Conditions de diffusion élargie des travaux issus de la capitalisation d’expériences
Pierre Calame, janvier 2018
Pour que les enseignements issus des travaux de capitalisation de l’expériences puissent être attrapables par d’autres et mobilisables là où ils se situent, il convient de définir des dispositifs dédiés répondant à la question :
Quelles sont les conditions pour que ce travail de capitalisation d’expériences débouche sur un partage de sens le plus large possible ?
Mon expérience me suggère que les acteurs eux-mêmes de la capitalisation d’expériences n’ont aucun mal à s’approprier les principes directeurs car ils ont activement contribué à les construire et que d’autres acteurs travaillant sur les même sujets n’ont guère plus de difficultés à se les approprier. La question difficile est de savoir comment faire des conclusions de la capitalisation un levier de transformation. Cela suppose deux choses. La première, dans l’idéal, est que naissent de ce processus circonscrit dans la durée de véritables communautés apprenantes désireuses de promouvoir ces principes directeurs et d’en faire un outil de transformation de leurs propres pratiques. Sans cela en effet le risque est toujours là de transformer les principes directeurs en une connaissance « descendante » allant des « sachant » aux « ignorants ». C’est ainsi que devrait se boucler le cycle de médiation.
Mais il faut aussi que ces principes directeurs puissent transformer le cadre institutionnel lui-même dont on a vu, avec l’exemple de Caracas, qu’il était souvent un obstacle rédhibitoire à leur mise en œuvre. Cette coproduction de connaissances avec les acteurs doit donner l’envie à d’autres acteurs d’être à leur tour producteurs de connaissances, de sortir de leur simple rôle d’exécutants. Reste à savoir à quelles conditions l’énoncé collectif de ces principes directeurs est en mesure de transformer un cadre légal, institutionnel, juridique et financier. On ne peut, soyons honnêtes, en être certains d’avance. Tout ce que l’on est en mesure de faire c’est de produire un savoir jugé par tous légitime d’une part parce qu’il est enraciné dans l’action, d’autre part parce qu’il a été construit collectivement.
Ce qui est certain, c’est que la capitalisation d’expériences transforme le regard des autres sur les praticiens. Je voudrais vous l’illustrer pour terminer par une anecdote que je trouve très jolie. Il y a vingt cinq ans, la fondation avait accompagné, au Pérou, un processus de valorisation des savoirs paysans andins. Dans l’esprit de ce que je vous ai raconté, des intellectuels preneurs de notes avaient consigné dans les fiches de cas ce que de simples paysans avaient à raconter de leurs savoirs.
Un jour, un paysan andin, avec tout ce que cela veut dire dans ces pays, est arrêté par un policier qui lui demande ses papiers d’un ton peu amène. Le paysan sort sa fiche et lui dit : « je suis un auteur Monsieur ». Et l’autre de s’excuser. Je trouve cette anecdote très touchante parce qu’elle illustre le changement de statut de l’acteur dès qu’il se positionne dans un autre registre, celui de la construction collective de savoirs. Quelle rupture avec la tradition de l’action publique dans tant de pays où l’on ne fait pas confiance à la capacité réflexive des acteurs eux-mêmes et où on les traite de manière paternaliste en faisant descendre sur eux, par le biais de la vulgarisation, une rationalité qui vient d’ailleurs !