Le transport public : un enjeu vital pour les villes d’Afrique sub-saharienne
Mohamed MEZGHANI, 2011
En matière de transports, on a souvent tendance à ne parler de l’Afrique que pour évoquer les transports informels et les problèmes qu’ils engendrent : véhicules en mauvais état, pollution, insécurité routière, concurrence déloyale avec les transports régulés, manque de professionnalisme, etc. Certes ces problèmes sont encore d’actualité dans un grand nombre de villes mais ne voir les transports publics que sous cet angle c’est ignorer les progrès réalisés dans des agglomérations comme Lagos, Dakar, Abidjan ou Johannesburg, les initiatives en cours à Dar Essalam, Nairobi ou Douala et la prise de conscience croissante et quasi générale des autorités publiques.
Il est vrai que le contexte de la mobilité urbaine dans les villes africaines pose des problèmes et des défis qui ne peuvent trouver leur solution que dans un développement des transports publics. Tout d’abord la pression démographique : l’Afrique a dépassé le milliard d’habitant et d’ici 2020 plus de 60% des habitants résideront en milieu urbain. Cette urbanisation s’accompagne d’un étalement urbain qui se traduit par une augmentation des besoins de mobilité et un allongement des distances de déplacement. Ceci pose la question de l’organisation des transports. Malheureusement, à part quelques exceptions, on note une faiblesse voire une absence du cadre institutionnel et règlementaire régissant les transports urbains. La multiplicité des acteurs et des niveaux d’intervention (national, régional, local) crée des chevauchements de responsabilités ou des vides organisationnels. La cohabitation de plusieurs modes et types d’exploitation (artisanal et informel, professionnel et règlementé), ne répondant pas aux mêmes critères règlementaires, entraine une désorganisation du marché des déplacements, une dégradation de la qualité de service et une concurrence déloyale voire sauvage entre les exploitants, souvent sans l’intervention de l’autorité publique.
La vétusté des parcs automobiles, la dégradation des infrastructures et le non respect du code de la route favorisent l’insécurité routière : l’Afrique compte 28 décès pour 1000 habitants dus à la route soit quatre fois plus qu’en Europe. A cela il faut ajouter le manque d’infrastructures routières et la mauvaise utilisation de l’espace public où marchands ambulants, piétons, véhicules en circulation ou stationnement se disputent la chaussée et les trottoirs. La principale conséquence étant la congestion du trafic malgré un taux de motorisation très faible.
Les problèmes de financement et le désengagement des autorités publiques se traduisent par l’absence de modes à forte capacité capables d’assurer un transport collectif de masse alors que la demande potentielle est considérable. Cette inadéquation de l’offre à la demande conjuguée aux coûts élevés des trajets (selon une enquête du SITRASS1, le poste déplacements représente 25% du budget des ménages à Douala et à Conakry) exclut une partie de la population du transport public et l’empêche d’accéder aux services urbains.
Face à ces problèmes, les professionnels et acteurs du transport urbain en Afrique réagissent. Des initiatives encourageantes voient le jour. Elles montrent le chemin à suivre et esquissent les solutions à adopter. Au niveau institutionnel, il s’agit de renforcer et de clarifier le cadre règlementaire des transports publics afin de rendre transparente la distribution des responsabilités entre les niveaux national et local.
La priorité est la création d’autorités organisatrices à l’instar du CETUD2 à Dakar, de LAMATA3 à Lagos ou de l’AGETU4 à Abidjan. Autorités qui doivent être dotées des ressources matérielles et humaines nécessaires pour organiser et professionnaliser le secteur. A ce titre, elles doivent exercer leurs compétences sur l’ensemble du territoire générant des déplacements quotidiens et ne pas se limiter à la ville centre : les déplacements ne s’arrêtent pas aux frontières administratives d’une commune. L’autorité organisatrice définit les conditions du service public et la compensation éventuelle des opérateurs tout en laissant à ces derniers la liberté d’entreprendre et de déployer leur approche commerciale.
« Nous avons besoin d’opérateurs forts qu’ils soient publics ou privés mais il faut définir les conditions du service public pour que les opérateurs rentrent dans leur frais et les citoyens puissent se déplacer » a souligné Ousmane Thiam, Président du CETUD en marge du Congrès de l’Union Africaine des Transports Publics tenu à Dakar en octobre 2010. Dans ce cadre il ne faut pas forcément rejeter le transport artisanal mais plutôt l’organiser afin de l’intégrer dans un cadre règlementaire tout en mettant à profit ses avantages en termes de flexibilité de l‘offre et de réactivité à la demande.
Les villes en développement sont par définition en cours de construction. Elles présentent donc l’avantage de pouvoir intégrer les infrastructures de transport à un stade précoce du développement urbain. C’est la démarche à adopter dans les villes africaines : intégrer politique de transport et planification urbaine afin de limiter l’étalement urbain et favoriser la densité pour réduire les distances de déplacement. En outre, les plans de déplacements urbains sont essentiels et doivent prendre en compte toutes les catégories d’usagers. Sachant que près de la moitié des déplacements en ville se fait à pied il est évident qu’il faille prévoir des infrastructures destinées à la marche et assurant la sécurité des piétons.
Le partage de la voierie entre les différentes catégories d’utilisateurs doit être clair et respecté. Toute politique de transport doit s’attaquer aux nuisances engendrées par les déplacements. C’est en considérant la sécurité routière comme un problème de santé publique que le Sénégal a pu diviser par 3 le nombre de tués sur ses routes entre 2000 et 2008. Le Bénin a instauré un mécanisme d’autofinancement direct de la sécurité routière pérenne et stable : les ressources sont générées par des activités gérées par le Centre national de sécurité routière. Le contrôle technique des véhicules permet de lutter contre les émissions polluantes et de s’assurer que les véhicules sont en bon état technique. En Côte d’Ivoire, un partenariat public privé offre l’avantage de bénéficier de la rentabilité du secteur privé pour la réalisation du contrôle technique tout en respectant les normes définies par le pouvoir public. En matière d’environnement, la sensibilisation des citoyens et des professionnels est indispensable pour orienter les choix de mobilité et la manière de conduire les véhicules.
Les évolutions récentes qui touchent les modes de transport public offrent désormais une diversité de solutions modales allant du minibus au métro en passant par le BHNS5 et le métro léger. Le choix est de moins en moins évident tant la frontière entre les modes a tendance à s’effacer et la multiplicité des critères de choix rend l’analyse complexe. Lagos (Nigéria) a fait le choix du BRT6 qui a l’avantage de pouvoir être mis en place en peu de temps (15 mois seulement pour 22 km) mais envisage également de construire une ligne de métro léger. Dans les deux cas, il s’agit d’un axe lourd à forte capacité, seule solution possible pour transporter un grand nombre de passagers quotidiennement : 50.000 passagers par jour à Johannesburg et jusqu’à 220.000 à Lagos ! Pour atteindre de tels chiffres il faut s’assurer que les usagers potentiels puissent facilement arriver à la ligne de BRT ou de métro, d’où la nécessité d’un rabattement optimal. C’est à ce niveau que la contribution du secteur artisanal peut être très bénéfique. L’interface entre les modes est également importante au niveau des pôles d’échanges en s’assurant un transfert modal facile et sans contrainte.
En résumé, le système intégré est une combinaison optimale et hiérarchisée des différentes modes. Dans ce système, la tarification influence le choix des usagers et doit être conçue de manière à assurer l’accès aux populations les plus défavorisées. Comme partout dans le monde, le financement est une question cruciale pour le développement des transports publics. Elle se pose de manière encore plus forte en Afrique en raison des nombreuses priorités en infrastructures du continent.
Bien que le transport urbain soit propre à l’échelle locale, il nécessite le soutien de l’État et ne peut trouver l’intégralité de ses sources de financement dans le cadre urbain. L’accès aux financements internationaux est également une possibilité mais les conditionnalités strictes souvent imposées par les bailleurs de fonds empêchent des pays africains d’y accéder. Toutefois, dans le cadre de financements bilatéraux, certains créanciers sont moins exigeants comme la Chine dont l’implication en Afrique est de plus en plus importante et visible. Il faut également souligner que la Banque Africaine de Développement élabore actuellement une stratégie pour les transports urbains qui a pour axes directeurs : le développement des systèmes de transport de masse, le développement de partenariats public privés, et la lutte contre la pollution en milieu urbain. L’implication du secteur privé peut apporter des solutions innovantes en matière de financement – leasing, crédit revolving– notamment pour l’achat de matériel roulant. Enfin, la filialisation de certaines activités permet de réduire les coûts et transférer les risques. C’est ce que la SOTRA7 d’Abidjan a réalisé avec succès notamment pour ses activités de formation.
Le transport public est une activité de service dans laquelle le facteur humain joue un rôle primordial. Il est donc essentiel d’en renforcer les capacités. Cela commence par une amélioration de la connaissance des problèmes et de l’état de l’art en matière de mobilité. Les enquêtes qualitatives et quantitatives, les comptages, les sondages d’opinion, etc. permettent de mieux comprendre les attentes et donc de mieux définir l’offre de service. Cette dernière est directement influencée par les personnels d’exploitation et de maintenance. Ils conditionnent la qualité du service ; ils représentent donc la cible prioritaire en matière de formation, il en va de la professionnalisation du secteur. Tout comme les personnels d’encadrement des opérateurs et des autorités : leurs responsabilités respectives leurs donnent une influence et un poids forts en matière de prise de décision. Il est par conséquent indispensable de s’assurer qu’ils possèdent l’expertise et les compétences nécessaires à un tel niveau de responsabilité.
La problématique de la mobilité urbaine dans les villes africaines comporte donc plusieurs facettes et concerne des acteurs multiples. Ceux–ci doivent prendre leur responsabilité et s’impliquer chacun à son niveau. Toutefois, le transport urbain reste un sujet qui touche à la sphère publique, voire politique. La volonté politique est donc à la base de toute initiative dans ce secteur ; sans elle il ne peut y avoir de solution durable pour la mobilité urbaine.
1 SITRASS : Solidarité Internationale sur les Transports et la Recherche en Afrique Sub–Sharienne.
2 Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar.
3 Lagos Metropolitan Area Tranport Authority (Autorité des transports de l’agglomération de Lagos).
4 Agence de gestion des transports urbains
5 Bus à Haut Niveau de Service.
6 Bus Rapid Transit (Bus à haut niveau de service).
7 Société des Transports Abidjanais.
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