Les enjeux territoriaux de la ville intelligente
Jean DANIELOU, 2014
Le développement des villes intelligentes commence par l’équipement du territoire en infrastructures communicationnelles. En France, cet équipement, comme avant lui le réseau de transports, relève d’une décision centralisée qui vise à pallier les inégalités territoriales et à résorber la fracture numérique. Pourtant entre les villes-laboratoires et celles qui seront par la suite équipées, on constate un déséquilibre : les premières, souvent de grandes métropoles, bénéficient de services-test gratuits quand ces-mêmes solutions sont vendues aux secondes villes, souvent moins importantes.
Matériellement, la ville intelligente se définit par l’installation d’une coûteuse infrastructure communicationnelle qui intègre à son fonctionnement tous les systèmes et objets y étant connectés. Le corolaire de cette constatation est l’établissement d’une nouvelle identité territoriale : le territoire numérique. Outre la connexion accrue entre les différents éléments de l’environnement urbain, l’identité numérique du territoire assure à celui-ci l’accès vers des informations, des services, des données émanant d’autres entités territoriales. Le territoire numérisé s’insère donc dans le flux global de circulation des données, ce qui est un vecteur potentiel d’attractivité économique et ce qui assure la constitution d’un réseau de territoires non nécessairement reliés géographiquement.
Equiper les territoires : vers un aménagement numérique des territoires ?
La tradition républicaine française conçoit son territoire comme un espace homogène sur lequel s’étend un service public universel en cela qu’il est partout le même, sans considération faite des possibles différences spatiales, sociales et économiques. Aussi, les territoires qui se numérisent progressivement risquent de produire un déséquilibre territorial, désigné par le vocable « fracture numérique ». Le numérique peut devenir l’agent d’une inégalité territoriale séparant les territoires connectés de ceux qui ne le sont pas. La réaction de l’Etat français a été de mettre en place un « Plan France Très Haut Débit », en février 2013, qui prend la suite du programme national très haut débit lancé en 2010. La stratégie étatique repose sur l’engagement de 20 milliards d’euros pour une période de 10 ans, afin d’atteindre l’objectif suivant : « 100% des foyers raccordés au très haut débit d’ici à 20221 ». Les réseaux de fibre optique sont donc une technologie qui fait l’objet d’un investissement politique au nom de l’égalité des territoires, rappelant que l’Etat reste le garant de l’homogénéité territoriale française : « Equiper le reste du pays, et particulièrement les territoires les plus ruraux, nécessite l’intervention des pouvoirs publics et particulièrement celle des collectivités territoriales. Faute de cet engagement, certains territoires pourraient ne pas être desservis, générant ainsi une fracture numérique et d’importants déséquilibres économiques mais aussi sociaux2 ». Dans cette perspective, la ville intelligente est reliée géographiquement et technologiquement à son hinterland, grâce à une continuité infrastructurelle, résultat d’une stratégie d’Etat. Derrière l’objectif affiché de maintenir l’homogénéité du territoire français, se dessine en filigrane un modèle d’aménagement du territoire qui est celui qui avait prévalu lors de l’installation des réseaux de transports3. L’aménagement numérique des territoires répond à une logique d’organisation du territoire d’inspiration centralisatrice (top down). Contrairement au cas du Xi’an (Cf. Fiche Xi’an dans le dossier « Fiches de cas »), où l’on constate que l’élaboration d’une plateforme d’e-learning est une façon pour la ville d’étendre ses ramifications dans la campagne, l’aménagement numérique des territoires à la française promeut une égalité technologique entre la ville et son hinterland.
La ville intelligente : une stratégie de développement métropolitain ?
Toutes les villes vont-elles devenir intelligentes ? L’aménagement numérique des territoires suffira-t-il pour déployer toutes les technologies nécessaires au fonctionnement des dispositifs de la ville intelligente ?
Pour le moment, le coût d’installation de ces technologies (hors réseau de fibre optique) est principalement supporté par les industriels qui se servent de quelques collectivités territoriales pour expérimenter leurs solutions. C’est le cas par exemple de la Communauté urbaine de Lyon qui a accueilli au sein du quartier Confluence l’îlot Hikari, dont la technologie intelligente a été financée par les partenaires et plus particulièrement par le NEDO. Dans une perspective de développement métropolitain, la ville intelligente se présente comme la face technologique de la métropolisation. A l’égalité des territoires promise par le Plan France Très Haut Débit, on doit opposer les stratégies d’implantation industrielle déjà à l’œuvre. Les villes servant de laboratoires aux nouvelles solutions urbaines reconduisent leur avantage métropolitain, et, de ce même fait, un possible déséquilibre territorial se profile entre les villes-laboratoires (qui bénéficient à peu de frais des expérimentations ayant lieu dans leur environnement) et les villes auxquelles seront vendues les solutions intelligentes.
1 Centre d’Etudes Techniques de l’Equipement de l’Ouest, Le Point sur « Le Plan France Très Haut Débit », Juin 2013.
2 idem
3 « Pour les décideurs politiques, les territoires numériques prennent le plus souvent comme signification celle des réseaux techniques qui doivent équiper le territoire. Cette réduction possède un avantage évident : elle transpose la vision des infrastructures de réseaux de transport, qui ont tant marqué l’histoire de l’aménagement en France mais aussi dans tout le monde occidental. Les « autoroutes de l’information » en étaient sans doute l’expression la plus fameuse et la focalisation sur le très haut débit avec l’équipement de tous les territoires la prolonge avec une obstination non démentie depuis le XIXème siècle, après l’impulsion essentielle de Saint-Simon. » in Dominique Boullier, « Au-delà des territoires numériques »
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