Comment les habitants font face aux expulsions : « Villa 31 » et « Villa 31 bis »
Buenos Aires, ARGENTINE
Hector BECERRILL, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche aborde le combat des habitants du quartier Villa 31 en Argentine qui a permis la mise en place d’un programme d’urbanisation respectueux des habitants, de leurs attentes et de leurs usages.
Villa 31, un quartier pauvre sur la terre la plus chère d’Amérique latine
Le quartier informel appelé Villa 31, où vivent et survivent environ 30 000 habitants, est localisé dans le cœur historique de Buenos Aires, face au port, à quelques centaines de mètres du quartier des affaires et de l’opération prestigieuse de rénovation urbaine de Puerto Madero, symbole flamboyant du néolibéralisme triomphant des années 1990. Le prix du sol est l’un des plus élevés d’Amérique latine. Villa 31 témoigne des victoires possibles d’une lutte constante des plus démunis pour le respect de leur Droit à la Ville, mettant en avant non seulement l’importance de l’organisation des populations, mais aussi l’intérêt de diversifier les répertoires d’action et de mobilisation dans le combat en faveur d’une ville pour tous et pour toutes.
Occupation – Démolition – Réoccupation
Enclavé entre une autoroute urbaine et le réseau ferroviaire, le quartier occupe un terrain de 15,25 hectares appartenant au gouvernement national, à la compagnie Reposol/Espagne et à la compagnie des chemins de fer. Au cours des années 1930, Villa 31 se développe, en accueillant dans un premier temps, des populations au chômage appauvries par la crise économique mondiale qui touche de plein fouet l’Argentine. A la fin des années 1960, les habitants de la Villa 31 ont commencé à s’organiser et à résister aux actions hostiles du gouvernement qui à cette époque a mis en place une politique d’éradication des quartiers non-réglementaires. De ce mouvement naît dans les années 1970 le « Frente Villero de Liberación », qui revendique le droit à la propriété et à un logement digne.
Face à une politique extrême d’éradication de la dictature militaire (1976-83), Villa 31 est pratiquement rayée de la carte et la quasi-totalité des habitants sont expulsés. Avec le retour de la démocratie en 1984, le quartier se développe à nouveau, de manière rapide, et beaucoup de ses anciens habitants reviennent s’installer et reconstruisent leurs logements. Au début des années 1990, l’existence des Villa 31 et 31 bis est remise en question à cause du méga-projet immobilier « Retiro 2010 ».
L’organisation communautaire de Villa 31 devient le noyau dur de la Fédération des Villas de Buenos Aires
Face aux nouvelles menaces de démolition et aux méthodes clientélistes du gouvernement, l’organisation autonome et démocratique des habitants est mise en péril. Toutefois, grâce à une résistance constante, ils ont réussi à arrêter le projet en 1996. L’organisation du quartier s’est élargie, associée à d’autres quartiers dans sa lutte, et ainsi la « Federación de Villas, Núcleos y Barrios Marginados de la Ciudad » (FEDEVI) voit le jour avec l’objectif d’unifier les mouvements des quartiers informels au niveau du Grand Buenos Aires dans un premier temps. Cet élargissement, du quartier à la ville, a été décisif pour la victoire de 1996. La FEDEVI a permis de forger de nouvelles alliances, de nouveaux moyens de communication et d’information avec d’autres organismes et associations.
Résistance sur le terrain et lutte pour changer les politiques de rénovation des quartiers
En même temps que la FEDEVI intégrait des réseaux locaux et globaux, elle préparait avec des alliés dans le gouvernement et l’université un avant-projet de loi intitulé « Radication et Transformation des quartiers informels », qui conduira à la Loi n° 148 votée en 1999. Elle prévoit la création d’une Commission Coordinatrice et Participative chargée de veiller à l’exécution des programmes dans les quartiers informels de Buenos Aires. En 2001, le Programme « Radicación, integración y transformación de Villas y Núcleos Habitacionales » est créé. Son fonctionnement est assuré par une « Unité d’Exécution » ayant pour mission l’évaluation d’alternatives, le développement de plans, de projets et d’actions, de manière coordonnée entre les acteurs publics concernés et les populations touchées.
2009. Décret prévoyant de manière explicite une rénovation sans expulsion pour la Villa 31. Le premier en Amérique latine
En 2009, le programme d’urbanisation des Villas 31 et 31 bis est approuvé par le Gouvernement de la ville. L’avant-projet, conçu par la Faculté d’Architecture de l’Université de Buenos Aires en collaboration avec les habitants, ne comprend aucune expulsion. Tous les habitants seront relogés sur place, comme prévu dans ce décret totalement novateur. En 2011, les premiers travaux sont en cours.
Sources
Cabannes, Y, (coord.), Guimarães Yafai J, Johnson, C, (2010:6), “How people face evictions”, final research report, DPU/UCL-BHSF, London.