La charte d’alliance de la Fabrique des transitions
Pierre Calame, Jean-François Caron, Julian Perdrigeat, December 2019
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Les systèmes de pensée, les modèles de développement, les formes de gouvernance, les conventions juridiques, économiques et financières conditionnées par une mondialisation dominée par le marché, les modes de vie qui structurent nos sociétés sont hérités des siècles derniers. Ils ont conduit à une triple crise des relations : entre l’humanité et la biosphère – le changement climatique en est l’expression la plus spectaculaire –, entre les individus – avec le délitement de la cohésion sociale – et entre les sociétés – avec les risques de repli et l’incapacité à gérer en commun les interdépendances. Cela menace la survie même de l’humanité.
Malgré ces constats dressés depuis plus de trente ans et d’innombrables discours, conférences internationales et accords, la transition nécessaire vers des sociétés durables et solidaires n’est pas engagée, faisant naître un sentiment justifié de rage et d’impuissance devant des menaces toujours plus précises d’effondrements.
L’incapacité à engager réellement un changement systémique – c’est-à-dire touchant à tous les aspects de notre vie – a de multiples causes. Deux sont particulièrement évidentes : on ne peut espérer résoudre un problème dans les termes mêmes qui lui ont donné naissance ; et la conception étriquée que nous avons de la responsabilité de chaque acteur fait que personne ne se sent réellement responsable des catastrophes qui se préparent.
Face à la nécessité de faire évoluer de façon radicale nos systèmes de pensée, nos modèles économiques, nos institutions, nos trajectoires de développement, les territoires, au sens de communautés humaines tissés de relations, apparaissent comme un acteur décisif de la transition à conduire. Mais ils sont encore loin de jouer ce rôle moteur. Les obstacles sont nombreux. Certains sont internes et reflètent de multiples cloisonnements. D’autres sont externes et découlent de ce qu’au cours des deux siècles précédents, le rôle politique et économique des territoires n’a cessé de diminuer au profit des Etats et des grandes entreprises.
Les constats de la nécessité et de l’urgence d’une transition systémique et du rôle que peuvent jouer les territoires dans sa conduite sont de plus en plus partagés. De nombreuses initiatives territoriales sont nées, souvent reliées les unes aux autres en réseaux. Quelques-unes ont entrepris très tôt d’engager, malgré tous les obstacles, une véritable stratégie de changement conduite sur plusieurs décennies.
Ces expériences sont à la fois une source d’inspiration pour les autres et, par les similitudes que l’on observe entre elles, le fondement d’une ingénierie du changement dans les sociétés. Ces initiatives montrent qu’une telle transition est possible et qu’elle constitue une source de joie et d’espérance pour tous ceux qui s’y engagent et redeviennent ainsi sujets de leur propre destinée. Si elles ne peuvent à elles seules transformer l’ensemble du système – d’autres transformations sont indispensables : intérieures et à d’autres échelles, celles du monde, de l’Europe et des nations – elles peuvent être source de propositions fortes à condition d’être portées.
Nous, acteurs divers engagés dans la transition des territoires, pensons que le temps est venu d’unir nos forces, nos expériences, notre énergie pour contribuer à un changement d’échelle, en accompagnant les très nombreux territoires désireux d’avancer dans la transition et en constituant une force, en alliance avec des mouvements semblables, capable de provoquer et de consolider les changements nécessaires.
Notre engagement les uns vis à vis des autres s’exprime à travers la présente Charte.
1. Les objectifs de la Fabrique
L’intitulé « Fabrique des transitions » souligne que c’est une œuvre qui se construit pièce à pièce et pas à pas, qu’elle implique un changement profond de la manière de voir, de concevoir les territoires et leur gouvernance, qu’elle interpelle le cadre institutionnel, juridique et économique dans lequel la transition s’opère, et qu’elle s’inscrit dans une stratégie à long terme.
La Fabrique des transitions est un espace ouvert à tout moment aux acteurs les plus divers dès lors qu’ils manifestent à travers la Charte leur engagement à partager les objectifs, les valeurs et les méthodes de fabrique et acceptent d’en assumer l’histoire, ce qui est la condition d’une œuvre de longue haleine.
La Fabrique poursuit quatre objectifs :
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constituer ensemble une communauté apprenante de manière à enrichir en permanence le patrimoine commun par la mutualisation des apports des uns et des autres, leur mise en relation et par leur approfondissement, notamment grâce à la conduite de recherches participatives, chaque fois qu’il s’avère nécessaire de mieux analyser les obstacles, d’affiner les méthodes, d’étayer des propositions ;
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mettre ce patrimoine au service des territoires en transition, en les accompagnant par la mobilisation des capacités et des ressources des membres, la Fabrique apportant aux territoires accompagnés une garantie de qualité des démarches engagées ;
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proposer ensemble des changements de modèle économique, de gouvernance, du droit et des relations entre les sociétés, de financement, pour augmenter la faisabilité, l’ampleur et l’impact des transitions territoriales ;
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favoriser le déploiement par tous moyens, notamment celui de la formation, d’une ingénierie de la conduite du changement systémique à l’échelle des territoires, constamment nourrie de nouvelles expériences.
2. Les valeurs communes
Les alliés se reconnaissent dans des principes éthiques communs qu’ils s’engagent à mettre en pratique :
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une éthique de rigueur, chacun s’efforçant de rendre compte avec honnêteté de la portée et des limites de sa propre action et de présenter son expérience sous une forme utile aux autres ;
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une éthique d’écoute et de dialogue, la contribution de chacun étant accueillie avec respect et bienveillance;
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une éthique de coopération, au cœur des relations de transition des territoires;
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une éthique de responsabilité, chacun apportant une contribution à la mesure de son savoir et de son pouvoir, respectant les modalités de fabrique collective, qui sont les conditions de son impact.
La force de la Fabrique résulte de l’activité de ses membres, de leurs compétences, de leur implication personnelle, de la richesse de leurs expériences et des réseaux qu’ils ont su constituer ou partager au fil des années, des méthodes et outils qu’ils ont développés, de la crédibilité qu’ils ont acquise, de leur volonté de rechercher en permanence coopération et synergie avec les autres. Le pouvoir de chacun au sein de la Fabrique découle de la valeur ajoutée qu’il apporte à l’œuvre commune.
La Fabrique bénéficie des apports des acteurs et réseaux qui la composent, elle ne se substitue pas à eux et ne prétend pas parler en leur nom. La contribution de chacun permet de valoriser son identité et non de la diluer.
3. Les méthodes et disciplines de travail
La construction de l’œuvre à long terme qu’incarne la Fabrique, la capacité effective à construire et enrichir en permanence le patrimoine commun d’expériences, de méthodes et de concepts opérationnels permettant à chacun de renforcer son efficacité, la crédibilité de la Fabrique et de ses membres et l’impact des propositions porté en commun reposent sur le respect par chaque allié de méthodes et de disciplines de travail joyeusement consenties et effectivement respectées.
Ces méthodes et disciplines de travail s’enrichiront au fil du temps. On peut d’ores et déjà en établir une première liste qui reflète trois exigences : la constitution et l’enrichissement permanent du patrimoine commun ; la transparence, condition de la confiance ; la mutualisation des opportunités et l’entraide mutuelle.
a) La constitution et l’enrichissement du patrimoine commun :
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la banque commune d’expériences et de concepts opérationnels, rappelant et valorisant leurs producteurs, constituée à partir de dispositifs de retours d’expérience et disposant d’une indexation adaptée au caractère systémique et relationnel des approches ;
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la banque des documents de réflexion, des outils, des méthodes et des propositions relatives aux changements du cadre de conduite des transitions.
b) La transparence, condition de la confiance :
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l’annuaire des alliés et la présentation du champ d’activités de chacun d’eux ;
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la comptabilité transparente de l’usage des soutiens financiers de la Fabrique et de la répartition des dépenses liées, en fonction de leur nature et de leur objet ;
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la mise en visibilité des engagements pris pour la Fabrique.
c) La mutualisation des opportunités et l’entraide mutuelle :
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la banque d’initiatives et d’événements, permettant d’associer les alliés qui le désirent aux initiatives de chacun d’eux ;
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la banque de compétences permettant à la Fabrique de recommander aux territoires engagés des appuis méthodologiques porteurs du patrimoine commun, de susciter à multi-échelles des dynamiques multi-acteurs se reconnaissant dans les objectifs, les valeurs, les méthodes et disciplines de fabrique et permettant de mobiliser des alliés en réciprocité, de façon souple et décentralisée pour répondre aux demandes d’accompagnement.
4. Les organes actuels de la Fabrique
La Fabrique n’est pas intemporelle. Elle a une origine, une histoire et s’inscrit dans la longue durée. Elle appelle une animation efficace assurée par des personnes qui tirent leur légitimité non d’une position statutaire mais de leur compétence, de leur contribution à l’histoire de l’aventure commune, de leur capacité à incarner l’esprit et les valeurs de la Fabrique. Sur ces bases on peut identifier trois organes en plus du groupe de fondateurs.
Les fondateurs. L’initiative de la création de la Fabrique revient à un petit groupe de personnes et d’institutions réunies autour de Jean-François Caron, Maire de Loos-en-Gohelle et de son directeur de cabinet, Julian Perdrigeat. Ces fondateurs n’auront pas dans l’avenir de prérogatives éminentes mais, dans une première étape, ils incarnent l’esprit de la Fabrique ;
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Les garants. Pour assurer le maintien de cet esprit dans la longue durée, les fondateurs créent un groupe de garants. Ils n’auront pas de responsabilité opérationnelle dans la Fabrique mais veilleront au respect de ses objectifs et de son éthique. Ils attireront l’attention des alliés sur les dérapages éventuels et en proposeront des remèdes ;
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L’équipe opérationnelle – ou secrétariat général de la fabrique – est dédiée à la mise en œuvre du programme annuel de travail et dans un premier temps à l’élaboration des modalités de faisabilité de la Fabrique dans toutes ses dimensions. Sa légitimité repose sur l’implication et la compétence reconnue de ses membres. Le noyau initial sera constitué avec et par les fondateurs. Elle élabore la proposition de programme annuel de travail soumis aux alliés, veille à la diffusion des méthodes et des outils, prépare les échéances collectives, encourage et éventuellement coordonne des initiatives prises conjointement par des alliés, veille à la coopération entre tous, forme de nouveaux venus aux méthodes de travail, met en forme le patrimoine commun de l’Alliance et ses avancées. L’équipe doit être réduite et compacte. Elle n’a pas à assumer l’ensemble des objectifs de la Fabrique ni à se doter de l’ensemble des compétences dont elle a besoin. Au contraire elle doit veiller à répartir les missions entre tous les alliés en fonction des compétences de chacun et à partir d’un échange collectif ;
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l’Assemblée échange de façon régulière grâce à internet. Elle s’organise en fonction des thèmes abordés. Elle se réunit au moins une fois par an pour vérifier que la confiance faite à l’équipe opérationnelle est honorée, mesurer les avancées, développer le patrimoine commun à partir des contributions de chacun, définir les perspectives de l’année qui vient.
5. Les rythmes de travail
La Fabrique se développe sur une base annuelle et une base triennale.
a) Cycle annuel
Chaque année un programme annuel de travail est adopté. Il repose sur l’engagement des uns et des autres. Des décisions qui ne rencontreraient pas l’adhésion des intéressés seraient sans portée. Un bilan est établi. Il concerne :
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l’évaluation du patrimoine commun ;
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l’état d’avancement des transitions engagées ;
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l’identification des blocages et les propositions portées collectivement pour les lever ;
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un programme commun de travail et de développement des relations de coopération de la Fabrique, y compris internationales, en appuyant les alliés qui disposent déjà de réseaux établis.
b) Cycle triennal
La Charte d’Alliance constitue la quille de la Fabrique, ce qui lui permet de ne pas chavirer à la moindre tempête. Ce n’est pas un texte gravé dans le marbre. Tous les trois ans il fait l’objet d’une relecture collective et pourra être enrichi au regard de l’expérience vécue par tous.
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