Les monnaies-temps : le réseau français des Accorderies
Séquence 3.4 du MOOC
Pascale Caron, Lucile Marjollet, Catalina Duque Gómez, November 2017
Réseau français des Accorderies (Accorderies)
Les Accorderies, originaires du Québec, constituent le principal réseau de banques de temps. Cette séquence retrace le parcours du réseau français des Accorderies, explicite ses caractéristiques, son fonctionnement et souligne les principaux défis auxquels sont confrontés ces initiatives locales.
To download : 3.4_fiche_de_cas_accorderies1.pdf (610 KiB)
Des origines québecoises au réseau français
Les premières Accorderies sont nées au Québec en 2002, où il en existe 13 actuellement. Dès 2008, la Fondation MACIF et le Secours Catholique découvrent l’expérience québécoise et envisagent la possibilité de la transposer en France. Une première expérimentation a eu lieu à Paris dans le 19eme arrondissement. Une convention est signée entre le Réseau québécois et la Fondation Macif pour transférer l’ensemble des outils. Deux projets vont vite se concrétiser, l’Accorderie de Chambéry fin 2011 et l’Accorderie du Pays Diois en 2012.
Le réseau national facilite l’émergence de nouvelles Accorderies et accompagne leur développement. Il prévoit également des temps de partage d’expériences, de la formation et de l’information au grand public. Pour lancer une Accorderie locale, il faut être agréé par le Réseau national. Vu la dissémination rapide des Accorderies locales, le réseau a vite été confronté à la nécessité de proposer un processus d’accompagnement menant vers l’agrément « Accorderie » et un « kit d’accompagnement » facilitant le démarrage d’une Accorderie locale. Ce « kit d’accompagnement » comporte les éléments suivants :
-
L’histoire du projet
-
La charte des Accorderies et les principes fondateurs
-
Le manuel d’opérations d’une Accorderie au quotidien
-
Un site internet, à la fois grand public et un Espace membres
-
Une convention qui lie les Accorderies et le Réseau : la franchise sociale.
Une des clés du succès des Accorderies aujourd’hui est que ce réseau permet un modèle de déploiement et un processus de transfert de savoirs et compétences, sur les principes d’une « franchise sociale ». C’est le Réseau national qui organise ce processus de transfert. La franchise sociale joue un rôle essentiel dans la dissémination des Accorderies. Sa caractéristique majeure relève de l’économie sociale : économique avec les outils de transfert et d’accompagnement du système de la franchise, social où le franchiseur est le simple regroupement de tous les franchisés. Elle pose les bases de fonctionnement entre le Réseau et l’Accorderie. Chacun a des droits et des devoirs à respecter.
Par l’historique de développement des Accorderies en France, une part importante d’entre elles se situe dans la région Sud Est. Le reste est réparti sur l’ensemble du territoire français. Aujourd’hui, en juillet 2017, le Réseau français compte 34 Accorderies. Le réseau français a par ailleurs soutenu la création d’une première Accorderie en Belgique, à Mons, près de Lille.
La mission et les principes des Accorderies
Les missions de l’Accorderie sont avant tout de combattre la pauvreté et l’exclusion sociale en renforçant les solidarités dans la communauté locale entre des personnes d’âges, de classes sociales, de nationalités et de sexes différents. Son action repose sur des valeurs d’égalité, de solidarité et de reconnaissance des compétences et des talents de tous les citoyens et citoyennes qui deviennent accordeurs. Elle a également pour mission de favoriser le développement du pouvoir d’agir des personnes. C’est-à-dire de leur permettre de se mobiliser sur des choses qui sont importantes pour elles.
Les principes qui guident l’Accorderie sont au nombre de 5 :
Le premier détermine le système de convertibilité (voir « Comment coexiste la pluralité des monnaies ») : une heure d’un service a la même valeur qu’une heure d’un autre service, bousculant ainsi les logiques de définition de la valeur. Le deuxième délimite le périmètre de la convertibilité, en excluant explicitement toute conversion en lien avec de l’argent, le sortant ainsi du système financier et commercial. Le troisième guide le fonctionnement horizontal de la structure qui la porte, qui responsabilise les membres/utilisateurs de la banque de temps. Le quatrième régule la participation de chaque membre, dans un souci de réciprocité, où chaque membre doit accepter de donner et de recevoir. Le cinquième clarifie la nature des actions des membres, en lien avec le principe précédent, il ne s’agit pas d’un engagement bénévole.
La mécanique de l’échange
Le déroulement d’un échange de services se passe de manière simple :
Après avoir pris contact avec l’Accorderie locale et avoir créé mon espace membre, je suis accordeur. Lorsque j’ai besoin d’un service, j’identifie un accordeur compétent au sein du réseau via l’espace membre (ou je me rends à l’Accorderie pour qu’on m’aide dans cette recherche). Je contacte la personne, on convient d’un rendez-vous et de la teneur de l’échange. L’échange a lieu, puis je lui fais un chèque-temps. L’échange est alors terminé et je peux recommencer en tant qu’offreur ou receveur de services en fonction du temps dont je dispose.
Les accordeurs
Les accordeurs sont des personnes qui désirent améliorer leurs conditions de vie (économiques, sociales..) et/ou souhaitent faire partie d’un projet de solidarité et de mixité sociale sur leur territoire. L’ensemble du réseau compte aujourd’hui 11 300 accordeurs, qui ont déjà fait 54 000 échanges, pour 63 400 heures. Le nombre d’adhérents par Accorderie locale est en moyenne entre 200 et 300 accordeurs pour les zones rurales et entre 700 et 900 pour les Accorderies des grandes agglomérations.
Quant au profil des utilisateurs, on voit une certaine précarité et solitude. 44% des membres vivent seuls, 24% sont sans emploi et 29% vivent avec moins de 10 000€ par an (Réseau des Accorderies, 2015b). Ces chiffres montrent que les Accorderies jouent un rôle important de lien social… Vu la relative pauvreté monétaire de beaucoup d’Accordeurs, l’échange des services représente un réel intérêt pratique. Il va permettre d’accéder à des services auxquels les personnes ne pourraient pas avoir accès par la voie classique. L’Accorderie va favoriser la remise dans une dynamique sociale ou professionnelle, en valorisant les compétences de la personne et en l’inscrivant dans un nouveau réseau.
La nature des échanges
L’offre de services est très diverse et traverse toute la vie quotidienne des personnes. Les domaines sont très variés et dépendent des compétences des accordeurs qui composent chaque Accorderie. Comme nous pouvons le voir dans le graphique ci-dessous, qui concerne l’ensemble des échanges enregistrés par les Accorderies françaises en 2016, les services les plus échangés concernent les domaines tels que les petits travaux, l’entretien (ménage, repassage), le jardinage, l’accompagnement pour des courses, démarches ou des sorties, des gardes d’enfants, d’animaux, de lieux et ensuite l’apprentissage ou conversation en langues.
Le bilan, les défis et les perspectives des Accorderies en France
Lorsque tout a démarré en 2011, les membres fondateurs ne pensaient pas atteindre les 34 Accorderies en 2017. C’était une expérimentation, qui a certes été formalisée par la création du Réseau en 2013, mais une croissance si forte et rapide n’était pas imaginable. Avec la tendance actuelle, on estime qu’il y aura sûrement 50 accorderies fin 2018. Ce rythme de développement va bien au-delà des objectifs de départ. Plusieurs éléments se trouvent derrière cette réussite :
-
Des concepteurs et des partenaires de départ, entreprenants et très ouverts à l’innovation, acceptant un droit à l’essai-erreur ;
-
Un modèle de déploiement et de transfert des savoirs et des compétences qui s’appuie sur les principes de la « franchise sociale » avec des outils aisément transférables ;
-
L’implication personnelle de nombreux membres de l’Accorderie ;
-
Une évaluation en continu (par des chercheurs externes) de l’impact social.
C’est plutôt un défi que d’arriver à soutenir le développement très rapide d’un réseau encore très jeune. Le financement représente un défi permanent, cela fait partie du modèle. Au Québec, les Accorderies existent maintenant depuis 15 ans. Elles connaissent les mêmes difficultés financières, et pourtant les 13 Accorderies sont toujours là.
Une innovation sociale doit pouvoir durer au moins 10 ans pour devenir un objet de transformation sociale. Donc, soutenir des innovations pendant 2-3 ans n’a pas beaucoup de sens. Au bout de 3 ans, la structure n’a pas encore trouvé les moyens de sa pérennisation financière et a besoin de soutien.
L’effort porte principalement sur la multiplication des partenariats publics et privés pour pérenniser le réseau. Aussi, chaque Accorderie locale doit se faire connaître et reconnaître par les élus locaux et les services des collectivités. Elles doivent aussi s’adapter à leur territoire, tout en respectant un minimum de règles communes à tout le réseau.
Le rôle des collectivités territoriales et d’autres acteurs locaux dans le développement des accorderies
Les collectivités territoriales françaises ont été globalement bienveillantes vis-à-vis des Accorderies. Le soutien des collectivités peut parfois aller jusqu’à un soutien financier, même si ce n’est pas toujours le cas. Les montants restent très modestes, il s’agit de quelques milliers d’euros tout au plus. Aussi, certaines collectivités nous mettent à disposition des locaux pour faciliter le démarrage.
A Paris par exemple, la Mairie de Paris a été à l’origine de l’implantation des Accorderies, avec le soutien de La Fondation Macif. La Ville soutient 4 Accorderies, y voyant un levier très important de cohésion sociale, mais aussi un accès à des services pour des populations pauvres. Les Accorderies parisiennes opèrent dans des territoires bien précis : dans des quartiers et arrondissements où les problèmes sociaux et les conditions de vie précaires s’accumulent.
Les Accorderies sont de plus en plus soutenues par des Caisses d’allocation familiales Locales, qui les reconnaissent comme étant des « Espaces de vie sociale ». C’est-à-dire des lieux de proximité accueillant toute la population et permettant aux habitants d’exprimer, concevoir et réaliser leur projet. La seule limite est que les CAF locales ne peuvent pas démultiplier les EVS sur les territoires.
Les Accorderies, et les banques de temps en général, sont des outils très intéressants qui peuvent contribuer à apporter des réponses à des enjeux locaux majeurs : la cohésion sociale et l’insertion. Mais elles sont aussi intéressantes dans la mesure où elles nous invitent à reconsidérer les échanges entre individus, à les démonétiser, donnant davantage de place à des valeurs d’entraide et de solidarité.
Sources
Réseau des Accorderies, 2015a, RAPPORT D’ETAPE 2011 – 2014. Volet 1- Modèle de fonctionnement des Accorderies, 26p. Accès à la synthèse
Réseau des Accorderies, 2015b, RAPPORT D’ETAPE 2011-2014. Volet 2- Activités et impacts des Accorderies, 36p. Accès à la synthèse
Le site du réseau français des Accorderies : www.accorderie.fr
To go further
La charte des Accorderies Françaises : Accès à la charte
Fare Marie, 2009, « L’Accorderie (Québec) : un dispositif de monnaie sociale singulier? », Économie et Solidarités, 40(1-2), 2–16. doi:10.7202/1004050ar
Des vidéos :
-
Reseau Accorderie, 2011, L’Accorderie: système d’échange de services. Accès à la vidéo
-
Accorderies Quebec, 2013, « Le temps, une richesse ». Accès à la vidéo
-
Claire Lajeunie et Julie Zwobada, 2013, « Ensemble, c’est mieux », diffusé le 6 mars 2014 sur France 3. Accès à la vidéo
-
Marion Ducasse, 2017, Comment un simple morceau de papier peut devenir de l’argent, TEDxChambery. Accès à la vidéo