L’habitat récent en Kabylie – Parenté et organisation de l’espace

Kabylie, ALGÉRIE

Linda SID-OTMANE, 2014

Centre Sud - Situations Urbaines de Développement

Cette fiche présente l’habitat familial en Algérie. Mélange de formel et d’informel, ces groupements de logements permettent la cohabitation de familles élargies, évoluant dans une forme d’interdépendance économique.

L’organisation sociale traditionnelle en Kabylie est basée sur la famille élargie. Avec le mariage des enfants, l’extension de la maison se matérialise par la construction d’autres volumes, autour d’une même cour, abritant chacune une nouvelle famille conjugale. La participation collective à la vie économique a écarté, pour chaque nouveau ménage, toute tentative de se détacher complètement du groupe. Face à cette organisation, la gestion des affaires quotidiennes, l’autorité et le pouvoir décisionnel relèvent du ressort d’une seule personne. Suivant l’âge et le sexe un rôle particulier est affecté à chacun des membres de la famille élargie.

Tout en constituant une seule unité de consommation, l’élargissement graduel de la famille se retrouve face à une situation ou plusieurs générations cohabitent. Le passage vers un modèle économique monétaire et l’évolution rapide des moyens de production, ont suscité des transformations majeures qui ont affecté la maison et son espace multifonctionnel et suscité notamment une tendance à la spécialisation des fonctions. Cette situation s’accompagne d’une réappropriation de l’espace et d’une réorganisation de l’habitation. Au-delà des changements considérables liés aux techniques constructives, à l’adoption d’un nouveau système (poteau poutre) et à la régularité de la forme de la maison, des transformations majeures ont également concerné la structure familiale et son organisation. Néanmoins, face à la fragilité économique des familles, la sécurité de l’individu par son appartenance au groupe est recherchée. L’image d’une unité du groupe familial peut se traduire spatialement par un regroupement des habitations dans une famille élargie.


Extrait du travail de doctorat « Les pratiques de l’espace dans les modèles d’habiter en Algérie, planifié et informel », Linda SID-OTMANE, 2011

Nous le retrouvons dans notre exemple à travers une famille élargie de six frères qui ont fait le choix de construire leurs habitations ensemble en ville après avoir quitté leur village d’origine. Ils se sont installés au lieu dit « Ihadadden Oufella », dans l’extension ouest de Bejaia, une ville côtière d’Algérie. Il est important de souligner qu’il s’agit d’un groupe d’habitations édifiées sans permis de construire. L’achat des terrains recevant ces habitations est la seule procédure légale dans l’édification de cet ensemble résidentiel. Faisant partie d’un site où la majorité des constructions sont illicites, ce groupe, comme pour la plupart des maisons dans ces lieux, est inscrit dans un registre de régularisation où les limites de chaque unité d’habitation n’ont comme fondement que la reconnaissance des propriétaires (les frères) dans le respect des limites de leurs terrains séparant leurs biens des tiers.

L’occupation de la parcelle de terrain, acheté par 5 frères, est progressive. Les premières maisons édifiées furent celles des premiers ménages constitués. Le sixième frère s’est rallié au groupe, suite à son mariage, par l’achat d’une parcelle de terrain limitrophe et dans le prolongement de la première. Dans le respect des codes de conduites imposés aux membres du groupe familial, l’autonomie économique des ménages envisage une séparation physique éventuelle par la recherche d’un « pied à terre » qui consiste à essayer de se rapprocher le plus possible, dans l’occupation du sol de la maison, d’une emprise au sol, propriété de chaque unité d’habitation. Elle s’exprime également à travers la volonté de disposer de sa propre cour et/ou jardin. En cas de saturation du terrain, le propriétaire se contente de déplacer l’accès de son habitation et de créer un second accès.


Extrait du travail de doctorat « Les pratiques de l’espace dans les modèles d’habiter en Algérie, planifié et informel », Linda SID-OTMANE, 2011

Permettre à son frère de bénéficier du « pied à terre », d’un accès au sol, dans une mesure de faisabilité, est perçu comme une évidence qui fait souvent partie des négociations lors des partages des biens, qu’ils soient hérités ou inscrits dans le cadre d’un projet commun dans une famille élargie. L’accès au sol est souhaité pour permettre un passage direct d’un espace public (voie, passage…) vers son habitation. En cas de situation enclavée, il peut ainsi signifier un échange ou un don d’un espace servant de passage. Le bon déroulement de ces négociations est lié à la nature des rapports qu’entretiennent ces familles entre elles. Les mésententes antérieures rendent cette tâche difficile, faisant appel à des intermédiaires (des personnes respectées, des sages…) de l’entourage, dans un objectif d’arriver à des compromis satisfaisants pour les deux parties. En cas de conflits entre les occupants, les maisons peuvent alors se tourner le dos et les portes se refermer. Le « pied à terre » offre aux usagers la possibilité d’interrompre les échanges et de supprimer par la même les parties communes (cours, passages…).

Dans cette continuité spatiale privée et familiale, tout est mis en œuvre pour entretenir les relations familiales par affiliation ou par alliance. Les limites physiques de chaque propriété des six habitations voisines (groupe IA9 à IA14) sont ainsi bien définies spatialement tout en offrant aux usagers la libre circulation dans l’ensemble des habitations. Toute personne habitant une de ces maisons peut se déplacer de droit dans les espaces intérieurs sans y être conviée. En revanche, s’annoncer avant de franchir le seuil d’une maison voisine du groupement d’habitations, en faisant du bruit ou en parlant, demeure un signe de décence obligatoire pour les hommes.

Sources

Linda SID-OTMANE (Docteure en Aménagement) Extrait d’une thèse de doctorat : « Les Pratiques de l’espace dans les modèles d’habiter en Algérie, planifié et informel », soutenue le 11 mai 2011, Université Paul Cézanne, d’AIX-MARSEILLE III, sous la direction de Daniel PINSON.