Focus sur la France, des ordres de grandeur pour s’y retrouver
Module 1.5 du Mooc « Acteurs, leviers, outils pour mener les transitions du système alimentaire »
Stéphanie CABANTOUS, 2018
Pour caractériser le système alimentaire dans lequel nous évoluons en France, nous vous proposons de commencer par apprécier quelques ordres de grandeur. Ils permettront de mieux appréhender les angles d’approche possibles pour les acteurs territoriaux.
Première image à avoir en tête, notre lieu de vie.
Notre lieu de vie est devenu majoritairement urbain. En 2016, la Banque mondiale estimait que 54 % de la population mondiale était urbaine. Ce taux montait à 80 % pour la population française1.
En France, entre 2010 et 2012, l’INSEE a alternativement considéré que 95 % de la population française vivait sous l’influence des villes avant d’annoncer deux ans plus tard que 3/4 des bassins de vie sont ruraux. Gardons en tête qu’en France, nos modes de vie sont en majorité urbains. Pour autant, il existe des espaces périurbains et ruraux qui composent avec une plus ou moins grande discontinuité du bâti, une plus ou moins grande présence d’espaces naturels et agricoles, une plus ou moins grande qualité des services…
Finalement, ce qu’il est important de retenir est le fait que nos pratiques alimentaires sont des pratiques sociales fortement liées à l’organisation et l’aménagement de l’espace.
Deuxième zoom : le profil agricole de notre pays.
Selon le Ministère de l’Agriculture, le nombre d’exploitations agricoles en France a chuté d’un million à 450 000 entre 1988 et 20132.
La part des exploitations vendant en circuits courts est – elle - relativement stable dans le temps : 19 % en 1979 , 21 % en 2010. Il existe bien sûr des disparités régionales liées notamment à la nature des productions et à l’insularité (Corse)3.
Cette stabilité paraît pourtant contre-intuitive. En effet, la surface et la taille économique des exploitations n’ont cessé de croître en même temps que le nombre d’exploitations diminuait. Les systèmes de production se sont spécialisés et les exploitations se sont intégrées dans des systèmes économiques mondialisés. La part d’exploitations vendant en circuits courts devrait logiquement baisser. Sa stabilité dénote donc d’une évolution d’une part de la population agricole qui choisit de ne pas s’insérer dans cette course à l’agrandissement et dans ces filières mondialisées.
Un autre indice intéressant est proposé par l’ADEME. Selon elle, 10 % des exploitations commercialisant en circuits-courts pratiquent l’agriculture biologique contre 2% des exploitations commercialisant en circuit long4. Il existe donc une corrélation entre les pratiques de production et les pratiques de commercialisation.
Finalement, il est important de retenir que l’alimentation résulte de choix politiques et entrepreneuriaux en matière d’agriculture.
Importations
La facture des importations agroalimentaires françaises est lourde : 37 milliards € en 2013, en progression de 77 % depuis 2000. Celle de l’agriculture s’élevait à 12 milliards € en 2013, en hausse de 48 % depuis 2000. Nous importons pour les 2/3 des pays de l’Union Européenne : viandes, fruits, poissons, vins et alcools, produits laitiers, produits à base de céréales, aliments pour animaux. Nous importons de ces pays alors qu’ils ont des conditions agro-climatiques proches des nôtres. Nous importons aussi le maïs et le soja, utilisés pour nourrir les animaux d’élevages industriels. Ces constats nous invitent à penser, qu’en dehors des produits tropicaux, les marges de manœuvre existent pour revoir nos systèmes de production.
Troisième zoom : le profil de consommation des ménages français.
Depuis 1960, les ménages consacrent à l’alimentation une part de plus en plus réduite de leurs dépenses de consommation : 20 % en 2014 contre 35 % en 1960. Cette dépense représentait 3600€ par habitant par an en moyenne en 2014. Un quart de cette dépense est réalisé en consommation hors domicile (contre 14 % en 1960).
Parallèlement, le contenu du panier alimentaire s’est modifié avec une augmentation de la part des produits transformés, des produits sucrés, des boissons non alcoolisées5. Notons toutefois que cette structure de consommation évolue en fonction du niveau de revenu. Les revenus élevés consomment moins de produits préparés ; les ménages moins aisés consommant eux davantage de pain et de céréales.
Finalement, il est important de retenir que l’alimentation est une question sociale.
Quatrième zoom : les pertes et gaspillages relatifs à l’organisation de nos filières agricoles et agro-alimentaires.
En France, les pertes et gaspillages alimentaires représentent 10 millions de tonnes de produits par an, soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros.
32 % des pertes et gaspillages ont lieu en phase de production, 21 % en phase de transformation, 14 % en phase de distribution et 33 % en phase de consommation.
Au stade de la consommation à domicile, l’ADEME estime ces pertes et gaspillages à 29 kg par personne et par an (dont 7 kg de déchets alimentaires non consommés encore emballés). Il faudrait y ajouter les pertes et gaspillages générés en restauration collective ou commerciale, d’autant plus qu’1/4 de la consommation alimentaire d’un ménage s’effectue hors domicile6.
Cinquième zoom : les émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole et agro-alimentaire.
Retenons que, confondus, les secteurs agricole et agro-alimentaire représentent 20 à 30 % de nos émissions de GES, répartis ainsi :
-
production agricole 11 à15 % ;
-
transformation agro-alimentaire (y inclus réfrigération et emballage) 13 à 15 % ;
-
transports 5 à 6 % ;
-
distribution 1 à 2 % ;
-
décomposition déchets 3 à 4 %
A ces émissions s’ajoutent au niveau mondial celles liées au changement d’affectation des terres par déforestation pour l’extension des terres agricoles. Elles concernent 15 à 18 % des émissions totales.
Il est important de retenir qu’avec les pertes, les gaspillages et les émissions de gaz à effet de serre, l’alimentation est un enjeu environnemental.
Dernier zoom : nos pratiques d’achats.
Pour la distribution, les commerces :
L’approvisionnement de la grande distribution représente 5 % de l’ensemble des mouvements d’approvisionnement contre 45 % pour le secteur de l’hôtellerie-café-restauration. 54 % des approvisionnements sont réalisés par des véhicules légers (destinés à l’hôtellerie-café-restauration, aux petites épiceries…).
Pour les ménages :
Entre 6 et 7% des achats alimentaires sont effectués via des circuits courts, c’est-à-dire avec au maximum un intermédiaire7.
Bien que l’on pourrait penser que l’approvisionnement est ce qui génère le plus de trafic, les déplacements des particuliers pour leurs achats alimentaires représentent deux fois plus « d’occupation de voirie » que l’approvisionnement des commerces. Cette voirie est d’autant plus « occupée » que l’aménagement de l’espace (y inclus la répartition des commerces) ne permet pas d’envisager autre chose que de prendre sa voiture. Avec le numérique, un découplage commence à s’opérer entre l’acte d’achat et le déplacement d’achat. Il est lui aussi à anticiper dans l’organisation de la ville8.
Il est important de retenir que l’alimentation est un paramètre dans l’aménagement de l’espace, un enjeu pour la logistique.
Conclusion
Les flux alimentaires actuels sont à mettre en regard de l’organisation de l’espace et du zonage des activités, dont la mondialisation. Historiquement, avec les politiques hygiénistes et les progrès techniques, les besoins d’espaces à bâtir pour l’extension de la ville et l’énergie peu chère ont contribué à la séparation des activités de production, transformation, distribution et consommation. De même, la spécialisation des productions, l’utilisation des engrais industriels permettant la rupture de complémentarité entre culture et élevage, ont contribué à l’éclatement de l’aire de d’approvisionnement des villes.
Ce bref panorama de quelques chiffres clés liés aux secteurs agricoles et alimentaires témoigne de la forte interdépendance entre les dimensions économiques, sociales, environnementales, politiques d’aménagement, pratiques sociales, etc. formant un système robuste.
1 source : Banque mondiale donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.URB.TOTL.IN.ZS?end=2016&start=1960&view=chart
2 source Agreste 2017
3 source Agreste
4 source ADEME juin 2017
5 Source INSEE
6 Source ADEME : www.ademe.fr/etat-lieux-masses-gaspillages-alimentaires-gestion-differentes-etapes-chaine-alimentaire
7 Source CESER Pays de la Loire 2013
8 ROUTHIER J.-L., Qui génère les flux d’approvisionnement alimentaire dans les agglomérations ?, pp 41-42 in BRAND C., BRICAS N., CONARE D. , DAVIRON B., DEBRU J., MICHEL L., SOULARD Ch.-T., 2017, Construire des politiques alimentaires urbaines, Editions Quae, 160p.