Arte, ciudad y arquitectura
2017
Le Bernin à Rome, Schinkel à Berlin, Aalto à Helsinki ne faisaient rien d’autre, dans la confiance albertienne en l’architecture, qui veut que tout édifice soit aussi une occasion de construire la ville. Plus ou moins monumentaux, parfois remarquables, parfois plus discrets, les bâtiments publics offrent ainsi à leur milieu d’accueil une urbanité particulière, ils en complètent ou en réinventent le paysage. Il s’agit d’ailleurs, lorsque cela est le plus réussi, d’un échange. Pensons à la bibliothèque dessinée par Gordon Bunshaft à New Haven, dont l’écrin d’albâtre profite du cadre des colonnades de Yale, et lui offre une nouvelle place. Ou, à Helsinki, au Finlandia Hall de Alvar Aalto, appuyé sur l’horizon de la baie, et marquant pour la ville l’entrée d’un nouveau parc. Plus près de nous, et plus humble, le tout dernier « Prix de la première œuvre » ne raconte pas autre chose dans le petit village de Marsac-en-Livradois. Echange fécond, et bien économe : tout est question d’intelligence, et d’optimisation de l’effort de construire. Chaque écu dépensé pour les soins, la musique, la natation, la lecture ou le droit sert aussi le sens de la ville. Le nouvel édifice prend au site certaines ressources - tracés, vues, accès, mitoyenneté, position singulière dans la topographie – pour restituer aux environs un espace public enrichi par sa présence. Un peu comme l’on apporte des fleurs, ou du vin, lorsqu’on honore une invitation. Un cadeau mutuel entre ville et architecture.
Cette exigence devrait être simple à engager, quel que soit le contexte. Elle retranscrit dans chaque action publique – fut-elle contenue dans un modeste programme – un intérêt collectif plus ample, qui amende le territoire. Qu’il y ait crise financière ou pas, cette démultiplication des effets est aussi un principe d’économie, on le devine. On obtient plus avec moins, disons autant d’efforts.
Urbaniste, architecte-conseil de l’Etat ou enseignant, je constate pourtant très souvent le très exact contraire. Cette réflexion urbaine et territoriale demeure exceptionnelle dans la réalisation des programmes d’architecture. C’est un peu la faute des architectes – il faut bien le dire – mais pas seulement ; pour offrir quelque chose de plus à la ville que leurs propres usages, les équipements et les services publics doivent se situer en des sites opportuns, avec une vision urbaine qui favorise les liens avec le voisinage, des programmes et des modes de gestion qui ne sclérosent pas les tentatives de conciliation, de mise en commun, de mitoyenneté, de mutualisation d’usages, de dispositifs, etc.
Ainsi au hasard de l’examen d’un grand site avec un groupe d’étudiants, ou en parcourant un territoire d’études, on s’aperçoit que le lycée, la piscine, la médiathèque ou l’hôpital sont presque toujours implantés comme le supermarché, la halle d’activité ou la maison : insulaire, bloc plus ou moins complexe isolé au centre de sa parcelle, retranché au-delà d’une clôture. Ici et là, ces édifices orphelins renient et altèrent le paysage auquel ils présentent leur dos, les locaux déchets, les aires de services, les aires de giration, les transformateurs, comme si une maison de retraite ou un collège étaient d’abord une question de logistique. Souvent inaccessibles aux piétons, ces équipements qui furent naguère les jalons indispensables de l’espace public sont une ode à la rocade et à la voiture individuelle, et occupent des parcelles lointaines au gré des opportunités foncières. Certes, tous les territoires ne sont pas Bordeaux ou Lyon, et n’ont pas la chance de disposer d’une ossature de transports publics aussi forte. Mais encore pourrait-on anticiper, et choisir dans la durée les espaces les plus appropriés pour installer les usages collectifs qui nous intéressent tous. Pour accentuer encore cette banalisation des programmes publics, certains architectes ont su se complaire dans un expressionnisme – ailes d’avion, pliages incertains, maniérisme hors d’échelle, « fake » effets tectoniques – et tentaient de camoufler par une monumentalité décorative l’indigence urbaine de l’édifice. Cette période s’estompe, semble-t-il, et fort heureusement.
Les quelques bons exemples – comme l’auditorium de Nantes ou le MUCEM de Marseille – pourraient faire illusion. Mais cela masque mal l’indigence ordinaire. Architectes, nous ne devons pas renoncer à lutter, amender ou remettre en cause le mauvais programme situé au mauvais endroit, et plus encore nous attacher à honnir les coquetteries superfétatoires et les vains exploits du m’as-tu-vu.
Et il faudra bien promouvoir plus d’intelligence entre architecture et territoire.
Pour au moins trois raisons.
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La première est financière : il est probable que les collectivités aient de moins en moins d’argent à dépenser en plus des bâtiments pour donner à la ville sa cohérence et à l’espace public son sens, ses continuités, sa qualité. Il faudra bien profiter de chaque opération pour co-construire la ville avec l’architecture.
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La deuxième raison est sociale : il serait fou d’imaginer que les investissements publics qui demeurent nécessaires au fonctionnement de nos sociétés répliquent, en plus marquant encore, les ségrégations, les isolements, les retranchements que suggèrent en chaque lieu les insularités privées, et contribuent ainsi à fragmenter, dissocier, séparer, éloigner.
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La troisième raison est écologique : la mutualisation des usages, l’optimisation des ressources est la condition d’une empreinte moindre sur nos milieux ; chaque quartier habité, chaque voie existante, chaque proximité déjà active entre deux lieux complémentaires est une chance.
Voilà un beau sujet d’architecture « territoriale ».
Referencias
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