Des cadres d’action, des dispositifs et des instruments multiples pour construire une stratégie alimentaire
Module 3.4 du Mooc « Acteurs, leviers, outils pour mener les transitions du système alimentaire »
Stéphanie CABANTOUS, Maëlle RANOUX, 2018
Ce module précise les cadres d’action dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent inscrire leur stratégie alimentaire ainsi que les dispositifs et instruments à leur disposition pour les mettre en oeuvre.
Cadres d’actions
L’inscription dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 (Art 39) du principe des projets alimentaires territoriaux (PAT) a donné un cadre d’action aux dynamiques territoriales.
Voyons la défense d’amendement de Mme la Députée Brigitte Allain qui a introduit le débat du contrat alimentaire territorial en 1ère lecture : « […] Avec la création de projets alimentaires territoriaux, il est proposé de fournir un cadre à une démarche partenariale entre l’État, les collectivités territoriales, les citoyens consommateurs et les acteurs économiques et sanitaires, afin de répondre aux attentes des acteurs des territoires,dans une logique de valorisation des productions des territoires, de relocalisation, et de création de lien social autour de l’alimentation. Aujourd’hui, ils doivent trouver un cadre juridique à chaque projet qu’ils souhaitent porter collectivement. La logique de contractualisation autour de systèmes alimentaires territoriaux répond à la fois aux attentes des consommateurs, des acteurs publics, des forces économiques et aux enjeux environnementaux. Nous comptons sur notre assemblée pour soutenir ce projet, qui pourrait être comparé à un GIEE alimentaire. » 1
Tout au long de la séquence parlementaire, l’esprit qui présidait à cette inscription dans la loi était double : légitimer les démarches déjà engagées en lui donnant un cadre ; en susciter de nouvelles, les personnes et/ou les structures souhaitant se lancer pouvant justifier de l’existence de cette incitation.
Nous étions quelque part dans le même état d’esprit que pour les Agenda 21. Un cadre incitatif, sécurisant car attrapable tout en étant non contraignant. Une primauté donnée au décloisonnement et au multi-acteurs.
C’est d’ailleurs par l’Agenda 21 que la Ville de Bordeaux en est venue à travailler sur la gouvernance alimentaire. Elle a en effet inclus l’alimentation dans les 7 thèmes qui constituaient l’Agenda 21 pour 2009-2013. Le forum Agenda 21 d’octobre 2012 a fait apparaître la gouvernance alimentaire comme l’une des caractéristiques principales de la ville durable et a permis à Bordeaux de devenir ville pilote de ce sujet, sur recommandation de la DREAL Aquitaine. Depuis lors, la ville ET la métropole développent un projet de gouvernance alimentaire territorialisée, en lien avec plusieurs acteurs. Citons entre autres : la DREAL, la DRAAF, le Département de la Gironde, le réseau des acheteurs responsables d’Aquitaine, l’Agence régionale de santé.
D’après l’observatoire national de la restauration collective bio et durable, ce projet « est porté par la Direction Energie, Ecologie et Développement durable de Bordeaux Métropole dans le cadre de sa stratégie Haute Qualité de Vie. Inscrire et faire porter le projet par la direction en charge de l’Agenda 21 présente deux intérêts pour la collectivité : l’expérimentation et la transversalité du projet. Celui-ci couvre en effet des aspects fonciers (préservation des terres), énergétiques (EnR), économiques (aides de la PAC vers l’agriculture durable) et environnementaux (traitement des déchets, lutte contre le gaspillage alimentaire). Pour Bordeaux Métropole, la mise en œuvre d’une gouvernance alimentaire passe par la création d’un Conseil Consultatif de Gouvernance Alimentaire (CCGA), espace de débat pour le territoire de la métropole et de son bassin de vie (départements, région, communes…). » 2
D’autres acteurs territoriaux peuvent choisir l’outil de coopération qu’est le Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE). En s’associant autour d’un projet économique commun, des acteurs aussi divers que des associations, coopératives, collectivités territoriales, entreprises classiques, universités, peuvent transformer un projet et tendre vers une approche systémique de la question alimentaire sur le territoire. Nous pouvons citer le cas du PTCE de l’Ecopôle alimentaire de la région d’Audruicq. Le PTCE a permis de construire un chaînon manquant dans l’activité originelle d’insertion par l’activité économique en maraîchage bio. La demande était supérieure à l’offre. Or des agriculteurs locaux bio pouvaient répondre à cette demande mais il fallait un outil. Les activités de logistique, planification, assortiment de produits, système de livraison, organisation des flux financiers, abonnement… ont pu être mutualisés. On est donc partie d’un besoin d’insertion, qu’on a élargi à un besoin de répondre à la précarité alimentaire du territoire en l’associant à la sécurisation des débouchés d’agriculteurs locaux dans une démarche de relocalisation.
Pourquoi cette digression sur l’Agenda 21 ou le PTCE ? Pour garder communément à l’esprit que le PAT n’est qu’un cadre d’action. Sa spécificité est d’être clairement estampillé « alimentation ». Cependant, le cadre du PAT n’est pas le seul à pouvoir être mobilisé pour travailler la question alimentaire à l’échelle du territoire et dans une démarche transversale. L’Agenda 21 peut être ce cadre.
Dispositifs et instruments
A côté des cadres d’actions, une série de dispositifs peuvent également être mobilisés et faciliter l’intégration des actions touchant à l’alimentation : démarche Leader, démarche de coopération type Interreg …
Enfin, des instruments peuvent être activés ou référencés comme le Programme national nutrition santé (PNNS), le Programme national de l’alimentation (PNA), Plan national Santé Environnement (PNSE)…
Aux angles d’entrée, domaines d’intervention et leviers d’action, nous pouvons associer instruments et dispositifs. Citons quelques exemples par angle d’entrée :
Concernant le pôle “santé” :
Les actions de communication / sensibilisation à visée éducative pourront mobiliser les instruments nationaux comme le Plan national santé-environnement (PNSE), le Programme national pour l’alimentation (PNA) ou le Programme national nutrition-santé (PNNS).
Concernant le pôle “économie” :
Pour la politique d’approvisionnement, l’instrument des aides à l’immobilier d’entreprise pour favoriser l’implantation de zones de stockage ou d’ateliers de transformation.
Concernant le pôle “environnement” :
Les collectivités souhaitant intervenir dans le domaine de la prévention et la valorisation des déchets, que ce soit par le levier de la lutte contre le gaspillage alimentaire ou par celui de la valorisation des déchets organiques pourront s’appuyer sur les dispositifs de soutien à l’économie circulaire mis en place par des organismes comme l’ADEME.
Concernant le pôle “intégration sociale” :
L’accessibilité alimentaire sera communément facilitée dans le cadre de la politique sociale par la mise en place de tarifs sociaux pour les cantines scolaires.
Concernant le pôle “aménagement” :
La mixité entre activités de même que la préservation de zones à haut potentiel agricole s’appuieront sur les outils de planification et schéma d’aménagement comme les PLU, PLUi, SCoT et autres SRADDET.
Enfin, concernant le pôle “démocratie” :
La gouvernance des projets et de la stratégie alimentaire sera facilitée par la mobilisation et la participation des acteurs via des démarches de concertation et le travail en mode projet des agents des collectivités concernées.
La distinction que nous opérons entre cadres d’action, dispositifs et instruments vise à alerter sur des démarches insuffisamment perçues comme des leviers de changement. Le fait que certains dispositifs et instruments soient également sources des financements nécessaires à l’action ne facilite pas la prise de recul. Ainsi, le réseau national des PAT a pu observé que pour certains « les PAT sont appréhendés comme des « outils », des moyens de mettre en oeuvre un certain nombre d’ambitions et d’actions. Ils sont alors perçus comme des projets « traditionnels » limités dans le temps. » Ces confusions soulignent que la politique alimentaire « se construit dans une inertie de pratiques anciennes, avec des expérimentations in situ que l’on ajuste ensuite pour tenter de les orienter au mieux. »3 En somme, nous avons tendance à reproduire ce que nous savons faire.
1 http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140122.asp#P153793b
2 http://www.observatoire-restoco-durable.org
3 BRICAS N., SOULARD C.-T., ARNAL C. – p. 129 in BRAND C., BRICAS N., CONARE D. , DAVIRON B., DEBRU J., MICHEL L., SOULARD Ch.-T., 2017, Construire des politiques alimentaires urbaines, Editions Quae, 160p.