hui un rôle dans un marché immobilier orienté à la baisse. D’autres facteurs interviennent pour expliquer cette rigidité de l’offre, comme les dispositifs des aides à l’investissement dans l’immobilier locatif, la disponibilité et le prix de terrains biens localisés, etc. Deuxièmement, pourquoi maintenir une politique très coûteuse (près de 16 milliards d’euros en 2012) si elle est inefficace ? La réponse est double (au moins). D’une part, il y a un « effet cliquet » : les loyers ne diminueraient pas, ou pas d’un coup, si le robinet des aides était brusquement coupé, ou ralenti, ce qui ferait près de 6 millions de ménages mécontents. D’autre part, cette politique n’est pas une « fausse bonne idée » comme le disent certains commentateurs. Elle présente, d’un côté, un caractère social, puisqu’elle se présente comme une aide aux ménages à bas revenu et, d’un autre côté, elle satisfait un autre groupe social, celui des propriétaires bailleurs à qui elle apporte une sur-rente. Elle fait donc deux fois mouche, ce qui n’est pas pour déplaire à certains décideurs politiques.

Les aides au logement

Les aides au logement sont constituées de l’aide personnalisée au logement (APL pour 7,1 milliards d’euros en 2012), qui est aussi accessible aux accédants à la propriété, l’allocation de logement familiale (ALF pour 3,7 milliards) et l’allocation de logement sociale (ALS pour 5 milliards), qui s’adresse principalement aux étudiants et aux petits ménages. Les conditions d’éligibilité réservent ces aides aux ménages à faible revenu. Elles sont versées directement au bailleur (ce qui est systématique pour l’APL) ou au locataire. Le nombre de ménages bénéficiaires a presque doublé au cours des années 1990 et il se maintient au niveau de près de 6 millions de ménages dans les années 2000. Le montant de l’aide par locataire est, en 1992, de 231 euros mensuels en moyenne. Il s’agit d’aides «à la personne», instaurées par la loi du 3 janvier 1977 du premier ministre R. Barre, suite à un rapport qu’il avait présenté en 1975. Jusque-là, la politique du logement reposait essentiellement sur des aides « à la pierre », qui aidaient les constructeurs afin de résorber la pénurie de logements, considérable après la Libération. Les aides à la pierre se sont ensuite progressivement réduites et ne représentent plus aujourd’hui qu’une part marginale des aides. Le montant des aides dépend d’un zonage établi en 1978, resté presque identique depuis. L’agglomération de Paris constitue la zone I. La zone II regroupe les agglomérations plus de 100 000 habitants, les franges de l’Île-de-France et des zones à marché tendu. La zone III correspond au reste du territoire. L’étude de l’INSEE a porté sur le segment du marché des agglomérations juste au-dessus et juste au-dessous de la barre des 100 000 habitants (zones II et III). Les conclusions restent valides si les autres segments du marché se comportent de la même manière.

1 Laferrère A., le Blanc D., 2002, « Comment les aides au logement affectent-elles les loyers ? », Économie et Statistique, n° 351, p. 3-30. Fack G., 2005, « Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? L’incidence des aides au logement en France (1973-2002) », Économie et Statistique, n° 381-382.

2 L’INSEE montre que « l’augmentation des aides liée au zonage semble n’avoir aucun impact sur le nombre de logements locatifs offerts, tel que mesuré par la part du secteur locatif privé dans la commune. L’effet sur le nombre de logements, et non pas leur part, est également non significatif ».

3 L’INSEE montre que « les aides plus importantes dans la zone II n’auraient eu aucun effet sur la qualité des logements locatifs privés, telle qu’elle peut être mesurée dans les enquêtes via la présence d’une salle de bain, de WC, la surface du logement, le nombre de pièces, la présence d’un jardin, d’un garage, d’un balcon, le dispositif de sécurité du logement (alarmes, portes blindées), la qualité de l’isolation, le nombre de logements dans le bâtiment ». G. Fack obtenait le même résultat dans son article de 2005 : l’augmentation du loyer des logements aidés n’est pas due à une amélioration de la qualité.

Referencias

La Revue Foncière N°3, janvier-février 2015, pp.28-29