Favoriser les déplacements piétons vers les stations du tramway à travers un urbanisme approprié : une expérience à Liberec (République Tchèque)

Nacima Baron, 2014

La République Tchèque : transport et urbanisme en transition

La République Tchèque a connu, au cours des dernières décennies, une évolution de la répartition modale dans la mobilité globale des personnes, et, tendanciellement, une baisse de l’importance des transports en commun. Alors qu’en France, la voiture particulière, longtemps dominante, est aujourd’hui reconsidérée, le transport en commun tchèque, très important à l’époque soviétique, connaît une désaffection prononcée. Les Tchèques, comme d’autres peuples de l’Europe centrale, ont une vision dévalorisée du transport en commun et se sont massivement tournés vers l’automobile individuelle dès que celle-ci est devenue accessible, après la chute du rideau de fer.

A l’époque de l’économie planifiée, déjà, le recours aux transports en commun des Tchécoslovaques était bien plus une nécessité qu’un choix. Ces transports de masse étaient peu confortables, avaient déjà une mauvaise image, mais les gens s’en accommodaient, puisqu’il n’y avait pas d’offre alternative. Les réseaux des transports en commun lourds comme les tramways ou les trolleys desservaient plus ou moins imparfaitement les quartiers de logements collectifs. L’accessibilité piétonne des stations était souvent médiocre. Mais, seul point favorable, l’habitat était souvent groupé et la distance entre le logement et la station de transport en commun était de l’ordre de quelques centaines de mètres.

Le changement de régime politique induit par la chute du mur de Berlin a bouleversé la situation. La transition vers l’économie de marché et la nette augmentation du pouvoir d’achat ont accompagné le déclin du transport en commun. La médiocre accessibilité aux transports en commun a renforcé les autres arguments politiques, économiques qui ont justifié le recours massif à la voiture. Et les responsables municipaux des grandes villes tchèques, qui planifient de nouveaux quartiers périphériques, n’ont qu’un intérêt très limité pour la question de la desserte en transports en commun.

1.Un « urbanisme orienté vers le tramway » à l’échelle des quartiers

La fiche s’intéresse au potentiel de valorisation des modes actifs, marche et vélo, entre les quartiers denses d’une ville moyenne de Bohême du Nord et ses lignes de tramways. Cette ville, Liberec, compte aujourd’hui 100 000 habitants, elle possède une forte tradition industrielle et bénéficie d’un réseau de tramways ancien (lancé dès 1900) qui compte plusieurs branches. Avec l’arrivée de l’époque « tout-automobile », des voiries ont été réaménagées et des lignes de tramway détruites, mais deux lignes ont quand même été conservées, et ces dernières assurent 40% des déplacements en transports en commun dans la ville. Deux grands ensembles de logement collectif ont été construits autour de ces deux lignes (Youri Gagarine et Vratislavice). Un troisième quartier d’immeubles collectifs (Rochlice), est également en construction aux abords d’une nouvelle ligne de tramway. Ces trois points offrent des caractéristiques intéressantes pour réfléchir au renouveau des modes actifs dans le contexte post soviétique. Il y a en effet des critères d’urbanisme favorables, comme la densité et un certain niveau de mixité – du fait d’une concentration de commerces et de services à proximité de la station, qui est elle-même située judicieusement au milieu du quartier.

Sur le terrain, les relevés font apparaître des cheminements séparés du trafic des autres modes de transport et bien adaptés aux piétons entre les immeubles et les stations de tramways. On note aussi la présence d’un éclairage urbain dessiné pour des piétons, de traversées piétonnes à proximité immédiate de la station ou encore des plans de quartier diffusés au long des itinéraires et indiquant l’emplacement de la station (ils sont cependant anciens et en mauvais état).

Toutefois, ces quartiers sont marqués par les stigmates de l’histoire et par l’héritage collectiviste. La mixité fonctionnelle est tout de même limitée à de petits services et commerces quotidiens. Il y a d’importantes lacunes du point de vue de traitement paysager du bâti et de l’espace public, peu de mobilier urbain, peu de supports pour la lisibilité et l’esthétique de l’espace. En outre, la voiture a proliféré et si, autrefois, les abords d’immeubles étaient des espaces urbains calmes, les nuisances et l’insécurité des piétons se sont accentuées. Actuellement, le piéton dans ces espaces publics se retrouve nettement plus exposé au risque de croiser sur son parcours un trafic motorisé, tandis que les voitures stationnant occupent les anciennes voies et d’autres espaces piétons, faute de place prévue et aménagée pour ces premières. Ces circonstances constituent une gêne pour la marche à pied dans ces ensembles urbains.

C’est d’ailleurs pour ces raisons que ces quartiers de logement collectif risquent de perdre leur attractivité aux yeux des habitants aujourd’hui. A ce propos, la municipalité de Liberec envisage un programme de rénovation, de reconstruction des immeubles et de réaménagement des espaces publics. Il y a des risques que ces programmes soient trop limités à la dimension urbanistique et ne prennent pas en compte les mobilités actives. Si les espaces publics sont remodelés autour d’un centre commercial ou d’une école, et si de nouvelles places de stationnement sont créées, alors que l’accès à la station de tramway « reste dans son jus », il est probable que les mobilités actives et collectives vont encore décroître. Un contre exemple illustre cette démarche. Dans le quartier de logement collectif Nová Ruda construit récemment, nous ne pouvons, à part naturellement la densité, constater aucune prise en compte de la proximité du tramway et de la valorisation de la desserte par celui-ci dans son aménagement. Les immeubles ainsi que le quartier entier tournent littéralement le dos à la station du tramway, quoique celle-ci se trouve toute proche. Au contraire, les autorités devraient utiliser les programmes de rénovation pour stimuler la demande pour le transport en commun et ne pas laisser toute la clientèle partir vers l’automobile.

2. L’accès piéton « idéal » à une station de tram : entre idéal et réalités de terrain

Il existe deux grands groupes de variables urbaines favorisant l’usage des transports en commun. Le premier groupe tient au type d’usage du sol et à l’agencement des fonctions urbaines. Le second concerne les conditions d’accessibilité piétonne aux stations du tramway. Sur ce deuxième groupe de variables, le postulat est que « pour qu’il soit attractif pour ses voyageurs, le tramway doit être accessible à pied depuis son quartier et ce par un chemin au plus court, au plus sûr et confortable, et au plus compréhensible et facile à l’orientation ». De là découlent ainsi les trois éléments de l’observation de terrain : le maillage du réseau piéton, la sécurité routière et le confort des voies et, enfin, l’esthétique et la lisibilité des itinéraires piétons.

Liste proposée de variables urbaines à considérer dans le cadre de l’« urbanisme orienté vers le transport en commun » (Source : Nacima Baron)