Concertation et participation en France
Institut de la Concertation, juin 2013
Depuis plusieurs décennies déjà, les pratiques de concertation se développent en France, comme ailleurs dans le monde. Elles sont portées par les demandes d’acteurs publics ou privés, d’associations et de citoyens, ainsi que par une législation nationale et des conventions internationales qui lancent des injonctions dans plusieurs domaines, notamment celui du développement durable, de la protection de l’environnement ou des politiques urbaines. Si les pratiques se banalisent au point de rentrer parfois dans la routine des organisations, leurs modalités ont sensiblement évolué au cours des dernières décennies, de la traditionnelle « réunion publique » ou du débat contradictoire, jusqu’à des formes plus diversifiées qui encouragent la créativité des participants, mobilisent les principes de la facilitation de groupes ou de la médiation de conflits et, de façon générale, font une place de plus en plus grande à «l’ingénierie» des concepteurs et des animateurs.
Les débats sur l’opposition ou la complémentarité entre démocratie participative et démocratie représentative, qui ont un temps divisé notamment les élus ou le personnel politique, se sont progressivement estompés au profit d’une réflexion sur le «comment faire» et sur les effets de la concertation. Le développement de la réflexion méthodologique est probablement l’un des faits marquants de cette période, alimenté à la fois par la réflexion des praticiens (consultants, chargés de missions de collectivités territoriales, militants associatifs…), celle des chercheurs, ainsi que celle de quelques «think tanks» ou organisations.
Évolution des dynamiques multi-acteurs dans l’espace public
La fiche « Le développement des pratiques de concertation en France » revient sur le développement de ces pratiques et sur l’émergence de cette ingénierie au cours des années 2000. Elle insiste sur le fait que les modalités de déroulement de la concertation définissent en grande partie ses effets : impact sur la décision elle-même, amélioration ou affaiblissement de la légitimité de celle-ci, apprentissage et renforcement de capacités des participants, démocratisation des choix publics et transparence de ceux-ci, capacités de gestion des divergences et recherche de cohésion sociale, etc.
Ce développement des pratiques de concertation au cours des dernières décennies s’accompagne d’une professionnalisation des acteurs qui se manifeste concrètement par deux phénomènes : d’une part leur montée en compétence, elle-même due à l’apparition de formations ainsi qu’aux échanges de pratiques et à une capitalisation de leurs acquis traduite sous forme de manuels ou de divers outils méthodologiques ; d’autre part par une certaine spécialisation, c’est-à-dire par l’apparition de nouvelles fonctions, notamment celle de consultant spécialisé ou celle d’agent territorial dont les missions sont consacrées à la participation. La fiche « Les agents territoriaux et la concertation en France » donne un aperçu des missions de ces derniers, de leurs opinions sur leur propre métier et de leurs attentes, à partir d’une enquête réalisée auprès d’un échantillon d’entre eux par le Conseil général du Val-de-Marne et analysée par nos soins.
C’est dans le cadre de cette professionnalisation qu’apparaît en 2008 un réseau comme l’Institut de la Concertation qui, loin de se concevoir comme une institution normative ou corporatiste, contribue à la création d’une plateforme d’échange ouverte entre praticiens et chercheurs, commanditaires et prestataires, en vue d’améliorer les pratiques de chacun et de promouvoir une vision exigeante de la concertation.
Il existe en effet le risque d’un dévoiement du terme de concertation, inhérent à une multiplication des pratiques qui s’en réclament et à diverses stratégies de résistance. Les membres de l’IC en ont fait le constat et c’est pour cette raison qu’ils cherchent à en définir collectivement les contours et à interroger leurs fondements méthodologiques et déontologiques. L’IC considère que les acteurs du domaine de la concertation se doivent de développer une réflexion accompagnant l’émergence de leurs métiers et que cette dynamique ne peut être que collective. C’est donc une réflexion sur la professionnalisation de ce secteur, ses fondements conceptuels, ses méthodes et son éthique que l’IC a voulu engager au moyen de séminaires associant chercheurs et praticiens. Les conclusions de deux de ces séminaires sont résumées ici, notamment le travail mené sur l’éthique professionnelle qui est résumé dans la fiche « Ethique de la concertation et déontologie des praticiens ».
Cette mise en relation des acteurs de la concertation est d’autant plus nécessaire que les pratiques, les trajectoires et les postulats fondateurs sont différents. La concertation a en effet des origines multiples. D’un côté par exemple, les pratiques se réclamant de la démocratie participative s’enracinent dans une histoire revendicative principalement urbaine, que Simon Wühl a déjà décrite dans une fiche. D’un autre côté, celles qui naissent dans le domaine de l’environnement et notamment de la gestion de l’eau, sont issues d’une autre trajectoire décrite dans la fiche « La concertation dans l’environnement et l’aménagement : repères historiques ». Alors que les premières mettent l’accent sur l’importance de la participation du citoyen dans les décisions publiques, les secondent insistent sur la coordination des acteurs collectifs – publics et privés - dans la gouvernance des biens communs. C’est ce dernier enjeu que présente la fiche « Environnement : décider autrement » qui porte sur un ouvrage tirant les leçons de plusieurs travaux de recherche. Les années 2000 qui sont celles d’un développement de ces pratiques et de la professionnalisation sont également celles de la rencontre de ces deux trajectoires et du dialogue ente leurs artisans.
Préoccupation commune à de nombreux professionnels, quelque soit leur champ d’intervention : le changement d’échelle. Alors que la concertation est née à l’échelle locale, encouragée par les mouvements de décentralisation, l’heure est aujourd’hui à une réflexion sur de plus vastes périmètres géographiques, celui des grands aménagements ou des politiques régionales, voire nationales. Dans le domaine des politiques régionales par exemple, les expériences se multiplient à l’initiative de Conseil Régionaux qui développent des outils de participation citoyenne, comme le montre la fiche « La démocratie participative à l’échelle régionale : une voie pour sortir de la proximité ? » Dans le registre des grands aménagements, le modèle de référence est celui du débat public, au sens relativement codifié où l’entend la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative créée en 1995. La fiche « Le débat public : une expérience française de démocratie participative » présente un ouvrage collectif de chercheurs sur cet « objet » spécifiquement français. D’ailleurs, la concertation n’est-elle pas une spécificité française ? Avec sa double dimension, celle de la participation (associer des citoyens à la décision publique) et celle de la co-construction (aboutir à des accords) que l’on associe à divers degrés en fonction des objectifs et des contextes, elle devient difficile à traduire en anglais, comme le montrent les échanges entre les membres de l’IC confrontés à cette difficulté, qui sont présentés dans la fiche « Malléabilité du terme « Concertation » : aperçu à partir de ses traductions en anglais ».
Si le débat public propose une conception de la concertation basée sur un « échange organisé d’arguments » ayant un poids consultatif dans la décision publique, la réalité de la concertation est plus multiforme. La fiche « La co-construction d’un projet urbain : éléments de méthode à partir d’un cas concret » montre comment la concertation - relative dans ce cas à la construction d’un pont enjambant la Garonne à Bordeaux - peut se traduire par une véritable dynamique de co-construction impliquant élus, experts et citoyens, et dont l’impact sur la décision s’avère très conséquent. Se réclamant autant de la construction de choix publics que du changement de comportements individuels, l’expérience présentée dans la fiche « L’atelier climat de Nantes métropole » est également une initiative au long cours qui vise à dépasser la consultation ponctuelle des citoyens pour s’engager vers celui de la montée en compétence de tous les acteurs concernés.
Ces deux cas présentés dans ce dossier sont loin de résumer toute la diversité des pratiques de concertation : ils en esquissent simplement de nouvelles pistes. La réflexion sur la concertation continuera de s’alimenter d’expériences originales et – nous l’espérons – exigeantes en termes d’ambition démocratique. L’Institut de la Concertation poursuivra sa mission en créant de nouveaux espaces d’échanges au service des acteurs de ce secteur.
6 analyses
- Ethique de la concertation et déontologie des praticiens
- La concertation dans l’environnement et l’aménagement
- Le débat public : une expérience française de démocratie participative
- Le développement des pratiques de concertation en France
- Les agents territoriaux et la concertation en France
- Malléabilité du terme « Concertation »
3 études de cas
- La co-construction d’un projet urbain
- La démocratie participative à l’échelle régionale : une voie pour sortir de la proximité ?
- L’atelier climat de Nantes métropole : une initiative originale de participation