Actions populaires de réquisition et de campement pour la reconnaissance du droit au logement en France

Nicole REIN, 2002

Cette fiche présente les actions de l’association Droit Au Logement (DAL) et surtout la lutte des militants et des habitants pour faire respecter un droit fondamental à valeur constitutionnelle : le droit au logement.

Entre la concrétisation d’un droit et son existence reconnue dans la loi, il existe souvent un fossé qui implique la nécessité d’une action solidaire et militante.

Du campement du “Quai de la Gare” à celui du “Passage de la Brie” de l’été 2002, en passant par des réquisitions comme celle de la “rue du Dragon”, l’histoire du DAL - Droit Au Logement - est émaillée de soutiens aux actions populaires de réquisition et de campement ayant pour but l’obtention d’un logement décent.

Pourtant ce droit, le droit au logement, est consacré par de multiples textes internationaux et nationaux et par de grandes décisions jurisprudentielles (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Constitution française, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme…). Notre législation déclare que le droit au logement est un droit fondamental (loi Mermaz de 1989). Les décisions du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 et du 29 juillet 1998 réaffirment que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle. Enfin, la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) de décembre 2000 qui veut lutter contre l’habitat indigne a prévu le relogement des habitants victimes d’une interdiction d’habiter due à une insalubrité ou à un péril dans son article 181.

Juin 2002, 35 personnes dont des familles avec enfants vivent depuis des années dans un immeuble délabré sis 8 et 11 rue de la Brie à Paris 19ème. Ils sont sans eau et sans électricité.

Des voisins, des enseignants ont formé un comité de soutien et ont alerté en vain les pouvoirs publics et le Maire du 19ème sur l’état de l’immeuble et la nécessité de reloger ses habitants. La Préfecture de police venue en janvier 2002 n’a pris aucun arrêté de péril ! En juin 2002, la ville de Paris a acquis presque la totalité des lots composant l’immeuble et les cède à la Société Immobilière Economique Mixte de la ville de Paris (SIEMP) dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre.

Le 20 juin 2002, les architectes de la SIEMP constatent la dangerosité de l’immeuble (3 plafonds s’étaient écroulés dans les semaines précédentes). La SIEMP ose proposer au DAL de vider cet immeuble en emmenant ses habitants dans des « squats ».

Le DAL refuse en rappelant que la résorption de l’habitat en péril ou insalubre se concrétise en un relogement décent et définitif avec paiement d’un loyer. La SIEMP appelle l’architecte de la Préfecture de police qui prend le 23 juin un arrêté immédiat d’évacuation et d’interdiction d’habiter pour cause de péril. La police interdit même aux familles de prendre leurs biens personnels et les services sociaux du 19ème ne proposent que quelques places pour quelques nuits en chambres d’hôtel ou au centre Baudricourt et 50 euros aux autres pour rechercher un hébergement impossible à trouver à 9 heures du soir à Paris vu la crise.

Les habitants soutenus par le DAL et le comité de soutien vont manifester devant la Mairie du 19ème et sont chargés par la police très violemment (2 femmes sont blessées, une restera 7 jours à l’hôpital et 2 hommes sont gardés à vue). Les habitants avec leurs enfants décident de dormir dans le passage au pied de leur immeuble évacué ; des militants du DAL viendront les soutenir et veilleront avec eux pendant tout le campement. Le 24 juin, les familles soutenues par le comité de soutien très actif et le DAL refusent des hébergements temporaires en hôtel ou en centre, tant que le processus de relogement n’est pas engagé. La SIEMP, bien que gérant beaucoup de logements, prétend ne pas en avoir de disponibles et n’a même pas saisi les services du logement de la ville de Paris et de la Préfecture pour reloger les habitants. C’est la lecture de la presse qui en informera ces derniers.

Les habitants écrivent au Maire de Paris et au Maire du 19ème arrondissement et le comité de soutien décide de parrainer tous les habitants expulsés chacun personnellement jusqu’à l’obtention du relogement décent ; en outre, on veut obtenir pour les enfants expulsés l’accès gratuit au centre de loisirs et un dortoir dans l’école maternelle proche, vide en raison des vacances.

Le 26 juin, après une manifestation au siège de la SIEMP, une délégation est reçue et la SIEMP assure que le relogement sera partagé par moitié entre ville de Paris et Préfecture. Le prochain rendez-vous est prévu le 10 juillet.

Les familles toujours soutenues par le DAL et le comité de soutien décident de continuer le campement tant que l’accord n’est pas matérialisé et que les propositions de relogement ne sont pas parvenues aux habitants et acceptées par les divers bailleurs après la visite des logements par les familles.

Les militants aident les habitants à remplir leur dossier et continuent à camper dehors avec eux. La presse soutient le campement et des articles sont publiés dans Le Monde, LibérationMédecins du Monde vient sur le campement le 3 juillet et propose des soins gratuits aux enfants qui vivent depuis tant de temps dans ces taudis : certains de ces enfants sont atteints de saturnisme. Le dortoir pour les enfants dans l’école maternelle est refusé. En revanche, ils auront accès au centre de loisirs.

Devant le silence assourdissant du Maire du 19ème qui n’est toujours pas venu voir les familles, une manifestation a lieu le 6 juillet sous la pluie et devant une haie de CRS. Le 8 juillet, le Maire du 19ème vient enfin au campement. Il promet oralement que le relogement des habitants avec papiers sera résolu pour septembre et que pour les autres, une solution transitoire sera trouvée en fonction de la nature de leur document. 19 familles sont en droit d’obtenir un relogement définitif.

Le 11 juillet, 8 familles ont reçu des propositions de logement et 10 devraient arriver prochainement de la Préfecture. Le 18 juillet, 2 passages réussis en commission d’attribution, mais toujours pas de nouvelles propositions. Il y en aura 13 et le 25 juillet. On se bat avec le Comité d’Action Sociale (CAS) qui ne tient pas ses promesses d’hébergement prévues en hôtel et veut les réduire à une seule nuit pour certains. Le 1er août, après 41 jours, le campement est levé. 4 familles sont dans leur nouveau logement, 3 autres sont en train de signer leur bail. Pour les autres habitants, un hébergement correct a été obtenu en attendant le relogement définitif.

Dans cet exemple comme dans d’autres, les militants du DAL se sont battus au côté des habitants en campant dehors par tous les temps et même en plein hiver pour obtenir un logement décent pour ces hommes, femmes et enfants victimes des taudis (campements de la rue Lepeu, de l’avenue de la République, pour n’en citer que quelques-uns). Et pourtant, il s’agit de sauver des enfants malades en raison de leur habitat indigne et d’obtenir la réalisation de leur droit à un logement décent. La détermination des familles, l’appui et les actions des comités de soutien et de la presse sont des éléments primordiaux pour la réalisation pratique de ce droit fondamental reconnu au niveau national et international.

Para ir más allá

Loi Mermaz du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs

Loi SRU

SIEMP

Médecins du Monde