Politique de la ville : alimentation durable et solidaire en quartiers
mars 2018
Aujourd’hui, de nouvelles initiatives solidaires autour de l’accès à l’alimentation durable émergent dans les quartiers prioritaires sous des formes socialement innovantes et visent le développement, l’essaimage, la duplication. La question du changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire est un peu dans l’air du temps mais est-ce si évident que cela ? L’enjeu est-il celui du changement d’échelle ou de la démultiplication des initiatives solidaires et socialement responsables ?
Trois initiatives qui travaillent à leur développement sont présentées dans cette étude.
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Les États généraux de l’alimentation lancés par le gouvernement se sont clos en décembre 2017. Ils ont débouché sur une feuille de route gouvernementale pour la période 2018-2022, qui porte comme axes stratégiques :
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la promotion de choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l’environnement ;
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la réduction des inégalités d’accès à une alimentation durable et de qualité ;
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le renforcement de la souveraineté alimentaire de la France.
Un projet de loi « Pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et pour une alimentation saine et durable » a été présenté le 31 janvier. Les mesures en faveur d’une alimentation saine, de qualité et durable intéressent particulièrement les collectivités territoriales : d’ici 2022, la restauration collective devra s’approvisionner avec au moins 50% de produits issus de l’agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité. Le projet de loi entend aussi s’attaquer au gaspillage alimentaire.
Le RTES s’est déjà penché sur le rôle des collectivités dans le développement de circuits alimentaires de proximité dans sa lettre papier n°27. Ici, l’angle est celui de l’accès de tous à une alimentation durable de qualité, en particulier dans les quartiers prioritaires de la Politique de la ville.
L’accès de tous à une alimentation durable constitue un enjeu de justice alimentaire et de santé publique, un levier économique pour l’emploi local et les filières paysannes, un élément de réponse aux problèmes environnementaux et climatiques actuels. Mais les projets autour de l’alimentation, parce qu’ils sont des supports de valorisation de la diversité culturelle et du pouvoir d’agir des habitants, permettent aussi d’interroger le lien social dans les quartiers et de revitaliser des zones urbaines.
Les projets d’ESS autour de l’alimentation sont historiquement présents dans les quartiers prioritaires. En témoigne le traiteur solidaire associatif « Cannelle & Piment » né à Vaulx-en-Velin dès 1989, ou encore l’implantation de nombreuses épiceries solidaires en quartiers prioritaires qui visent à favoriser l’accès de tous à une alimentation durable.
Aujourd’hui, de nouvelles initiatives solidaires autour de l’accès à l’alimentation durable émergent dans les quartiers prioritaires sous des formes socialement innovantes et visent le développement, l’essaimage, la duplication.
La question du changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire est un peu dans l’air du temps mais est-ce si évident que cela ? L’enjeu est-il celui du changement d’échelle ou de la démultiplication des initiatives solidaires et socialement responsables ? Et dans ce cas, quels cadres la favorisent ? Comment essaimer tout en respectant les spécificités de chaque territoire ? Quelles sont les conditions de cet essaimage et quels rôles peuvent y jouer les collectivités territoriales ?
Trois initiatives qui travaillent à leur développement sont présentées dans cette transversale. Au-delà des outils et conditions mis en place par les initiatives pour essaimer, les collectivités territoriales qui les ont soutenues ont participé de différentes manières à leur développement : au travers de commandes publiques responsables adaptées aux enjeux précédemment cités, par la construction d’un écosystème favorable, et par la prise de risque en confiant un projet ambitieux à un acteur en voie de structuration.
La SCIC Bou’Sol : créer et animer un réseau de boulangeries bio d’insertion à travers la France.
Bou’Sol est née en 2013 d’une rencontre entre deux entrepreneurs, Benjamin Borel et Samuel Mougin, et un projet d’insertion implanté dans les quartiers Nord de Marseille depuis plus de 20 ans, « Pain et Partage », une boulangerie solidaire en direction des acteurs de la restauration collective et fonctionnant sous la forme d’un Atelier et chantier d’insertion (ACI).
La SCIC Bou’Sol se donne pour mission d’assurer l’émergence et l’animation d’autres boulangeries solidaires “Pain et Partage” à l’échelon national. L’amorçage et l’incubation du projet Bou’Sol a été rendu possible grâce au soutien structurant du Conseil Régional Provence Alpes Côte-d’Azur via son dispositif FONDEX de 2011 à 2013. Bou’Sol a continué de bénéficier d’un appui fort de la part de l’entité régionale dans la phase de montée en puissance de son activité.
Franchise solidaire, qui s’inscrit dans la dynamique des Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE), Bou’Sol est une structure d’ingénierie qui accompagne les boulangeries « Pain et Partage » dans leur développement à travers une gamme de services : conseil et appui à des porteurs de projets via une méthodologie d’intervention alliant expertise du réseau et ancrage territorial des porteurs de projets, appui à la structuration de filières locales d’approvisionnement, développement d’outils de gestion et de communication…
Les boulangeries « Pain et Partage » fabriquent leur pain à partir de farines biologiques et locales et en suivant des méthodes de panification artisanales. Elles mettent également en oeuvre une organisation apprenante et inclusive permettant l’accueil et la professionnalisation de salariés en parcours d’insertion. On dénombre 61 emplois dont 41 en parcours d’insertion en 2017 dans les boulangeries du réseau.
Aujourd’hui, 5 boulangeries solidaires ont été créées sur le modèle pensé par Bou’Sol à Marseille (2 boulangeries), Lyon, Montpellier et Calais et deux autres sont en cours de création à Dijon et Bordeaux- Mérignac.
A Lyon, la boulangerie a été labellisée « Lyon Ville Équitable & Durable » (label de la Ville de Lyon visant à démocratiser la consommation responsable).
Dans l’agglomération bordelaise, le projet de boulangerie a émergé fin 2016 et devrait ouvrir ses portes en mars 2018. Tout au long de la démarche, le réseau « Bou’Sol » et le porteur du projet local (l’association intermédiaire bordelaise BIC) ont pu bénéficier d’un fort soutien politique de différentes collectivités, Conseil régional Nouvelle Aquitaine, Conseil départemental de Gironde, Bordeaux Métropole et Ville de Mérignac, qui sont intervenues au titre de leurs compétences respectives. Ces collectivités ont joué un rôle déterminant de facilitateur (mise en réseau, réflexion autour des politiques d’achats responsables, co-construction des dossiers de demande de subventions…).
Cette 6ème boulangerie Pain et Partage va bénéficier d’un soutien en investissement de 200 000 euros du Conseil régional au titre de la Politique de la ville, de 60 000 euros de Bordeaux Métropole au titre de sa politique de soutien à l’ESS et d’un financement européen FEDER de 165 000 euros.
La Ville de Mérignac a participé à ce véritable travail d’équipe en favorisant notamment son implantation territoriale (recherche de locaux, lien avec les acteurs de l’emploi, phases de recrutement, relais auprès du Conseil Citoyen).
Outre le rôle de financeur et de facilitateur dans l’émergence de projets de boulangeries, les collectivités locales jouent un rôle majeur dans le développement des différentes boulangeries solidaires « Pain et Partage » via le levier de la commande publique responsable. Cela peut être le cas pour l’approvisionnement en pains bios de crèches, écoles primaires, collèges ou lycées, de manière directe ou par l’intermédiaire d’un opérateur de restauration collective (par exemple à Montpellier, Villeurbanne, Marseille,…). Les pains des boulangeries « Pain et Partage » sont ainsi en capacité d’être retenus lorsque les marchés publics des collectivités intègrent des systèmes de pondération où les critères de qualité ou de fourniture en bio sont plus importants (à plus de 50%) que le seul critère de prix. Les pains bios produits sont aussi fournis à des structures caritatives ou d’urgence sociale. En 2017, ces approvisionnements représentent au total 60 000 consommateurs sur toute la France.
Au-delà du levier de la commande publique responsable, les collectivités territoriales peuvent accompagner l’essaimage d’initiatives socialement innovantes par la construction d’un écosystème favorable à leur développement.
VRAC : l’essaimage national de groupements d’achats entre habitants de quartiers prioritaires
VRAC - Vers un Réseau d’Achat Commun, propose aux habitants de quartiers prioritaires des produits de qualité (bio et/ou locaux) à des prix raisonnables, grâce au groupement de commandes, à la réduction des coûts intermédiaires (circuits-courts) et superflus (limitation des emballages).
L’association VRAC est née en 2013 de la rencontre entre Boris Tavernier, engagé depuis de nombreuses années dans des projets de consommation responsable démocratisée, le bailleur social Est Métropole Habitat et la Fondation Abbé Pierre.
Elle s’est développée en s’inscrivant au sein d’un écosystème favorable promu par la Ville de Lyon et la métropole du Grand Lyon, VRAC étant labellisé « Lyon, ville équitable et durable » et membre du Conseil Lyonnais de l’Alimentation Durable, un instrument politique créé par la Ville avec une trentaine d’acteurs ESS du secteur.
La Ville de Lyon communique régulièrement sur ce projet, apporte son soutien financier via une subvention dans le cadre de sa politique ESS, tandis que la métropole a également apporté un soutien financier (13 000 euros en 2016 dans le cadre de son Plan d’éducation au développement durable).
VRAC s’inscrit aussi dans les actions liées au développement durable prévues par le Contrat de ville, et est lauréat 2016 du concours « S’engager pour les quartiers » co-organisé par FACE et l’ANRU.
L’association coordonne aujourd’hui des groupements d’achats dans 13 quartiers prioritaires de l’agglomération lyonnaise.
Dans chaque quartier, les groupements d’achats s’appuient sur différents partenaires : collectivités territoriales, bailleurs sociaux, centres sociaux, associations,…pour permettre le démarrage et la structuration du projet ; pour relayer l’information sur ces groupements d’achats auprès des habitants ; ou encore par la mise à disposition temporaire de locaux pour la prise et la réception de commande.
L’association VRAC a depuis été sollicitée pour essaimer ces groupements d’achats dans d’autres villes françaises et réfléchit aux conditions d’essaimage dans le cadre de la structuration d’un réseau national (réflexion commune sur le modèle économique, mutualisations et fournisseurs communs,…). Deux autres associations VRAC ont été créées, une sur l’agglomération strasbourgeoise en 2017 avec 5 groupements d’achats sur 4 quartiers, l’autre sur l’agglomération bordelaise à l’initiative d’un bailleur social. Chacune de ces associations est pilotée par un comité de direction réunissant des habitants des différents quartiers d’implantation des groupements d’achats.
A Strasbourg, une réunion du Conseil de l’ESS avec Boris Tavernier dès 2015, organisée par la Ville, l’Eurométropole et la CRESS, a favorisé la mise en réseau du projet VRAC. La phase d’expérimentation de l’association VRAC Strasbourg Eurométropole a été portée par un centre social de la ville, donnant un cadrage administratif au démarrage de l’association et permettant l’embauche d’une chargée de développement. La Ville de Strasbourg a soutenu financièrement l’association dans sa phase de structuration et a intégré VRAC à une campagne de communication permettant de diffuser l’information auprès des habitants.
La SCIC Bou’Sol et l’association VRAC à Lyon ont toutes deux été reconnues lauréats 2017 de l’appel à projets PIN’S de la Fondation MACIF et de l’Avise, visant à accompagner des projets socialement innovants dans leur stratégie de duplication.
Au-delà d’une stratégie de duplication, le changement d’échelle d’initiatives socialement innovantes peut aussi s’inscrire dans le cadre d’un projet local de développement.
Food2rue : d’un incubateur culinaire d’insertion à la gestion d’une halle alimentaire solidaire
Aux côtés du PTCE Resto Passerelle, réseau francilien de restaurants sociaux, de nouveaux projets d’incubateurs culinaires solidaires voient le jour tels que Food2Rue à Paris, une structure en plein développement, qui articule son incubateur d’insertion et sa future coopérative d’activité et d’emploi avec la gestion d’une nouvelle halle alimentaire solidaire « la Panaméenne » installée depuis février 2018 dans le quartier prioritaire Didot (Paris 14ème).
Food2rue se donne pour mission d’accompagner des femmes éloignées de l’emploi vers l’entrepreneuriat dans la cuisine de rue et les métiers de la restauration commerciale. Actuellement, l’incubateur culinaire emploie 12 salariées en insertion, souvent d’origine étrangère et en situation de monoparentalité, qui préparent et vendent leur repas en semaine au comptoir de restauration de la Panaméenne (et auparavant sur le site des Grands Voisins).
Sous forme associative, ce chantier d’insertion vise à renforcer leur employabilité dans les métiers de la restauration et à aider les porteuses de projet à concevoir et à lancer leur propre activité de cuisine de rue.
Certaines porteuses de projet auront l’opportunité de rejoindre, aux côtés de personnes en reconversion professionnelle, la future coopérative d’activité et d’emploi (CAE) de Food2rue. Cette CAE permettra aux porteuses de projet de devenir « entrepreneure salariée » pendant une période maximale de 3 ans.
Elles pourront ainsi mutualiser leurs moyens généraux (marketing, communication, comptabilité…), tandis qu’une cuisine centrale leur sera mise à disposition pour la préparation des repas. Elles disposeront également d’un triporteur électrique pour la vente, un outil de travail souple et peu cher (accessible au micro-crédit) et une véritable vitrine commerciale écologique.
Enfin, à l’issue de cette période, elles pourront rejoindre, en tant que gérantes indépendantes ou entrepreneures-associées, la première franchise solidaire de France dans le domaine de la cuisine de rue, que Food2rue ambitionne de créer.
La Mairie de Paris a fait confiance à cette structure en voie de structuration pour assurer la gestion de la halle alimentaire solidaire du 14ème arrondissement de Paris, Food2rue a été retenu dans le cadre du Budget Participatif 2017 de la Ville pour la gestion de ce marché couvert en circuits courts de 150 m² qui comprend un comptoir de restauration, ainsi qu’un lieu de vente de produits frais, locaux et aux prix abordables pour les habitants du quartier Didot. Food2rue a également reçu le prix d’honneur des Trophées parisiens de l’ESS 2017.
Pour conclure…
Réseau de boulangeries bio d’insertion, groupements d’achats, incubateurs culinaires,…les collectivités territoriales soutiennent activement ces projets socialement innovants, notamment dans leur logique de changement d’échelle. Pour autant, ce soutien ne doit pas se faire au détriment de la pérennité d’acteurs plus traditionnels, tels que des associations de quartiers ou des centres sociaux. Une logique de complémentarité est à rechercher entre le soutien aux acteurs traditionnels et le développement de nouveaux projets. D’autant plus que ces structures plus classiques constituent un tissu indispensable pour permettre l’émergence et la réussite de tels projets innovants, comme en ont témoigné les intervenants de la conférence en ligne du RTES « Initiatives pour une alimentation durable accessible » du 6 février 2018.
Références
LA LETTRE DU RÉSEAU DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES POUR UNE ÉCONOMIE SOLIDAIRE • MARS 2018