Jeunesse, ville et emploi en Afrique
2010
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
En octobre 1992, un colloque s’est tenu à Paris sur le thème «Jeunes, Ville, Emploi. Quel avenir pour la jeunesse africaine ?» sous l’égide du Ministère de la Coopération et du Développement. Plusieurs membres de l’AITEC ont participé au comité scientifique qui était présidé par Emile Le Bris. Cette rencontre a été prolongée par un programme JVE d’une durée de trois ans (1993-1996). Le point de départ du colloque « Jeunes, ville, emploi » a été le constat de l’inadéquation des interventions sur l’Afrique recouvrant les problèmes de la jeunesse africaine, ceux de la ville et ceux de l’emploi. Au début des années 90, on prend progressivement conscience des conséquences de l’irruption des jeunes sur la scène urbaine africaine, où parfois les moins de vingt-cinq ans représentent les deux tiers de la population. 20 ans après « l’explosion urbaine », le colloque JVE a permis de reposer en des termes nouveaux la question du changement social et politique.
Le schéma d’organisation du colloque était ambitieux, alternant séances plénières et ateliers. Les plénières, conçues comme des lieux de discussions thématiques autour de questions classiques traitées dans un texte d’orientation, ont fait l’objet d’une double interpellation par des panélistes et par le public. Les huit ateliers consacrés à l’exposition d’études de cas se sont attachés à décrire des pratiques et des politiques ou, éventuellement proposer des alternatives à ces politiques. Au total, une cinquantaine d’études de cas ont été présentées illustrant l’extrême diversité des situations de la jeunesse africaine. Le colloque a permis de mieux cerner, aux plans des idées et des expériences concrètes, la véritable triple rupture historique des jeunes citadins africains : rupture sociologique en particulier l’érosion des solidarités, rupture économique dramatiquement soulignée par la dissociation irrémédiable du couple formation-emploi et rupture politique dans une jeunesse urbaine promue acteur légitime d’une transition démocratique trop souvent contrariée.
Pour Annik Osmont, la crise du développement, de la modernité, de la citoyenneté, est inséparable de son lieu de déploiement essentiel, la ville, s’exprimant comme crise de l’urbanité. En effet, les jeunes urbains du début des années 90 ont été le produit massif d’une croissance urbaine débridée, incontrôlée, qui dans les grandes villes les rendaient à la fois majoritaires sur un plan démographique, et marginalisés ou exclus sur un plan social. Lors de la première séance plénière, Annik Osmont a souligné la nécessité d’être attentif aux formes d’expressions culturelles de la jeunesse urbaine. Elle a proposé d’analyser les thèmes et les signes d’une construction imaginaire de la ville chez les jeunes « à la fois revendication d’une histoire trop niée par leurs pères, et revendication d’une naissance à la modernité. » Elle observe qu’il est possible de saisir cette culture urbaine des jeunes au moins à trois niveaux : celui d’une « prise » sur la ville moderne par un affichage des signes de la consommation comme le phénomène de la sape ; le souci de s’affirmer comme groupe social spécifique, à travers notamment des formes de langage comme le tag ou le rap qui les intègrent à une sorte d’internationale de la jeunesse urbaine marginale ; et l’occupation délibérée du champ culturel artistique le plus large.
Lors d’une autre séance plénière, Gustave Massiah a souligné la nécessité de soutenir les initiatives des jeunes considérés comme des citoyens et des créateurs, et d’autre part de définir le cadre institutionnel qui permettra à ces initiatives de naître, de se développer et de favoriser les changements structurels dans chacune des sociétés. Il prolonge la réflexion en direction de la revendication démocratique «Pour la jeunesse, il s’agit d’un impératif qui a trouvé son expression dans les espaces d’autonomie, individuels et collectifs, qui ont éclos dans les quartiers. » Concernant l’emploi, des réflexions ont porté sur la nécessité de desserrer les contraintes socio-économiques et politiques pour des villes productives. Selon Gustave Massiah, il s’agit des contraintes intérieures, socio-économique et politiques, qui se concrétisent dans des régimes inadaptés, et extérieures qui se traduisent par des programmes d’ajustement, une gestion de la crise de la dette, une organisation du commerce international qui reproduisent, et aggravent des situations dramatiques. En effet, « le problème des jeunes apparaît de manière brutale dans les coupes sombres opérées au titre de l’ajustement structurel. On retrouve là des analyses qui ont été produites dans le groupe financement du développement (aitec.reseau-ipam.org/spip.php?rubrique45) de l’AITEC.
Plusieurs leçons pour l’action ont émergé, parmi lesquelles, la nécessité de dépasser la juxtaposition de solutions sectorielles, l’urgence d’un desserrement des contraintes, l’importance d’une meilleure définition entre l’associatif et du politique, en particulier dans la promotion de l’idée municipale, et le devoir de contribuer à l’émergence de pôles de réflexion autonomes en Afrique. Suite à ce colloque, une « charte pour l’action » a réunit partenaires publics et privés. Le fond d’aide et de coopération-Jve1 d’une enveloppe de 10 millions de FF sur trois ans (1993-1995) a permis de développer plusieurs volets : recherche (équipes africaines et françaises associées pour élaborer de nouvelles méthodologies d’identification et d’évaluation de projets) ; une bourse d’appui aux projets opérationnels présentant un caractère intersectoriel, portés par des opérateurs locaux et visant le long terme, etc. Trente projets ont été effectivement financés et une base de données capitalisant les réflexions et les expériences créée.
En 1996, le séminaire de Ouagadougou a été l’occasion de dresser le bilan de trois années du programme et de dégager des perspectives notamment la poursuite au niveau international dans le cadre de la conférence Habitat II (voir encadré ci-dessous).
1 Selon Emile Le Bris, lors du programme JVE, une partie significative de la coopération non-gouvernementale française a commencé à contester aux chercheurs professionnels français leur monopole du savoir scientifique. Cette contestation s’est pleinement manifesté quelques années plus tard dans la conception et l’exécution d’un programme du GRET et de ENDA sur l’exportation en Afrique du modèle de « développement social urbain ». (voir Le Bris, Emile, La recherche urbaine française sur les pays en développement : rétrospective des années 90 – AITEC, 2000)
Referencias
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Colloque Jeunes, ville, emploi : Quel avenir pour la jeunesse africaine ?, Actes du colloque, ministère de la Coopération et du Développement, 1993 (textes réunis par Emile Le Bris et Fanny Chauveau) – disponible à l’AITEC
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Séminaire « jeunes, ville, emploi ». Bilan et perspectives. Actes. 27 au 29 février 1996 Ouagadougou, Burkina Faso.- Source bibliographique Paris, ministère de la coopération, 1996.- 150 P., tabl., fig., ann.
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GRET, Associations et municipalités, acteurs ou figurants du développement local urbain en Afrique ? : autour de l’appui du GRET au programme Jeunes Ville Emploi du Bénin, Séminaire Développement institutionnel, 2 octobre 1998 www.gret.org/ressource/pdf/cooperer10.pdf.
Para ir más allá
Le séminaire de Ouagadougou avait pour objectif de dresser le bilan de trois années de phase expérimentale du programme JVE et de dégager les perspectives d’avenir. Au cours des trois années du programme de nombreuses actions ont été entreprises, les nombreuses initiatives prises par les jeunes traduisent assurément la volonté réelle de la jeunesse de s’intégrer dans la vie de la cité. Les rapports ont montré combien l’insertion professionnelle et sociale des jeunes citadins africains se fait de manière complexe et diverse: associations culturelles et sportives, groupements d’intérêt économique, le bilan qui a été tiré et les perspectives qui ont été tracées sont une base solide pour la poursuite et l’approfondissement de la réflexion et des actions en faveur de l’intégration de la jeunesse urbaine en Afrique.