Redonner une place légitime aux activités productives : du concept à la réalisation

Carnet pratique n°16 : (Re) développer les activités productives dans les régions métropolitaines

Thierry Petit, November 2024

Institut Paris Région (IAU)

La réindustrialisation apparaît aujourd’hui comme un impératif catégorique, au niveau national comme au niveau régional, pour renforcer notre place dans le monde, rééquilibrer le développement des différents territoires, décarboner notre consommation en produisant plus près, plus efficacement. Dans la mise en œuvre de cette ambition, la question de la localisation des activités productives est essentielle, en particulier dans une région où les enjeux fonciers sont encore plus structurants qu’ailleurs. Dans le droit fil de ses travaux sur l’aménagement économique de l’Île-de-France, L’Institut Paris Région a entrepris, en lien avec ses membres et ses partenaires, une déclinaison concrète de ces enjeux, avec la publication du numéro 16 des carnets pratiques consacré aux activités productives.

To download : cp16_ok_bat_web.pdf (7.3 MiB)

Une définition non stabilisée des activités productives

Les activités productives et approche globale

Les activités productives ne font pas l’objet d’une définition claire. Les termes de ce concept renvoient à l’idée de production, elle-même liée à l’idée de fabrication d’objets. L’activité productive peut avoir plusieurs définitions selon que l’on se place du point de vue de l’entreprise et de ses besoins, des élus, voire des habitants pour lesquels la dimension de « l’acceptable » l’emporte. L’Insee définit l’économie en deux grands ensembles : la sphère résidentielle, définie notamment par les travaux de Laurent Davezies, et la sphère productive, héritage de la théorie de la base, qui comprend les activités produisant des biens majoritairement consommés hors de la zone analysée et les activités qui les servent. Parmi les recherches les plus récentes, Gilles Crague (Crague 2020) définit les fonctions productives comme étant une agglomération d’activités avec à la base l’industrie et l’ensemble du care of things : « l’ensemble des activités qui assurent les conditions matérielles de la vie urbaine quotidienne : le care of things. Elles sont en prise avec la conception, la maintenance ou le renouvellement de tous ces équipements de la “ville servante” : incinérateurs, centres de tri, stations d’eau potable ou d’assainissement, centres de maintenance de matériel ferroviaire ou aéronautique, de production-distribution d’énergie, plateformes du BTP, etc. ».

Comment délimiter le contour des activités productives à l’échelle territoriale ?

Les définitions précédentes placent l’industrie au coeur des activités productives. Cependant il faut noter que toutes les activités industrielles ne sont pas seulement productives. Ainsi, au sein de l’industrie, on trouve de nombreux établissements chargés de la direction et de la gestion des activités, ce sont les sièges et les sites administratifs. On trouve aussi de nombreux établissements ayant une fonction de recherche et développement, et d’innovation en général ainsi que des activités de test. Leur proximité aux sites de production se révèle primordiale dans une industrie plus technologique, dont les cycles de l’innovation se raccourcissent. Autre difficulté, de plus en plus d’activités industrielles intègrent une forte dose de services dans leurs offres, notamment d’ingénierie et du numérique avec lesquels l’industrie s’hybride. Ces activités interviennent dans des phases de prototypage ou de production sur mesure. On trouve aussi de nombreuses start-up qui, encore au stade embryonnaire, ont surtout des fonctions de service (R&D, design, communication, etc.).

Cette catégorie d’activités productives est importante pour les collectivités territoriales, qui la citent souvent lorsqu’elles souhaitent les conserver ou les attirer sur place. L’industrie repose aussi sur des flux de matières, qui doivent être les plus fluides possibles et générer le moins de coûts possible. L’organisation de la chaîne logistique est devenue un enjeu important en termes de coûts et de compétitivité pour les entreprises industrielles. Cela a conduit un grand nombre d’entre elles à externaliser cette fonction auprès de spécialistes qui participent au pilotage de la production en lien étroit avec l’industriel et ses usines. Cette intégration de la logistique dans le processus industriel en fait-elle aussi une activité productive ? L’industrie n’est pas la seule activité à produire des objets. C’est aussi le cas des activités artisanales de fabrication, qui produisent en petite quantité des objets souvent de petite taille et selon des modes de production peu mécanisés. L’artisanat d’art est souvent plébiscité par les pouvoirs publics qui l’assimilent à des activités productives. Par ailleurs, dans le cadre d’une économie plus circulaire, les activités de réparation, de maintenance, de réemploi… prennent de l’ampleur et font appel à des savoir-faire similaires à ceux de l’industrie, avec parfois les mêmes besoins en termes de locaux et de moyens techniques. Ces activités peuvent donc être intégrées aux activités productives pour ces raisons.

Les activités de la ville productive

De nombreuses activités au service du fonctionnement métropolitain sont assimilables à des activités productives du fait des procédés utilisés et de l’intensité capitalistique des moyens (parc de machines, grand site de production) mais aussi de la logistique mise en oeuvre. Il s’agit des activités de génération et distribution d’énergie (électricité, gaz, chaleur), de traitement et distribution d’eau, de gestion, tri et traitement des déchets. Audelà de ces grands équipements, quantité d’activités concourent au fonctionnement de la ville sans avoir une dimension directement productive. C’est le cas des activités gravitant autour du bâtiment (gros oeuvre, second oeuvre, comme les plombiers, menuisiers, électriciens… qui travaillent sur chantier), qui ont un important besoin de locaux de stockage et d’ateliers au plus près de leur marché. Les développements précédents amènent à adopter une définition assez large des activités productives dès lors que l’on s’intéresse aux enjeux spatiaux. Le schéma ci-contre résume cette définition qui rejoint les travaux de l’ULB et de l’université de Lille dans le cadre du programme de recherche du Puca sur la ville productive.

L’enjeu autour de la localisation des activités productives

Les activités productives peinent à trouver leur place dans un environnement urbain alors même qu’elles sont essentielles à l’économie territoriale. C’est particulièrement vrai pour celles qui combinent un ensemble d’obligations pour mener leurs activités :

On pourra noter que pour certaines activités productives, qui ont besoin pour se développer de se situer dans une région métropolitaine (accès à la main-d’oeuvre, au marché…), la seule option possible consiste à s’installer dans une zone d’activités économiques (ZAE). Néanmoins, devant la très forte réduction des surfaces des ZAE en zone dense, l’ancrage des activités productives dépend donc de la volonté des pouvoirs publics de protéger ces espaces, par exemple de la concurrence d’autres usages ou de la pression foncière.

Le désamour des villes pour les activités productives

Alors même qu’elle a participé à l’essor des villes en attirant toujours plus de travailleurs, l’industrie en a été petit à petit chassée à mesure que les modes productifs évoluaient vers la massification de la fabrication par la mécanisation. Pourtant les activités productives sont constitutives de la ville, dès l’origine de la civilisation urbaine, grâce aux effets d’agglomération qu’elles procurent, à l’accès au marché et à la main-d’oeuvre. Cela a commencé par les manufactures au XVIIIe siècle puis les grandes fabriques du XIXe siècle, qui nécessitaient de grands espaces, mais les procédés qu’elles utilisaient généraient d’importantes nuisances. Le décret de 1810 a marqué en France le point de départ d’un mouvement centrifuge des activités productives hors des villes, relocalisées le long des axes de transport. De grands sites implantés à la périphérie des villes ont ensuite été rattrapés par la forte expansion urbaine du XXe siècle, conduisant à leur explusion ou leur isolement, alors que les structures de petite taille résistaient dans le milieu urbain. La politique de zonage des années 1960 a amorcé un nouveau mouvement de déconcentration vers des zones d’activités toujours plus éloignées des centres urbains, mais à proximité des grands axes de circulation. Ces zones ont par ailleurs polarisé l’implantation de nouvelles activités productives. Pour autant, nombre de sites productifs en milieu dense urbain subsistent encore à ce jour. Les raisons qui ont conduit au départ des activités productives des zones urbaines sont variées et renvoient aux effets à la fois de l’urbanisation, des grands projets urbains, du renchérissement du foncier et de sa rareté, mais aussi aux stratégies des entreprises industrielles.

Par ailleurs, l’éviction progressive des fonctions productives hors de la ville centre a conduit à leur rejet dans l’imaginaire collectif. Ce n’est que très récemment que la question de la place des activités productives dans la ville est à nouveau posée, comme devant faire partie du champ des possibles des espaces urbains, y compris dans les grandes métropoles.

Sources