Amsterdam et ses squats
Histoires singulières
Ingrid PETIT, 2008
L’histoire du squat à Amsterdam est intimement liée aux luttes urbaines qui ont influencé son urbanisme et sa vie sociale.
Et si Amsterdam avait quarante ans d’avance sur la situation barcelonaise actuelle ?
Origine d’un mouvement d’alliances
La protestation citoyenne a eu un impact sur l’urbanisme récent d’Amsterdam. Et l’existence des squats revendicatifs (nommés « krakers » aux Pays-Bas) est liée à cette mobilisation, affirmée dès les années 1960.
Parmi les projets de la décennie 1960, un plan de rénovation de la vieille ville prévoit des démolitions et des reconstructions liées aux conséquences de l’après-guerre et au récent chantier du métro. Il inclut dans un deuxième temps le passage d’une autoroute.
Des groupes s’organisent contre le projet moderniste de la municipalité. Certains dénoncent la réduction du nombre de logements dans un pays où le manque de surface habitable est un problème récurrent. D’autres, conservateurs, mettent en garde contre la disparition du patrimoine. D’autres encore, contestataires imaginatifs, les « Provos », mêlent culture et activisme politique par des actions mémorables dans l’espace public1. Enfin, ayant profité des espaces vidés en vue du plan urbain, des squatteurs s’engagent pour l’avenir menacé de leur quartier (notamment Niewmarktbuurt et Dappenbuurt).
Une lutte commune émerge. Elle est soutenue largement par les squatteurs. Puis, des commissions de quartier « saneringsbegeleidingscomite’s » réunissent habitants, fonctionnaires de la ville et membres de partis politiques. Des principes urbanistiques émergent des revendications et des dialogues à la fin des années 1970. Le projet d’autoroute est annulé, des logements sociaux sont construits avec processus participatifs, et la « ville compacte2» portée par le contre mouvement devient même le modèle de planification. Mais c’est une ultime concession3.
Entre 1980 et 1985, le nombre de squatteurs, environ 20 0004, illustre l’ampleur du mouvement. Et, en appuyant largement les luttes habitantes, le squat trouve un support populaire. Il se fait entendre et se structure.
Beaucoup de squats sont légalisés, rachetés par la mairie et loués à des loyers modestes. Ils existent encore aujourd’hui. Depuis ces années, les kraakspreekuuren conseillent dans chaque quartier les candidats à l’occupation et encouragent à la cohésion.
Le phénomène a entraîné celui, aussi répandu, de l’anti-krak : pour éviter l’occupation de leurs biens, certains propriétaires proposent un petit loyer en échange d’une protection contre le squat. Des associations intermédiaires gèrent la relation locataires-propriétaires. Ainsi familles ou étudiants en ont fait leur stratégie de logement.
Dans les années 1990, le mouvement se perpétue appuyé par une loi souple. En effet, aux Pays-Bas, celle-ci ne se place pas en faveur du propriétaire. Un bâtiment inoccupé depuis un an peut être légalement squatté, si le propriétaire ne peut pas démontrer un projet d’usage dans les mois suivants.
En héritage : les espaces temporaires de travail et de création dans la politique de la ville d’Amsterdam
Plus récemment, de nombreux jeunes squatteurs affluent d’Europe du sud. Le mythe d’Amsterdam attire toujours. Mais, moins politisés que leurs prédécesseurs, ils mettent parfois en péril une forme d’accord entre le mouvement des krakers et le soutien public obtenu bien des années plus tôt. Parallèlement, suivant la tendance générale européenne, la loi et la gouvernance politique de centre droit, se sont durcies ces dernières années.
Pourtant, si l’activisme est aujourd’hui moins fervent, la culture des espaces occupés fait partie du programme de la ville d’Amsterdam. Sa dynamique promotionnelle est celle de la « ville créative ». Une ville, donc, compacte et créative, où se côtoient habitat, travail et culture de proximité.
Ainsi depuis 1999, dans la continuité d’une politique de légalisation des squats, la municipalité valorise de vastes espaces inoccupés et des bâtiments patrimoniaux. Elle les met, temporairement et contre de petits loyers, à disposition d’artistes ou de porteurs de projets culturels. A ce jour, près de 1 500 ateliers dans plus de quarante bâtiments ont été ainsi créées par le « BroedPlaatsenAmsterdam » (Amsterdam des pépinières), avec les propriétaires et des associations activistes de gestion.
On évoque parfois à propos de cette dynamique une institutionnalisation de la culture à des fins économiques et immobilières. Mais ces espaces laboratoires de travail et parfois de vie sont de plus en plus nombreux. Et le peu d’ingérence de la municipalité dans leur fonctionnement assure une liberté et un mélange des cultures dans la ville.
1 Il s’agit de formes théâtrales d’actions collectives qui visaient à dénoncer et à ridiculiser. Par exemple, happenings contre l’industrie du tabac, la guerre au Vietnam ou le mariage de la reine. Les provos sont également connus pour leurs Plans Blancs qui ont servi de base à leur entrée sérieuse en politique. Parmi eux, Le « White Bicycle Plan for communal bicycles » d’inspiration écologique, propose des alternatives au tout automobile. Le « White Houses Plan », face au manque de logement, dénonce les bâtiments vides et encourage à leur occupation.
2 Une certaine densité spatiale et la proximité des activités quotidiennes sont les éléments qui caractérisent la ville « compacte ».
3 Voir les recherches d’Hans Pruijt. Notamment The impact of citizens’protest on City planning in Amsterdam, 2002 et Squatters in the creative city: rejoinder to Justus Uitermark, dans International journal of urban and regional research, vol 28.3, september 2004
4 Selon le chercheur Eric Van Duivenvoorden qui a écrit une histoire du mouvement squat hollandais.
Sources
Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question
To go further
Site internet de www.urbanresort.nl
Site internet de NDSM werf