Des propositions partagées et durables sur le partage de l’espace public

2005

Conseil National des Transports (CNT)

Cette fiche a été sélectionnée et revue par Régis RIOUFOL, contributeur de la démarche « Une Voirie pour Tous » du CNT, coordonnée par Jean-Charles POUTCHY-TIXIER et Hubert PEIGNE.

Cette fiche présente des propositions et des recommandations de mesures opérationnelles dans la réalisation des espaces publics et de la voirie. Offrir une qualité de voies publiques répondant aux besoins de tous, garantir l’accessibilité pour tous, veiller au respect des personnes et des règles et assurer la sécurité des trajets sont autant de recommandations développées dans cette fiche.

Introduction

Quatrième phase de l’approche systémique de l’espace public1 avant la mise en œuvre des mesures opérationnelles, l’élaboration de propositions partagées et durables est plutôt l’aboutissement logique des trois phases précédentes qu’une phase supplémentaire.

Ces propositions vont beaucoup dépendre du contexte local, mais elles ne pourront être considérées comme « durables » que si elles sont cohérentes, intégrant les diverses échelles territoriales et avec un traitement particulièrement soigné des interfaces articulant les différents espaces, intégrant aussi l’exploitation, l’entretien et l’amélioration de ces espaces dans un dispositif efficace de suivi.

Quelles sont les plus « durables » ? De nombreuses propositions et recommandations sont formulées dans les différentes parties de ce document. Il convient pour cela de se référer à la liste récapitulative des propositions et recommandations. Mais il n’y a pas de recommandations plus efficaces que d’autres. C’est agir simultanément, ensemble et dans la durée sur plusieurs leviers d’action qui produira des effets durables et efficaces.

Georges MERCADAL, Vice-président de la Commission Nationale du Débat Public, effectue les recommandations suivantes 2 : « L’action doit se fonder sur deux principes : d’abord agir simultanément sur tous les paliers en profondeur du phénomène afin de déclencher une autre cohérence et construire un autre engrenage. Ensuite agir à chaque pallier en favorisant les paramètres alternatifs ou substituables à ceux qui figurent dans l’engrenage de la mobilité, plutôt que de contraindre autoritairement ces derniers ».

Pour sortir de ces abstractions, tentons trois suggestions à trois niveaux de profondeur :

Quatre recommandations « partagées et durables » vont être approfondies par la suite : offrir une qualité de voies publiques répondant à tous les besoins, garantir l’accessibilité pour tous face à l’exclusion, veiller au respect des personnes et des règles, assurer à tous la fiabilité, la continuité et la sécurité des trajets.

Offrir une qualité de voies publiques répondant à tous les besoins

La démarche qualité qui s’applique aux voies et aux espaces publics doit répondre à tous les besoins, et non à la seule demande des automobilistes. Sur le terrain, les résistances sont toujours tenaces, durables, renforcées par l’invocation de la complexité croissante des choses (le droit, les conflits d’usage, les nouveaux véhicules, etc.) qui justifieraient de ne pratiquer sur les voies publiques aucune discrimination, ce qui, on le sait par expérience, signifie toujours l’éviction des plus faibles (modes lents, usagers vulnérables, publics à mobilité réduite) par les plus forts.

La démarche qualité des voiries doit être aussi conduite dans une perspective d’optimisation du fonctionnement des espaces publics : qualité des espaces de vie, qualité de la conception des espaces, qualité des espaces de villes, qualité du design urbain, qualité spatiale, qualité temporelle des voiries, qualité d’exploitation, qualité de gestion, qualité quotidienne par la sécurité et la propreté, qualité permanente par la maintenance et l’entretien. Cette démarche qualité va au-delà de la seule conception. Tous les acteurs méritent d’être guidés dans cette démarche.

Ce qui réaffirme d’une autre façon la nécessité qu’un nouveau guide méthodologique et technique général concernant la voirie et les espaces publics urbains, avec par exemple des fiches et une mise en ligne, soit établi. Cela permettra une pertinence et une cohérence globale et de détail pour aller de la planification stratégique à l’opération ou l’intervention individualisée.

L’exercice est difficile, car les réponses doivent s’y montrer ouvertes, diverses selon les cas, parfois divergentes avec l’aménagement physique, voire dans certains cas contraires à « ce qu’on a toujours fait ». Mais nous n’entrerons pas davantage dans les détails ici.

Garantir l’accessibilité pour tous face à l’exclusion

Il faut « boucler la boucle » et s’assurer que ce principe est bien respecté dans les propositions qui seront effectuées d’un commun accord pour les voiries et espaces publics.

Mais là aussi les résistances sont tenaces et durables pour changer le concept de normalité dans l’esprit de tous les acteurs et pour faire perdre l’habitude de se référer aux hommes actifs, jeunes et dynamiques pour dimensionner les voies et espaces publics.

L’intégration des contraintes d’une voirie accessible et sûre pour les personnes à mobilité réduite, les modes lents, les transports publics, les marchandises, permet de concevoir des espaces en se référant aux difficultés des plus faibles et effectuer ainsi des améliorations profitables à tous. On rejoint ainsi des recommandations telles par exemple celles sur les livraisons de marchandises ou les transports publics concernant les métiers de chauffeurs livreurs ou de livreurs à domicile - accompagnateurs, qu’il convient de considérer comme des personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap.

Garantir l’accessibilité à tous face à l’exclusion, c’est d’abord comprendre le vécu qu’ont et qu’auront les personnes à mobilité réduite avant toute décision d’aménagement ; c’est prêter une attention particulière aux personnes qui n’ont pas le choix, qui sont exclus de facto de la vie urbaine ou qui n’ont d’autre choix que de prendre ce qui existe.

Une attention particulière doit être portée à homogénéiser les approches et assurer les cohérences entre les centres et les périphéries, sans privilégier ostensiblement les centres-villes. Il y a en effet de forts enjeux de ségrégation sociale et spatiale entre certains centres et certaines périphéries, mais cette ségrégation est davantage liée à un déséquilibre dans la politique urbaine globale correspondante que dans le seul traitement de l’espace public.

Créer des espaces publics sophistiqués en centre-ville risque de trop valoriser un centre déjà embourgeoisé et d’en détruire toute mixité génératrice de richesse urbaine, en chassant en périphérie des habitants et des activités économiques qui s’y retrouveront marginalisés, voire exclus en l’absence de moyens efficaces de déplacement et de transport.

A l’inverse, enclencher une requalification des quartiers par la requalification des espaces publics avec les habitants est une méthode qui a fait ses preuves, notamment dans des villes comme Barcelone où l’esthétique ne vient qu’appuyer la satisfaction des besoins des habitants.

Veiller au respect des personnes et des règles

L’équilibre de la vie en société dépend d’un respect des personnes et d’un respect des règles, notamment des règles de stationnement, des règles de respect des espaces piétons, des règles de non-encombrement des espaces publics.

Ne pas respecter la règle, c’est inciter tous les autres à en faire autant. Non seulement personne n’y gagne, mais tout le monde y perd. C’est aussi amener ceux que l’on gêne, et ils existent toujours même quand nous n’en sommes pas conscients, et souvent en grand nombre (les personnes à mobilité réduite, les scolaires, les cyclistes obligés de faire des écarts, les livreurs qui vont empiéter plus loin, etc.) à enfreindre une autre règle ou à en faire autant non loin de là, en fin de compte au détriment du plus grand nombre, voire de tous. Aucune excuse hypocrite n’est à accepter : Non, ce n’est pas vrai que « J’en ai pour une minute ! » ou que « Je ne gêne personne !". Sortir de la jungle, c’est définir des règles et les faire respecter.

L’État doit donner aux collectivités territoriales des moyens de définir leurs règles et de mettre en œuvre leurs politiques urbaines, telles la décentralisation et la dépénalisation du stationnement payant sur voirie, l’institution d’un code de la rue, la possibilité pour les collectivités locales de mettre en œuvre des taxes et des tarifications (taxation progressive du stationnement, péage urbain, taxation des parkings, tarifs des transports publics).

Les collectivités territoriales doivent s’assurer de l’efficacité du système de police et de répression, qui va nécessairement avec l’instauration des règles. Pour cela, elles doivent afficher des objectifs au service de tous au premier rang desquels figurent les publics à mobilité réduite et les usagers vulnérables. Ainsi, respecter la règle, c’est respecter les gens.

Il est recommandé en outre d’amplifier la politique du respect des règles en la fondant sur deux piliers : un pilier « contrôle - sanction » et un pilier « efficacité mesurée et publicité de cette efficacité pour le bénéfice de tous », comme par exemple la garantie de temps de parcours ou le maintien d’une vitesse d’écoulement malgré des restrictions de nombre de voies.

L’annonce et l’application d’un système de police et de répression effectif se doivent d’être ciblées, motivées, concentrées dans un premier temps sur un territoire expérimental, avec des mesures transitoires (par exemple avec un tarif progressif des Procès-Verbaux sur un mois avant application de la sanction maximale), appuyées éventuellement par une contribution spécifique de l’État préalablement à une généralisation de procédés (mise en place de fourrières à deux roues motorisés par exemple), assorties d’un engagement de rendre compte à la population.

Assurer à tous la fiabilité, la continuité et la sécurité des trajets

Les différents publics doivent pouvoir aller d’un point à un autre en toute fiabilité et cheminer en toute sécurité, sans rencontrer d’obstacles, quel que soit leur mode de déplacement. Il s’agit à la fois d’un principe de base, d’une finalité à atteindre et d’une recommandation pour agir. Il a été énoncé au niveau des principes que les cheminements les plus courts et les plus sûrs sont à affecter aux modes non motorisés.

Pour les modes de déplacement doux, cela signifie aussi offrir des trajets courts, directs, sûrs, continus, confortables, agréables, lisibles, éclairés, avec des possibilités de stationnement, entretenus. C’est également permettre aux modes semi-lents d’avoir un espace de circulation à vitesse intermédiaire (6-15 km/h). Ces exigences doivent concerner toutes les catégories de publics, dont les scolaires, les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite… C’est exigeant, mais c’est absolument normal.

Cette exigence doit d’abord se traduire par l’action de libérer les trottoirs. Un nouveau type de règle pourrait d’ailleurs être institué pour assurer en permanence des cheminements accessibles et de largeur suffisante aux personnes à mobilité réduite par l’instauration d’une bande devant être toujours dégagée de tout obstacle, à l’instar de ce qui se pratique sur les chaussées en carrefour pour laisser une bande libre de tout véhicule.

Mais libérer les trottoirs nécessite aussi d’élargir la réflexion sur l’accueil de certaines fonctions dans l’espace public, et chercher d’autres alternatives. Des actions sont à développer par exemple concernant les ordures et les déchets. La poubelle sur trottoir n’est pas une contrainte impérative et d’autres solutions sont à mettre en œuvre…

Les actions de libération des trottoirs doivent s’appuyer au départ sur les habituelles questions de priorités : sur ce trottoir-ci, dans ce quartier et cette ville, qu’est-ce qui a priorité, selon quelle hiérarchie, quelles contraintes, quelle tolérance (au partage de l’espace avec d’autres usages ; à un éloignement, même limité…) ? On recherche là aussi comme précédemment des réponses ouvertes sortant du cadre habituel de « ce qu’on a toujours fait ».

Supprimer le stationnement sur voirie est une action phare pour les voies extrêmement convoitées. Lorsque qu’une voie représente un espace rare, elle doit être dédiée en priorité aux déplacements (couloir bus, aménagement cyclable,…) ou aux activités humaines de proximité (rencontre, stationnement de vélos, commerce,…) qui ne peuvent pas être localisées ailleurs. On doit donc rechercher soit la suppression de ces places, soit leur transfert (en particulier pour les résidents), par exemple sur un espace proche, qu’il soit public ou privé. Cela nécessite le cas échéant d’y consacrer le temps (par une politique foncière) et les moyens nécessaires. C’est ce que montrent beaucoup de villes, notamment petites et moyennes, de Hollande, de Suisse ou d’Allemagne. C’est ce qu’il convient de reformuler dans le contexte des villes françaises.

Une autre orientation majeure est de réduire la vitesse dans la ville de la vie quotidienne. Ce n’est pas, comme nous l’avons vu, la fin de la vitesse en ville : c’est la fin de la vitesse là où, pour un gain de temps douteux et, en toute hypothèse, très marginal, elle empêche le développement de la vie locale, qui n’a pas d’autre espace où s’exprimer.

La traduction de cette orientation est multiple. C’est d’abord promouvoir la règle des allures homogènes. Dans la segmentation fréquemment adoptée de la gamme des vitesses (0/30, 30/50, 50/70 km/h) ne pas hésiter à affiner la segmentation de la tranche 0/30 (par exemple 0/6, 6/15, 15/30) et travailler en particulier les mesures nécessaires à l’insertion de la tranche 6/15, en forte croissance, en conflit potentiel avec la tranche 0/6 des plus vulnérables.

C’est aussi agir pour abaisser fortement les pointes de vitesse, par des mesures telles que mélanger certains modes, réserver l’accès aux véhicules circulant à vitesse adéquate, simplifier les règles pour favoriser le mélange, ralentir par certains aménagements techniques, par une gestion adaptée du réseau de voirie et des conditions de trafic, etc. C’est aussi faciliter la maîtrise des temps de déplacement par une meilleure connaissance de ces temps et par des mesures de régulation qui en garantissent le respect.

C’est enfin avoir une politique pour étendre la surface des zones 30 à l’ensemble des zones délimitées par les voies principales en visant à la création de quartiers 30, voire de villes 30 à l’instar de ce qui se passe chez nos voisins européens.

1 Voir les fiches du même dossier : « Approcher l’espace public comme un véritable système », « Mettre en place le processus de décision » et « Favoriser l’appropriation collective ».

2 « La mobilité, « phénomène social global ? » », Georges MERCADAL, conclusion de « Mobilités, le temps des controverses », Cahier du Conseil n° 7, CGPC, janvier 2003.

Sources

Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 1 : Rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2004, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005

Une voirie pour tous - Tome 1- pages 94-98