La maîtrise de la demande d’électricité, une solution pour répondre aux besoins des habitants en Palestine

Opération pilote sur le parc de réfrigérateurs dans le village de Taibeh

Denis CHAMONIN et Loïc CHAPPOZ, 2012

Collection Passerelle

En 1996, le bureau d’étude International Consultant Energie (ICE), en coopération avec le Centre de recherche palestinien de l’énergie et de l’environnement (PEC)1, a réalisé une étude sur les consommations d’électricité en Cisjordanie (territoires palestiniens situés entre le fleuve Jourdain à l’Est et la ligne verte de démarcation avec Israël à l’Ouest). Cette étude a mis en évidence que l’usage des réfrigérateurs représentait plus de 20 % de la consommation d’électricité du secteur de l’habitat (qui est le principal secteur de consommation d’électricité), et que la majeur partie des réfrigérateurs détenus par les ménages étaient anciens et peu performants. C’est à partir de ce constat qu’a été menée l’opération pilote de maîtrise de la demande d’électricité sur le parc de réfrigérateurs du village de Taibeh2, en partenariat technique et financier avec le PEC, l’ADEME et EDF.

Une situation énergétique contrainte

En Cisjordanie 72 % des habitants sont raccordés au réseau électrique israélien, 17 % sont alimentés par des groupes diesel autonomes et 9%, soit, 115 000 habitants n’ont pas accès à l’électricité. La situation de l’électrification des familles dans la Cisjordanie est très différente d’un lieu à l’autre bien que le territoire soit relativement peu étendu, 125 km de long sur 50 km de large en moyenne, avec une population palestinienne recensée en 1994 à 1,8 million d’habitants dont 500 000 habitants dans la partie arabe de Jérusalem (Al Qods). Sur ce territoire plus de 150 colonies israéliennes se sont implantées depuis la guerre des six jours en 1967.Avant 1967 seules les grosses agglomérations urbaines possédaient un réseau électrique alimenté par des générateurs autonomes dont certains dataient des années 1950. Après l’occupation israélienne, la compagnie israélienne d’électricité (IEC, Israël Electric Corporation) implanta un réseau de transport raccordé au réseau israélien pour alimenter les colonies et les bases militaires. Les générateurs autonomes furent démantelés et les principales villes palestiniennes raccordées ainsi que les bourgs et villages situés à proximité du réseau sur des considérations plus politiques que de satisfaction des besoins.

Les postes d’alimentation sont sous contrôle israélien et l’électricité est revendue par IEC à des structures communales autonomes palestiniennes, dont les membres sont élus, et qui ont la responsabilité de la distribution et de la gestion du réseau local. Aujourd’hui encore cette situation est en vigueur même dans les territoires qui sont sous l’administration de l’Autorité palestinienne. Il était prévu dans les accords de paix que des centrales de production pourraient être mises en service par l’Autorité palestinienne. Deux projets (cycle combiné à gaz) étaient en étude à Gaza et à Naplouse mais leur réalisation paraît lointaine à ce jour. Il en est de même pour le statut de la propriété et de la gestion du réseau de transport qui n’est toujours pas résolu. En dehors du fait qu’un grand nombre de familles et de secteurs d’activités palestiniens dépende du parc de production israélien, le principal problème concerne les nombreuses coupures d’alimentation. En effet lors des périodes de forte demande en pointe, le parc électro–producteur peut être à saturation. Bien évidemment ce sont les besoins israéliens et des colonies qui sont prioritaires et les effacements de pointe se font par délestage des postes d’alimentation des villes et villages palestiniens.

Pendant ces périodes, des coupures de plusieurs heures par jour sont fréquentes. Des villages non raccordés, parfois distants seulement de quelques kilomètres du réseau, ont eu l’autorisation de s’électrifier avec des groupes diesel autonomes. Ces groupes et réseaux villageois sont eux aussi gérés par des structures communales. C’est notamment le cas du village de Taibeh, choisi par le PEC pour mener l’opération pilote, et représentatif de nombreux sites en Palestine.

Le village de Taibeh est situé au nord–ouest de la Cisjordanie, le long de la ligne verte dans le district de Jenin, district qui compte 290 000 habitants dont 50 % sont électrifiés par un réseau communal autonome.

District de Jenin : situation de l’électrification des populations
Passerelle, 2012

La population de Taibeh est de 1 500 habitants représentant 290 familles. Les habitants sont des réfugiés de 1948 venus du village de Oum el Fahm situé à quelques kilomètres, maintenant en territoire israélien. L’électrification du village a commencé en 1988 avec l’aide d’ONG. Trois groupes électrogènes de 250, 100 et 180 kVA (Kilovoltampère = Puissance électrique du groupe) sont en fonctionnement et alimentaient au moment du projet la presque totalité des 290 familles résidant à Taibeh.

L’association de village paye un salarié à plein temps pour gérer les groupes, relever les compteurs mensuellement, établir les facturations mensuelles et collecter les paiements. Un système informatique est en fonction pour gérer la facturation des abonnés. L’objectif de l’opération pilote de maîtrise de la demande d’électricité sur le village de Taibeh a été de mettre au point des méthodes permettant l’analyse des consommations et des dépenses des ménages et le recensement de leurs équipements, de réaliser des campagnes de mesures sur le parc de réfrigérateurs du village et sur les matériels neufs disponibles sur le marché palestinien; tout ceci afin de définir les potentiels de maîtrise de la demande d’électricité pour l’usage du froid et les mesures d’accompagnement à réaliser auprès des ménages pour promouvoir les réfrigérateurs performants.

Le réfrigérateur, principal poste de consommation d’énergie des ménages

L’analyse des facturations mensuelles sur un an (1996) a permis d’établir, pour le village de Taibeh, la consommation moyenne par mois à 184 kWh par famille avec une faible saisonnalité dû aux usages réguliers des familles concernant principalement les réfrigérateurs, la télévision et l’éclairage. Cette consommation moyenne relativement faible engendre néanmoins une dépense importante pour les abonnés de l’ordre de 365 Euros3 par an. A titre de comparaison cette dépense annuelle correspond à un mois de salaire moyen.

En Cisjordanie, le taux d’équipement en réfrigérateurs des ménages électrifiés est de l’ordre de 85% mais le parc est constitué en majeure partie par des réfrigérateurs d’occasion issus d’Israël. L’étude d’ICE estimait à 90 % la part de marché des réfrigérateurs d’occasion en Palestine. Ces réfrigérateurs anciens possèdent en règle générale des performances énergétiques médiocres, mais leur prix de vente, très inférieur au marché du neuf, est attractif pour une majorité de ménages aux revenus modestes.

La situation dans le village de Taibeh est comparable à la moyenne régionale. Sur les 233 familles raccordées au réseau en 1997, 219 possédaient un réfrigérateur, soit un taux d’équipement de 94 %. Le recensement a dénombré que seuls 47 réfrigérateurs avaient été achetés sur le marché du neuf et avaient moins de trois ans. 80 % de ces réfrigérateurs neufs étaient de marque AMCOR fabriqués en Israël.

Suite à ce recensement, des campagnes de mesures ont été effectuées sur un échantillonnage de réfrigérateurs à Taibeh en service dans les familles et sur des modèles neufs en vente dans les magasins à Naplouse et Jérusalem4.

La campagne de mesures dans les familles a permis de démontrer que la consommation moyenne des réfrigérateurs d’occasion était de 2,50 kWh par jour avec une dépense annuelle de 131 Euros sur une facture d’électricité tous usages de 352 Euros. La part de l’usage réfrigérateur correspondait donc à 37 % de la consommation d’électricité ce qui confirmait, mais à la hausse, l’analyse statistique de l’étude d’ICE d’autant plus que les mesures ont été faites en janvier et février, en dehors des périodes de grande chaleur.

Le recensement et les mesures ont permis d’évaluer (avec identification des familles) à environ 150 unités le nombre de réfrigérateurs ayant de mauvaises performances soit 68 % du parc. Les enquêtes et les mesures réalisées dans les magasins de matériels neufs ont permis d’identifier les marques, types, provenances, performances énergétiques et prix de vente des principaux réfrigérateurs proposés à la vente. Il ressort de cette campagne que les réfrigérateurs neufs de marque AMCOR et GOLDSTAR ont des performances très médiocres (2,7 et 2,9 kWh par jour), ce sont pourtant ces marques qui sont les plus présentes dans les magasins. Trois modèles double froid, KELVINATOR, LEONARD et UNIVERSAL, ont présenté des performances énergétiques satisfaisantes équivalentes à la classe C européenne5. Ce sont ces modèles qui ont été retenus pour la phase de diffusion dans le village de Taibeh.

Des économies auto financées et un modèle réplicable

La phase de diffusion a consisté à permettre aux familles de Taibeh de s’équiper de réfrigérateurs performants en remplacement de leurs vieux équipements dans des conditions financières adaptées à leurs disponibilités financières. Pour cette phase de diffusion un accord cadre a été passé entre EDF, l’ADEME, le PEC et l’association de village. Cet accord cadre a permis à l’association de village d’acquérir un lot de 19 réfrigérateurs neufs sur un financement d’EDF pour un montant de 18 300 Euros.

En mai 1998 les trois réfrigérateurs sélectionnés lors de la campagne de mesures ont été exposés dans la salle communale du village et il a été proposé aux familles, identifiées comme ayant des réfrigérateurs de mauvaise qualité, un contrat type avec l’association de village définissant les conditions financières d’acquisition d’un réfrigérateur neuf parmi les trois modèles exposés. Les conditions d’acquisition d’un nouvel équipement se sont faites sur la base d’un prix de vente de 1 065 Euros avec un paiement comptant de 30 % (320 Euros) qui correspond à la valeur d’achat moyenne d’un réfrigérateur d’occasion et le reste en crédit remboursable en 18 mensualités de 41,4 Euros sur la facture d’électricité. Ce remboursement correspond à la valeur moyenne de la baisse de la facture d’électricité liée à l’efficacité du nouvel équipement. Sur les 19 premières familles auxquelles la proposition a été faite, 17 ont accepté d’acquérir un réfrigérateur neuf.

Les réfrigérateurs anciens ont été récupérés par l’association de village et détruits chez un ferrailleur ou transformés en bacs à semis par un paysan du village. Avec les recettes financières liées à la vente du premier lot de réfrigérateurs, l’association de village à proposé, aux autres familles l’acquisition de réfrigérateurs, soit une possibilité de sept équipements par trimestre. Sur cette base, en deux ans, le parc de réfrigérateurs d’occasion devait être renouvelé dans le village de Taibeh.

Cette opération pilote devait comporter une phase d’évaluation ainsi qu’un projet de mise sur pied d’une unité de fabrication de réfrigérateurs performants à Naplouse. Un terrain avait été trouvé par la municipalité et un industriel turc devait y exporter des réfrigérateurs neufs en pièces détachées. Ces appareils devaient être assemblés à Naplouse pour être vendus sur le marché palestinien.

Conclusion

L’efficacité énergétique est souvent vue comme un moyen d’éviter la construction de nouvelles centrales électriques dans un contexte de demande d’électricité croissante. Mais la maitrise de la demande en électricité devient encore plus vitale quand une grande partie de l’électricité vient de l’extérieur et est limitée en quantité, comme c’est le cas en Cisjordanie. Elle permet alors de répondre aux besoins des habitants sans augmenter le montant de leurs factures.

Le premier point fort à retenir de cette opération pilote est l’adhésion des ménages au concept de remplacement des équipements anciens sur prêt financier proposé par la structure gestionnaire du système de production et de distribution d’électricité du village et leur sensibilisation aux coûts de fonctionnement des usages. Cette adhésion aurait pu être un élément moteur pour la mise en place d’une généralisation de la procédure en coopération avec des organismes financiers sur l’ensemble de la Cisjordanie et de Gaza afin de faire émerger une offre de qualité, dans l’intérêt des ménages, et notamment dans les villages alimentés par des groupes électrogènes.

Le second point fort de cette opération est son aspect auto financé, une fois les premiers réfrigérateurs financés par EDF. Le mode de diffusion choisi permet en effet aux ménages, même les plus modestes, d’acquérir un réfrigérateur neuf et performant pour le prix d’un appareil d’occasion en maintenant leur facture d’électricité constante pendant 18 mois. Au–delà de cette période, les ménages sont propriétaires d’un appareil performant et voient leur facture baisser en conséquence. Ce mode de financement rend aussi une telle opération répliquable dans d’autres villages de Cisjordanie pour un coût modéré.

Enfin, l’opération pilote de maîtrise de la demande d’électricité de Taibeh a permis d’identifier les modes de comportements des familles par rapport aux usages spécifiques de l’électricité, et des interactions entre la consommation d’électricité et d’autre types d’infrastructures. A titre d’exemple il a été constaté que lors des mois les plus chauds de l’année, pendant la période scolaire (en mai, juin, fin août et début septembre), les écoliers emportent dans leur sac des bouteilles d’eau congelée du fait qu’il n’y a pas d’eau pour se désaltérer à l’école.

Le soir ces bouteilles sont remplies d’eau et mises dans le compartiment congélation du réfrigérateur pour le lendemain. On a pu mesurer les consommations électriques importantes qu’engendre ce type d’usage lié au manque de réseau d’eau potable. En effet, le village n’a pas la possibilité d’exploiter les ressources naturelles d’eau existantes. De ce fait chaque jour des camions citernes apportent depuis Jenin, situé à plus de 30 km, l’eau nécessaire aux besoins des familles.

Pourtant, à quelques dizaines de mètres de profondeur une nappe phréatique pourrait être exploitée, mais pour cela il faudrait obtenir l’autorisation de l’administration israélienne.

Au final, ce projet démontre qu’en matière de matière de maitrise de la consommation d’électricité, il est fondamental de partir des besoins des populations afin d’agir sur les usages les plus important. Ce projet est aussi l’illustration du fait que la maîtrise de la demande d’électricité est rentable et que ce qu’il manque le plus souvent est la volonté politique ou, comme ici, la stabilité géopolitique.

En effet, en raison du début de la seconde Intifada en septembre 2000, le projet a dû être arrêté. L’évaluation et la construction de l’usine n’ont pas pu être menées et nous ne disposons pas d’informations sur le nombre de réfrigérateurs effectivement remplacés à l’issu de cette opération

1 Le PEC a été créé en décembre 1993 dans le cadre d’un accord de coopération entre l’autorité palestinienne et la direction générale de l’énergie de la Commission Européenne et avec le soutien technique d’ICE.

2 Les travaux d’études et la méthodologie de travail du programme de MDE de Taibeh ont été réalisés par Denis Chamonin, en étroite collaboration technique avec Messieurs Bernard Cornut de l’ADEME, Nabeel Deeb Tinan du PEC et Mohamed Khamis de l’association de village de Taibeh.

3 Les différents coûts présentés dans cet article (montant des factures, coût du kWh, prix des réfrigérateurs) n’ont pas été actualisés. Il s’agit donc des prix constatés pendant l’opération pilote, de 1996 à 1998

4 Pour réaliser ces mesures le PEC a été doté, sur financement de l’ADEME, de 5 enregistreurs EMU MEMO de marque EXTEL et d’un logiciel de traitement.

5 Il s’agit ici de la classe C en vigueur au moment des mesures. Les classes énergétiques européennes des réfrigérateurs ont été réformées depuis.

To go further

Pendant l’opération pilote un lot de 200 lampes à basse consommation de 15 Watts, don de la société Philips éclairage, a été installé chez les ménages et l’extension du réseau d’éclairage public (25 nouveaux points lumineux) a été réalisée avec des luminaires de fabrication israélienne équipés de lampes basse consommation de 20 Watts financée sur fonds propres de l’association de village.

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