Une politique flexible de densification forte à Markham (Canada, Ontario)

Anastasia Touati, October 2015

Cette fiche décrit la politique de densification forte mise en place par la ville de Markham (Canada), politique dont l’un des objectifs est de créer un centre urbain aux formes compactes.

La ville de Markham est une commune canadienne suburbaine de 300 000 habitants située au nord-est de Toronto et qui lui est adjacente. Elle fait partie de la municipalité régionale de York et est localisée dans la couronne de banlieue intérieure par rapport à Toronto. En termes de transports, la ville est desservie par des bus interurbains provinciaux rapides. Par ailleurs, il existe aujourd’hui un projet d’extension de la ligne « Yonge » du système de transport de la ville de Toronto (TTC : Toronto Transit Commission) dont l’un des arrêts majeurs se situe à la frontière entre les municipalités de Markham et Richmond Hill, ce qui a des conséquences importantes sur le développement futur de la ville. Située dans la région du Grand Toronto, Markham est aujourd’hui en pleine croissance et une des municipalités les plus riches du Canada. D’un point de vue économique, la ville est essentiellement portée par le secteur tertiaire. Elle accueille les sièges de grandes compagnies, de firmes multinationales et de nombreuses grandes entreprises de haute technologie telles que IBM, qui est le plus grand employeur sur son territoire. Cette attractivité est le résultat d’une politique de planification économique initiée à la fin des années 1980, notamment avec l’installation d’IBM. C’est ensuite dans la continuité d’une croissance économique et urbaine forte, suite à l’arrivée de nombreuses autres grandes entreprises, que la municipalité a mis en place une stratégie de développement plus volontariste pour accueillir de nouveaux programmes immobiliers (résidentiels, de bureaux et commerciaux). Depuis le début des années 1990, la ville s’est progressivement transformée d’une suburb traditionnelle, principalement à vocation résidentielle en un véritable pôle urbain.

C’est dès cette époque que la ville de Markham s’est engagée dans une politique volontariste de densification marquée notamment par une volonté de créer un centre urbain aux formes compactes. On y observe un véritable processus de densification forte d’espaces autrefois à dominante pavillonnaire. Il se caractérise par la multiplication de projets de densification de grande envergure incluant la construction de « condominiums » (immeubles de grande hauteur) résidentiels et/ mixtes qui viennent petit à petit couvrir les espaces vacants du nouveau centre-ville de Markham.

D’après nombre de promoteurs immobiliers que nous avons rencontrés, c’est la ceinture verte instaurée en 2005 qui a eu pour conséquence d’augmenter considérablement les prix fonciers. Or, cette augmentation, en rendant plus coûteuse une opération dans son volet « acquisition foncière », favorise les gros projets dont les marges financières permettent de couvrir les surcoûts de la densité (voir encadré ci-dessous), à la différence de projets plus petits. C’est aussi ce que nous expliquait le responsable de l’acquisition foncière d’un grand groupe de promotion immobilière de la région commentant l’évolution des prix fonciers à Markham.

Encadré : Le mécanisme de rentabilisation économique de la densification expliqué par les promoteurs immobiliers

Les entretiens réalisés avec différents types de promoteurs immobiliers (grands groupes, promoteurs locaux, promoteurs spécialisés dans la construction de condominiums ou de maisons individuelles) sont sans appel : sur la base d’un logement, les formes peu denses coûtent moins cher à construire que les formes urbaines denses. Les théories sur la rente foncière (Topalov 1974; Lipietz 1974; Renard 1975; Topalov 1977; Abramo 1996), qui partent de l’hypothèse d’une maximisation du profit dans les raisonnements des promoteurs, laissent penser que le choix de construire dense va dépendre de la possibilité effective de dégager une marge importante. Plus précisément, il apparaît que la constitution de bénéfices intervient sur une période plus longue dans les projets de construction denses et nécessitent un apport de capital plus important. Du fait des coûts de construction élevés dans de tels projets mais aussi en raison du risque financier qui leur est inhérent, l’opération ne sera intéressante pour le promoteur que s’il peut compenser ces coûts en augmentant considérablement le nombre d’unités de logements et cela jusqu’à un certain seuil (Castel 2005). Lorsque l’opération est possible, il existe une différence importante de profit entre la construction de maisons individuelles et la construction d’immeubles résidentiels de forte densité, les derniers permettant de dégager des marges importantes mais sur une période plus longue. Les extraits d’entretiens suivants, réalisés avec des responsables de grandes compagnie de promotion immobilière, illustrent bien cette donnée:

“If you are asking what is easier to build, low rise are easier to build: it’s quicker and you get your money faster. Compact urban forms, it’s a longer process to build it and you have got to wait to the very end to get your money out (…). And you need to have a certain level of sale in order to be able to finance (…). From a developer point of view, low rise development would be a much easier and a more financially viable process for us (…). So the quick answer is: it’s much more expensive to build the higher densities” (Entretien du 20/06/2012).

Downtown Markham : le projet phare de la municipalité pour créer un centre urbain compact

Il s’agit d’un projet de densification selon la définition de la Province de l’Ontario, dans la mesure où les constructions réalisées dans le cadre de ce projet comptent pour l’objectif de densification général que la ville de Markham doit atteindre. Le projet consiste en une densification par réaménagement et aménagement de terrains vacants à l’intérieur de la zone bâtie définie par la Province. La Figure ci-dessous montre l’évolution entre 1995 et 2011 de l’utilisation des terrains qui accueillent le projet Downtown Markham.

Images aériennes du site accueillant le projet Downtown Markham en 1995 (gauche) et 2011 (droite)
source : York Region Mapping

On observe notamment que sur certaines parties du projet, ce sont des parcelles agricoles situées à l’intérieur de la ville de Markham qui ont été converties en parcelles constructibles. Ceci relativise la portée de ce projet de densification, dans la mesure où la densification est souvent justifiée pour protéger les espaces naturels et agricoles. De même, un autre exemple de densification résidentielle est le projet de construction mixte du Boulevard Cox, qui prévoyait la construction de 942 unités de logements (voir Figures ci-dessous).

Programme résidentiel du boulevard Cox
Crédit : Anastasia Touati

Les constructions en question viennent densifier un tissu lâche, sur une parcelle vacante bordée au nord par un quartier résidentiel pavillonnaire.

Images aériennes du secteur du boulevard Cox en 2002 (gauche) et en 2009 (droite : projet en rouge)
Source : Google Earth, 2012 (images satellite datant respectivement du 18 mai 2002 et du 1er septembre 2009)

Un processus davantage piloté par les promoteurs immobiliers

Nous qualifions alors la politique de densification mise en place à Markham, de politique incitative dans la mesure où la municipalité joue un rôle secondaire (technique et réglementaire) dans le déroulement du processus effectif de densification qui est principalement mené par les promoteurs immobiliers. En effet, son rôle se limite à accepter ou refuser les demandes de permis de construire, dans quelques cas à discuter avec le promoteur la forme du développement en échange d’avantages financiers ou réglementaires. Ainsi, dans le processus de densification effectif, la municipalité joue un rôle parmi d’autres, là où les acteurs privés (promoteurs immobiliers, agents immobiliers, bureaux d’étude, etc.) du développement urbain jouent un rôle plus influent dans l’évolution du processus. Le pouvoir de régulation de la municipalité se situe principalement dans l’écriture des règles du document de planification qui est ensuite utilisé comme une référence pour valider ou rejeter les demandes de permis de construire.

Les autres acteurs impliqués directement dans le déroulement du processus œuvrent, eux, pour une densification forte de tissus initialement à dominante pavillonnaire, c’est-à-dire une densification qui change radicalement la forme urbaine, avec la construction d’immeubles de grande hauteur (ici appelés des condominiums) en bordure de quartiers pavillonnaires existants. D’un point de vue réglementaire, cette densification forte est notamment due à une augmentation importante des hauteurs, par le nouveau classement de zones autrefois classées en zones résidentielles pavillonnaires, comme nous l’expliquait un urbaniste de la ville. Par ailleurs, il semble qu’une réglementation plutôt lâche contribue à augmenter les marges de manœuvre des promoteurs en faveur de la densification forte.

La municipalité de Markham revendique pleinement cette politique volontariste de densification menée en grande partie par les acteurs privés. Elle est justifiée, par les responsables municipaux, par la nécessité de concurrencer la ville de Toronto en termes d’habitat et d’emplois.

Sources

  • Abramo, P. 1996. “La Régulation et Le Régime Urbains : La Structure Urbaine, Sa Reproduction et Le Capital”, In Multitudes, Futur Antérieur n°30-31-32: 1995/4.

  • Castel, J-C. 2005. “Le marché favorise-t-il la densification ? Peut-il produire de l’habitat alternatif à la maison individuelle ?”, In CERTU, le 30 septembre 2005, présentation lors du colloque ADEF du 14 octobre 2005. 15 pages.

  • Lipietz, A. 1974. Le Tribut Foncier Urbain. Circulation Du Capital et Propriété Foncière Dans La Production Du Cadre Bâti. Paris : François Maspero, coll. Documents et Recherches d’Économie et Socialisme (6). 299p.

  • Renard V. 1975. “L’allocation des sols urbains. Modèles et réalités.”, In Revue Économique, n°26 (1): 91–110.

  • Topalov C. 1974. Les promoteurs immobiliers. Contribution à l’analyse de la production capitaliste du logement en France. Paris, La Haye-Mouton: Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.

  • Topalov C. 1977. “Surprofits et Rentes Foncières Dans La Ville Capitaliste”, In International Journal of Urban and Regional Research, n°1 (1-4): 425–46.