Que sont les projets devenus ?
Jean-Pierre Charbonneau, Michel Lussault (coord.), March 2014
Cela posé, nous nous sommes rapidement aperçus qu’un tel dossier ne serait pas aisé à constituer, même en assumant, comme nous le faisons toujours, le caractère partiel de nos approches. Et ce parce que cette question est trop rarement abordée de front si ce n’est sous la forme d’une prise en compte des contraintes et contingences des agendas et calendriers de l’action ; dans une certaine mesure elle reste même un impensé relatif des études consacrées à la pratique urbanistique. Qu’en est-il vraiment des évolutions plus ou moins spectaculaires qui expriment l’altération temporelle (matérielle et idéelle, puisque les idées et imaginaires de la ville eux-aussi évoluent) d’une opération, d’une politique ? Qu’en est-il de la prise en compte par les acteurs de cette altération ? Que reste-t-il des intentions et des réalisations initiales dix ou vingt ans après qu’un projet ait été inauguré ? Nous trouvons aujourd’hui malaisé de répondre à ces interrogations, pourtant simples en apparence et alors qu’elles renvoient au simple constat empirique qu’un habitant peut faire des traces du passage du temps.
Malgré tout, nous avons persisté dans la volonté d’approcher ce problème et les pages qui suivent entendent poser quelques jalons et balises sur ce champ d’investigation encore trop mal connu. Ce dont nous sommes désormais certain est que la prise en compte du temps nous incite à rompre avec la tendance à l’autosatisfaction benoîte qui règne souvent en maîtresse dans l’univers du projet architectural et urbain. Les slogans initiaux ou les rêves fondateurs semblent bien loin si l’on compare les ambitions supposées avec la réalité à l’épreuve du temps, si l’on regarde la manière dont les lieux ont évolués et sont à présent appréhendés, appropriés, vécus.
Peut-être parce que la rigueur du mode occidental de production de l’urbain peine à intégrer non seulement les modes de vie mais aussi et surtout les changements — et même sans doute le principe même du changement, de l’imparable dynamique temporelle qui emporte tout avec elle et d’abord les certitudes et les assurances de pérennité et de stabilité dont les projets sont gorgés. Elle fait l’impasse sur les contradictions qui sont pourtant la nature même de toute société. Bien huilés, ces processus sont certes rassurants pour les acteurs impliqués. Mais les effets du temps y sont bien peu pris en compte. Elle possède certes l’illusion à l’origine de tout maîtriser. Mais qu’en est-il à la fin, alors que l’évaluation ne dépasse pas souvent celle, informelle, de l’expertise d’usage par ceux-là mêmes qui vivent les lieux, bien longtemps après leur conception — expertise certes imparable et nécessaire mais sans doute pas suffisante ?
L’ensemble des textes ici assemblés nous paraît, dans leur diversité, poser une question importante : Ne doit-on pas modifier le rapport que la production urbaine entretient avec le temps et ce pour prendre en compte ce qui fait la trame même de l’existence et de la co-habitation, pour reconnaître que tout est toujours affaire d’espaces et de temps mêlés, de spatialités et de temporalités mélangées ? Il s’agirait alors moins de figer des projets dans l’illusion de leur perfection, que donner des orientations, moins penser terminer, clore pour toujours un cycle, qu’accompagner le mouvement, moins fixer un futur obligé qu’esquisser des visions, des scénarios possibles. Et être attentif à laisser advenir, à écouter les pulsions de la vie urbaine, à en nourrir les actions. En fait prendre le temps, pour réussir ce qui manque cruellement : Organiser un urbain en mouvement continu et au service de ceux qui l’installent, l’animent et le vivent.
Sources
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°7
4 analysis
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