Projet d’économie circulaire pour la ressource alimentaire dans la région de Lyon
Module 2.2 du Mooc « Acteurs, leviers, outils pour mener les transitions du système alimentaire »
Cédric Fouilland, 2018
Ce récit retrace la création de Lyon Bio Ressources, un projet entrepreneurial privé d’économie circulaire de la ressource alimentaire qui se transforme en démarche collective.
Au départ, l’existence d’une opportunité de création d’une nouvelle offre de services
L’idée émerge en 2015.
A compter du 1er janvier 2016, la loi prévoit un abaissement du seuil de qualification des « gros producteurs » de biodéchets à 10 tonnes/an au lieu de 20 tonnes/an, entraînant une obligation légale de tri à la source et de valorisation spécifique (compostage, méthanisation, etc.).
S’ouvrait donc une opportunité pour proposer une offre de service à destination des restaurateurs qui allaient se retrouver quelques mois plus tard sous le coup de ces nouvelles obligations. C’est sur cette idée que Florence Mardirossian m’a contacté par l’intermédiaire d’une connaissance professionnelle commune en septembre 2015.
La rencontre de deux compétences complémentaires
Ingénieur issu du secteur de l’énergie et évaluateur de politiques publiques, je m’étais formé récemment à l’économie circulaire et j’étais en recherche de projets d’application concrète de ses principes et stratégies. Florence, elle, est spécialisée dans les affaires publiques et a travaillé pendant près de 15 ans en lien avec la Politique européenne de voisinage, dans les pays situés à l’Est et au Sud de l’Union Européenne.. Au cours de nos tous premiers échanges, l’intérêt potentiel d’aborder l’offre de service de tri et de collecte des biodéchets des restaurateurs, que souhaitait bâtir Florence, sous l’angle de l’économie circulaire et de ses bénéfices nous a paru suffisamment intéressant pour initier ensemble une recherche exploratoire du sujet.
Une recherche exploratoire qui conduit à reformuler l’idée initiale
Les entretiens auprès de restaurateurs, collecteurs-valoristes de biodéchets, chargés de mission des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’Etat et l’étude documentaire se sont poursuivis jusqu’à la fin d’année 2015 et nous ont amené à reformuler profondément l’idée initiale. Il est en effet vite devenu patent qu’une offre de service visant à accompagner les restaurateurs vers le respect de leurs nouvelles obligations réglementaires ne serait pas faisable dans des délais si courts, alors même que la demande solvable, les incitations et les contraintes apparaissaient faibles. Les dispositions réglementaires existantes pour les gros producteurs d’avant le 1er janvier 2016 -20 tonnes/an- étaient d’ailleurs souvent inappliquées, notamment faute de contrôles ou de mesures coercitives effectifs. Pas de marché en somme.
Notre recherche exploratoire faisait en revanche ressortir l’envie de « bien faire » des acteurs interrogés (respecter la loi, protéger l’environnement, etc.), ainsi que les freins financiers et le manque d’engagement de tiers. La responsabilité était plus ou moins rejetée sur un autre acteur de la chaîne. Il était reproché à la puissance publique de ne pas être suffisamment incitative de comportements vertueux ou de ne pas remplir son rôle d’organisatrice du territoire ; aux entreprises de collecte de biodéchets, de proposer des solutions insatisfaisantes ou hors de prix ; aux associations de riverains de faire obstacle aux projets d’infrastructure de valorisation des biodéchets sur le territoire ; etc.
Reste que nous avons pu identifier plusieurs nœuds à partir desquels il était possible de reconfigurer notre idée initiale :
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la région de Lyon est sous-équipée en capacités de valorisation des biodéchets ; autrement dit, les bénéfices économiques d’une valorisation locale sont perdus par le territoire faute d’une filière adaptée : les biodéchets des professionnels de la région de Lyon effectivement triés et collectés de manière séparative (ceux des très gros producteurs, notamment) sont majoritairement exportés hors, voire loin, du territoire pour être compostés (Isère, Saône-et-Loire) ou méthanisés (Haute-Loire, Bourgogne, Essonne)
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il est difficile pour un acteur unique, porteur d’un projet d’infrastructure de valorisation, de relever seul les défis de l’accès au gisement, de la sécurisation des exutoires et de l’acceptabilité sociale
C’est ainsi que notre projet d’offre de services s’est transformé en un projet de création d’une filière territoriale de valorisation des biodéchets dans un esprit à la fois collectif et d’économie circulaire : il s’agissait alors de mobiliser l’ensemble des parties prenantes concernées (agriculture, industrie agroalimentaire, restauration collective, collecteurs de biodéchets) d’un territoire pour opérer la transition vers une gestion spécifique effective des biodéchets, ainsi que de réaliser le retour d’expérience de cette démarche pilote afin d’obtenir les enseignements utiles à la mise en place de filières de valorisation similaires sur d’autres territoires.
Ce projet a été présenté à quelques acteurs clés, en particulier l’Agence pour la défense de l’environnement et la maîtrise de l’énergie (ADEME) et la Métropole de Lyon (élus et services), en mars-avril 2016.
Une confrontation aux prescripteurs publics qui modifie à nouveau le projet, stimulant le passage d’une initiative privée à une démarche collective.
Les retours de l’ADEME et de la Métropole de Lyon n’ont, à l’époque, pas été particulièrement encourageants. Il semblait clair que nos profils, le fait que nous n’ayons pas d’assise, de structure légale porteuse ni d’expérience dans le secteur des déchets ou sur le territoire, étaient pour nos interlocuteurs autant d’éléments qui marquaient la fragilité de notre initiative et, partant, ses faibles chances de réussite.
Cependant, le fait que notre proposition s’appuyait sur la participation des acteurs professionnels du territoire et se réclamait de l’économie circulaire a été souligné par nos interlocuteurs comme original et intéressant. En bref, nous sommes sortis de ces entretiens moins avec un encouragement qu’avec un défi : mobiliser les acteurs autour d’un projet d’économie circulaire. Nous aurions alors logiquement toute l’attention et le soutien tant de l’ADEME que de la Métropole.
Une difficile mobilisation des acteurs riche d’enseignements
Les mois suivants ont donc été consacrés à mobiliser les premiers de ces acteurs : producteurs de biodéchets, collecteurs et valoristes, utilisateurs des produits de la valorisation.
Le processus s’est révélé assez long : une bonne dose de pédagogie quant aux objectifs et particularités du projet était bien entendu nécessaire, à laquelle s’est ajouté un temps passé à convaincre de l’opportunité du passage à l’acte pour les premiers partenaires (nous nous sommes trouvés quelques semaines avec plusieurs accords de principes conditionnés à l’engagement effectif d’autres acteurs, chacun se regardant pour ainsi dire en chiens de faïence).
A la fin de l’année 2016, cinq acteurs étaient disposés à rejoindre le projet : le Marché de gros de Lyon-Corbas, le pôle de compétitivité spécialisé dans les énergies renouvelables Tenerrdis, la société GRDF, la société GL events, le syndicat de restaurateurs GNI Synhorcat.
Ce processus de mobilisation a été apprenant à bien des égards :
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nous avons perçu l’originalité d’un projet :
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pensé pour être porté par des acteurs privés, là où l’on attend plutôt un stimulus (ou une pression amicale) public (que) visant le respect de normes et/ou la modification de pratiques
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amené et animé par un tiers (a priori non concurrent et non menaçant) cherchant à créer une adhésion collective conduisant ce collectif à s’en emparer
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nous avons reconsidéré la notion de territoire pour davantage de pertinence quant au cycle de vie de la ressource alimentaire (« du champ à l’assiette et de l’assiette au champ ») et avons donc dépassé les limites administratives de la Métropole de Lyon au profit de l’aire métropolitaine lyonnaise (qui s’étend à Roanne, Saint-Etienne et du nord de l’Isère jusqu’à Vienne)
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les acteurs mobilisés ont considéré qu’ils pouvaient verser des éléments de leurs stratégies respectives (RSE, gestion de déchets, conformité réglementaire, communication, intégration dans l’écosystème, lobbying fiscal, etc.) dans un creuset collectif et espérer obtenir ainsi de meilleurs résultats à moindre coût
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la crainte de rater quelque chose est un moteur à ne pas sous-estimer (principe selon lequel il vaut mieux en être que ce soit pour réellement construire, pour simplement en profiter, pour au moins être au courant ou pour faire capoter…)
Mise en place d’une gouvernance collective et changement de posture des porteurs initiaux
En janvier 2017, une structure ad hoc, l’association Lyon Bio Ressources, a été créée pour porter le projet, rassemblant les 5 premiers acteurs déjà cités ainsi que la société que Florence et moi projetions de créer pour structurer notre rôle dans le projet (et répondre par la même à la demande de nos interlocuteurs publics).
La dynamique collective étant lancée, notre rôle dans le projet a naturellement évolué vers davantage de travail de conception. Nous avons ainsi monté et réalisé l’étude de projet visant à l’élaboration du plan d’action de Lyon Bio Ressources, coconstruit par les membres et partenaires de l’association.
Controverses et poids des cultures professionnelles
Le principal point de débat entre certains membres de l’association porte sur la nature des solutions de valorisation des biodéchets : méthanisation et/ou compostage.
Prônant la méthanisation avec injection dans les réseaux de gaz, GRDF joue de tout son poids de monopole délégataire de mission de service public pour ne pas faire preuve d’une excessive considération pour des opinions différentes.
En tant qu’initiateur et désormais concepteur du projet, nous soutenons l’idée d’une complémentarité des solutions comme condition nécessaire de l’intérêt du territoire. En effet, une solution unique, a fortiori basée sur la massification des biodéchets et sur une infrastructure centralisée, ne pourrait qu’aboutir à l’émergence d’un acteur prépondérant qui, fort de sa position dominante, sécuriserait les gisements économiquement les plus intéressants (ceux des gros producteurs solvables), ne laissant aucune place économiquement viable à des porteurs d’autres solutions de valorisation et, sans incitation particulière à collecter les gisements moins intéressants, condamnant ces derniers à demeurer orphelins de filière.
Il aura fallu beaucoup de vigilance dès la création de Lyon Bio Ressources, il en faut encore aujourd’hui, pour tenir ce principe de complémentarité des solutions de valorisation et convaincre les tenants de la méthanisation comme ceux du compostage ou du lombricompostage que cette complémentarité va dans le sens de leur intérêt, bien mieux qu’une situation de concurrence frontale entre solutions. A titre d’exemple, GRDF prône la méthanisation avec injection dans les réseaux de gaz et joue encore fréquemment de tout son poids de monopole délégataire de mission de service public pour ne pas faire preuve d’une excessive considération pour des opinions différentes.
L’intérêt et l’engagement de la puissance publique
Maintenant que la dynamique collective souhaitée par l’ADEME et de la Métropole de Lyon était là, ces derniers ont apporté leur soutien à la démarche, aussi bien pour l’affichage, la mobilisation des techniciens que le financement.
Lyon Bio Ressources a ainsi bénéficié :
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de pouvoir organiser son AG constitutive de Lyon Bio Ressources dans les locaux de la Métropole de Lyon
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du parrainage du lancement « public » de l’association par son premier Vice-président lors du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation (Sirha) à la fin du mois de janvier 2017
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d’une rencontre avec la quasi-totalité des services métropolitains concernés en février 2017
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d’un financement de l’ADEME, obtenu en avril 2017 pour réaliser une étude de projet, en complément d’un apport de GRDF.
Le pari de l’ouverture comme condition d’existence du projet
Le diagnostic sur l’utilisation de la ressource alimentaire par les professionnels du territoire s’est déroulé sur une période de 8 mois, de mai 2017 à janvier 2018. L’organisation, en novembre 2017, des « 1ères assises territoriales de la ressource alimentaire » a été un élément fédérateur décisif.
Initialement prévu comme un atelier d’une vingtaine de participants moteurs, nous avons fait le pari d’ouvrir à l’ensemble des parties prenantes intéressées, dans cette idée que la dimension collective de l’action était en soi une des conditions de la réalisation du projet. En somme construire une filière circulaire participative de la ressource alimentaire.
Ce sont 180 participants issus de 110 organisations qui ont consacré jusqu’à 7 heures de leur temps pour une séance de travail, structurée autour de 18 tables-rondes animées chacune par l’un des membres de Lyon Bio Ressources. Au-delà du matériau particulièrement riche recueilli ce jour-là, cette journée a eu un impact positif pour la notoriété locale de Lyon Bio Ressources.
Ce succès s’est concrétisé par l’adhésion de nouveaux membres à Lyon Bio Ressources. A la fin de l’année 2017, l’association comptait 19 membres, représentatifs de la plupart des secteurs d’activité ciblés (agriculture, industrie agroalimentaire, commerce, restauration, collecte et valorisation de biodéchets) ainsi que les deux associations nationales de référence dans l’économie circulaire.
Un plan d’action intégré pour une démarche de transition
Le plan d’action s’articule autour de trois sous-objectifs :
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la réduction de la pression sur la ressource primaire (développement des circuits de proximité, lutte contre les gaspillages),
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la valorisation locale des biodéchets
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l’élaboration du modèle économique et de gouvernance de la future filière
Cette articulation traduit l’inscription dans une démarche de transition. Il peut paraître en effet contre-intuitif de vouloir réduire la consommation de ressources si l’on veut avoir des déchets à valoriser dans une nouvelle filière. Notre enjeu est celui de ramener l’utilisation de matière, d’énergie et d’espace à des niveaux compatibles avec une durabilité forte des modèles de développement. C’est dans cet esprit d’ailleurs que toute solution unique qui concourait à la création d’équipements dont la rentabilité suppose un maintien voire une augmentation de la consommation ne nous paraît pas viable. D’où notre soutien à des bouquets de solutions, territorialisés.
Ce plan d’action traduit aussi l’ambition d’une approche systémique, non focalisée sur les comportements individuels mais s’appuyant sur les interactions entre acteurs. Ce choix d’intervenir sur le système implique des objectifs, des principes opérationnels et des méthodes spécifiques.
Pour traduire cette ambition, les modèles économiques habituels ne fonctionnent pas. Le calcul traditionnel de la richesse ne reflète qu’imparfaitement la création (ou la destruction) de valeur liée à l’activité humaine, entraînant des phénomènes de distorsion, notamment au détriment des créations de valeur non monétaire (valeur environnementale, sociale mais aussi économique). Cette situation motive des approches novatrices pour développer de nouveaux modèles économiques durables fondés sur une acception plus large de la création de valeur. Au cœur de la vision se place donc la question de la mesure, de la monétarisation, de la captation et de la distribution de la valeur durable créée.
Parallèlement se pose donc la question de la future gouvernance de filière, celle à même de garantir la mesure et la redistribution de cette valeur non monétaire. Un peu comme le système de compensation carbone.
Au-delà de la dimension technique de la construction de filière, il s’agit donc de trouver un modèle économique et de gouvernance innovant, susceptible d’incarner cette nouvelle façon d’aborder l’enjeu alimentaire.
Des actions concrètes immédiates
Si l’invention d’un modèle économique et d’un modèle de gouvernance appellent à des réflexions sur du temps long, en collaboration avec des chercheurs, le maintien et le développement de la dynamique engagée demandent la réalisation d’actions immédiates.
En 2018, en plus de ce travail exploratoire des modèles économique et de gouvernance de la future filière, deux actions pilotes ont été lancées : le développement d’un circuit de proximité pour l’approvisionnement en fruits et légumes de la restauration collective et la collecte et la valorisation locale de biodéchets des professionnels du 4ème arrondissement de Lyon.
Conjuguer intérêts particuliers, intérêts collectifs et intérêt général pour embarquer la diversité des acteurs
Portée par des acteurs privés (entrepreneurs), la démarche s’est transformée en acteur collectif concrétisé dans l’association Lyon Bio Ressources.
Dans l’émergence et la conduite de ce projet, il s’agit donc à la fois de :
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savoir rassembler les différents acteurs de la chaîne ;
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trouver des solutions originales pour répondre à l’enjeu posé de circulariser l’économie de la ressource alimentaire ;
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construire un modèle économique adapté.
Pour rassembler des acteurs qui ont peu l’habitude de travailler ensemble, le binôme d’entrepreneurs a mené un travail sur la compréhension de chacun des acteurs de la question, de la reconnaissance d’intérêts particulieurs et collectifs autour d’enjeux communs, d’explicitation des points de tension.
Ainsi en distinguant les intérêts particuliers (augmentation de la profitabilité, valorisation des engagements RSE, diminution des coûts matière et énergie, diminution des coûts de traitement des déchets…), les intérêts collectifs (stimulation de la coopération, amélioration du rapport au politique, accroissement des démarches de développement durable des acteurs…) et l’intérêt général (résilience du territoire, exemplarité…), il est possible de rassembler sur l’enjeu commun.
N’étant pas directement « de la partie », le binôme d’entrepreneurs a la possibilité de révéler les points de tension à travailler, sans « idéologiser » le débat. Ainsi leurs études préliminaires et leurs enquêtes permettent de mettre en lumière :
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la tension entre éloignement géographique des infrastructures de traitement, objectifs de relocalisation et rejet de la construction de nouvelles infrastructures sur le territoire ;
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l’opposition entre les choix de ‘technologies’ entre compostage et méthanisation qui peut créer de la tension sur les ressources
En révélant ces tensions, le binôme invite les acteurs à mieux cerner, ensemble, le « terrain de jeu ».
Enfin, le binôme aborde la question du modèle économique, adossé à une économie circulaire :
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le modèle économique territorial prenant en compte les externalités positives et négatives, de la ‘monétarisation’ de la création de valeur territoriale créée par la circularité de la ressource, de la comptabilité ;
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le modèle économique de l’organisme de gestion appelé à prendre la suite de l’association pour permettre les actions collectives.