Une brèche participative dans le plan Villes sans bidonvilles
Larache, MAROC
Jérôme BRACHET, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche présente un projet urbain participatif mené au Maroc par des étudiants et des professionnels (architectes et géographes) qui visait à transformer un bidonville en prenant en compte les attentes et les pratiques des habitants.
Depuis 2001, la lutte contre l’habitat insalubre est une priorité nationale au Maroc. Cette décision fait suite au programme « Vision 2010 » qui veut faire du tourisme le moteur principal du développement économique du pays. S’ensuit le lancement en juillet 2004 du plan national « Villes Sans Bidonvilles » (VSB), qui fixe un objectif ambitieux : l’éradication de tous les bidonvilles du pays d’ici 2010.
À Larache, ancien protectorat espagnol, ville portuaire de 120 000 habitants située entre Tanger et Rabat, un projet de coopération hispano-marocain présente une expérience atypique.
En février 2005, un groupe d’étudiants en architecture et en géographie de Séville vient travailler à Larache, accompagné de chercheurs et de l’ONG A.C.S. La rencontre avec les habitants du bidonville de Jnane Aztout fut déterminante. Concernés par le plan VSB, ces derniers ignoraient tout de son application sur leur quartier. Ils craignaient la démolition. Jnane Aztout est un petit quartier séculaire de 80 familles à deux pas de la médina. Sa consolidation est avancée : la brique l’emporte sur la tôle. Autant d’éléments qui rendent le spectre de la démolition insupportable aux yeux d’étudiants qui y voient un patrimoine social, architectural et urbain à valoriser. Etudiants et habitants s’engagent donc ensemble sur l’élaboration d’un diagnostic du quartier. Les Sévillans s’opposent au paternalisme des politiques et des experts qui prétendent trop souvent apporter aux habitants la solution à tous leurs problèmes. Ils veulent placer les habitants au cœur du projet et mettent en place pour cela des ateliers de quartier.
Ces ateliers ont été avant tout orientés sur la construction collective d’une connaissance et la valorisation sociale du quartier. Les ateliers « rues et places » (appréhender les espaces communs, les identifier, les nommer), « trame urbaine » (sensibiliser des habitants à la forme urbaine de leur quartier proche d’un tissu de médina) et « histoires orales » (valoriser le quartier par son histoire et son passé) sont des ateliers qui ont construit cette vision nouvelle de Jnane Aztout. Des ateliers de musique, de danse et de photographie, ont également participé à son développement social et humain, à l’enrichissement des échanges et au renforcement des liens entre Espagnols et Marocains. Et l’objectif est atteint. Les habitants ont pris confiance en leur quartier et se sentent mieux armés pour discuter de son (et de leur) avenir. Forts de la dynamique instaurée et du travail réalisé, ils s’impliquent de plus en plus dans le projet. « Nous aussi nous sommes médina ! » scandent les bidonvillois. La crainte de la démolition s’efface pour laisser place à une légitimité affirmée qui va pousser habitants et étudiants/experts devant les acteurs institutionnels locaux.
Participation contre spéculation
Au terme du diagnostic, les stratégies d’intervention sont fixées :
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urbanisation du quartier,
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valorisation de l’existant,
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maintien sur place de la population,
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prise en compte des besoins et des ressources des habitants.
Le projet ainsi défini doit maintenant entrer dans le cadre strict du plan VSB, ce qui ne se fera pas sans mal. La vision portée par les espagnols d’une coopération habitants/experts/institutions fait écho aux intentions du plan VSB mais se heurte aux difficultés de son application locale. L’ONG ACS, en médiateur, tente alors de concilier les logiques et les intérêts de chacun.
Les impératifs de rentabilité de l’opérateur technique, les intérêts fonciers spéculatifs de la municipalité s’ajoutent aux volontés de récupération politique d’une expérience pilote valorisante. Par ailleurs, à tous, le coût d’un projet participatif, mobilisant des professionnels en permanence sur le quartier, fait peur. Mais le contrat d’application VSB signé en 2004 pour Larache est en faveur du projet porté par les habitants et les Sévillans. Il prévoit la réhabilitation du quartier et le maintien sur place de sa population. Les appuis politiques issus de la présence de longue date de la coopération espagnole à Larache, le soutien financier de l’Agence espagnole de Coopération internationale et la perspective d’une expérience pilote exemplaire, ont permis de rassembler l’ensemble des acteurs autour d’un projet commun.
Les objectifs du projet et les principes de sa mise en application ont été approuvés. La réhabilitation et le maintien de la population sur place sont acquis. Depuis janvier 2007, une équipe hispano-marocaine (2 architectes et 2 travailleurs sociaux) travaille avec les habitants sur l’élaboration du plan d’urbanisation du quartier. Mais c’est avant tout un nouveau mode d’intervention qui a été validé. Plus qu’une simple considération des habitants, il s’agit d’une construction collective de la ville pour laquelle techniciens, gouvernants et société civile travaillent ensemble.
Referencias
Aquarelles d’Alejandro MUCHADA, Arquitectura y Compromiso Social
Jérôme BRACHET (Architecte, enseignant vacataire ENSAPLV et ancien étudiant) « Une brèche participative dans le plan Villes sans bidonvilles », Territoires, mars 2007. Projet participatif d’urbanisation du bidonville Jnane Aztout (Larache, Maroc), mené par l’association Arquitectura y Compromiso Social (Séville, Espagne). Volontariat de 6 mois dans le cadre du programme d’échanges de l’association Echanges et Partenariats.