Observer les usages et valoriser le « déjà-là »

Pune et Mumbai, INDE

Christophe AUBERTIN, Merril SINEUS, 2014

Centre Sud - Situations Urbaines de Développement

Cette fiche propose de réhabiliter les quartiers d’habitats précaires en prenant appui sur les savoirs et savoir-faire locaux qui sont souvent une leçon, à nous autres occidentaux, en termes de préservation des ressources et de recyclage des déchets.

« Les bidonvilles sont un cancer ! » affirment leurs détracteurs. En Inde comme dans d’autres pays en développement, la tendance parmi les politiques comme parmi les professionnels de l’aménagement est à la construction de nouveaux logements destinés aux habitants des zones d’habitat insalubre. Cependant, les actions concrètes suivent encore souvent le processus d’éradication/reconstruction, reniant ainsi un modèle et une culture qui, malgré leurs nombreux défauts, s’avèrent riches en inventivité et en compétences populaires. Pour un jeune architecte, étranger et novice, l’analyse des zones d’habitat informel a eu pour but de comprendre un mode de vie, de révéler des qualités, des savoir-faire que les populations locales ne voient plus, ou qui ne sont pas valorisés de par leurs connotations populaires. Dans notre démarche d’observation, il s’agissait d’utiliser des usages existants que nous considérions efficaces, pour les mettre à profit dans les projets de relogement. Ceux-ci doivent être adaptés, économiques et durables ; en faisant pour cela preuve de pragmatisme, « d’opportunisme » contextuel, en s’affranchissant à la fois des modèles occidentaux et des préjugés locaux.

Croquis d’observation d’une maison de bidonville, Pune, Inde

Un projet d’habitat alternatif et adapté : l’enseignement du bidonville

Ainsi, dans un objectif de relogement, les caractéristiques spatiales et les pratiques observées dans le bidonville peuvent être réinterprétées dans les nouvelles constructions. Les ruelles sont, par exemple, un lieu d’expression des rapports de voisinage et des liens communautaires. Les portes des logements sont souvent ouvertes, en relation avec l’espace partagé de la ruelle. Dans un projet d’immeuble, si la porte s’ouvre sur un couloir sombre et une cage d’ascenseur en panne, la famille sera isolée.

On peut imaginer par contre un système de distribution par coursives, comme celui des habitats collectifs traditionnels. L’espace est alors rentabilisé et les liens sociaux de proximité renforcés. Chaque foyer peut investir l’espace de coursive qui lui fait face, comme un prolongement de son appartement. Les transformations effectuées par les habitants sont des appropriations architecturales qu’il s’agit de faciliter, de valoriser. De même, on trouve dans les bidonvilles de petits commerces familiaux à domicile en rez-de-chaussée, système qui peut être conservé dans de nouveaux logements en immeuble. Les appartements de plain-pied offrent des possibilités d’ouvertures et d’extensions permettant d’adjoindre un local commercial. L’architecture en général doit être simple et pragmatique pour offrir une liberté maximale aux transformations initiées par ses usagers.

Croquis d’observation d’une maison de bidonville, Pune, Inde

Durabilité et bon sens : une écologie culturelle de terrain

« L’énergie la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas », nous dit-on en Europe à propos des constructions durables. En Inde, l’énergie non consommée est surtout de l’énergie économisée. Malgré un niveau élevé de pollution et des négligences collectives, les populations des bidonvilles donnent souvent de belles leçons d’écologie appliquée. Les contraintes économiques appellent une ribambelle d’astuces, d’initiatives et de pratiques pour des résultats solides et exemplaires en termes de durabilité. Les déplacements se font en bicyclette bien que les rues et les centres urbains y soient de plus en plus inadaptés, l’eau de pluie est récupérée pour l’arrosage des plantes et l’eau potable est strictement rationnée. Concernant le recyclage, tout se transforme car rien ne doit se perdre ! Ainsi, les déchets sont triés et ceux pouvant l’être sont valorisés.

Dans la plupart des grandes métropoles indiennes, les réponses offertes aux questions environnementales tendent à privilégier une approche exclusivement technologique en reproduisant des solutions valables pour les villes occidentales, dans des contextes socioéconomiques totalement différents. Les projets de logements sociaux doivent prendre en compte des notions d’habitat et d’urbanisme durable et redonner leur place aux compétences positives des habitants. Ils doivent en premier lieu faire preuve d’économie et de simplicité d’usage, et permettre aux familles de transposer leur savoir-faire dans le nouvel habitat.

Les projets de développement urbain, en Inde comme d’ailleurs en Europe ou dans d’autres pays émergents, doivent compter avec les influences politiques et économiques croisées autour de l’objectif d’amélioration de l’habitat, qu’ils soient relogement de bidonville, ou réhabilitation de quartiers. La connaissance documentée des situations de développement urbain, ainsi que des compétences constructives et fédératrices des habitants en situation précaire pourrait sur le long terme servir à l’élaboration de politiques concrètes, pour une gestion sociale de la ville et un développement plus participatif et solidaire.

Sources

Sineus M., « Les ONG de développement et d’amélioration de l’habitat dans les villes du Sud », mémoire de master en urbanisme IFU « Expertise Internationale Villes en Développement », sous la direction de Serge Allou, 2006

Aubertin C., « Urbanités émergentes : bidonvilles et alternatives. Développement urbain et résorption des habitats insalubres. Pune, Inde », TPFE sous la direction de Marie-José Canonica, Ecole d’architecture de Nancy, 2006