20 ans après : comment évaluer les projets urbains ?

Jean-Michel Roux, March 2014

Monde pluriel

Cette fiche questionne l’évaluation des projets urbains. Quels pas de temps faut-il choisir pour mener une évaluation pertinente pour l’ensemble des parties prenantes ? Sur quels critères doit-elle se fonder pour analyser en profondeur et de manière systémique la qualité et la réussite d’un projet urbain ?

Camillo Sitte consacre un essai à « L’art de bâtir les villes » (1889), qu’on trouve aujourd’hui encore en édition de poche et en français. Le gros de l’ouvrage est un inventaire d’exemples européens (principalement italiens). Sur chaque site s’agglutinent au cours des siècles des ajouts et embellissements, non sans démolitions partielles, mais toujours fondés sur l’existant : tout se transforme, rien ne se perd. Le résultat provisoirement achevé fait se précipiter les touristes. Les états intermédiaires auraient eu le même effet, si toutefois les touristes avaient existé à leur époque. Dans ce processus, l’évaluation d’un projet va de soi, presque en continu, en termes d’usage et de fréquentation.

L’évaluation des projets urbains contemporains ne se prête pas à cette naïve simplicité, puisque presque tous visent à remplacer radicalement ce qui précède, à proclamer l’avènement de temps nouveaux, et donc à réclamer un délai pour que ces temps adviennent. Parfois dans un chef-lieu de canton, mais le cœur y est : lisez cette littérature pour vous en convaincre.

Après sa conception, le projet passe dans le bilan d’aménagement. C’est une survivance de la tradition paysanne : j’achète et je vends des terrains à bâtir, et j’essaye d’équilibrer au bout. Avec tous les raffinements que permet le bon usage d’un tableur, mais sans me perdre en considérations sémantiques sur les mérites comparés de l’actualisation et de la révision de recettes et dépenses. L’horizon est 20 ou 30 ans pour les opérations les plus ambitieuses, et chacun sait bien qu’on n’aura pas fini à cette échéance. Il y aura des aléas, mais l’imprévu n’est pas au programme : la dure mécanique des prix fonciers (peu régulés en France), autant que l’ambition des concepteurs et des élus, obligent à remplir tout l’espace d’un seul coup.

20 ou 30 ans, c’est bien peu pour juger d’un quartier. C’est souvent suffisant pour constater que ça tourne mal, et pour décider de tout recommencer. Mais c’est un délai bancal : trop long pour la vue basse des entreprises privées, trop court pour que s’établisse un flux régulier d’échanges économiques et sociaux, pour que la patine apparaisse, bref pour que « l’adresse » soit vivante et instituée. Quant aux budgets publics, ils sont strictement annuels, et permettent mal de retrouver l’histoire d’un investissement, du moins en termes comptables.

Il ne faut donc pas s’étonner que des projets se soient accompagnés d’abord de faillites financières, avant d’être validés par les siècles, à l’exemple bien connu des Comptes fantastiques d’Haussmann. On trouve des cas de genre aussi loin qu’on remonte dans l’histoire des villes. Inversement des opérations menées dans les règles d’une sage économie ménagère peuvent ensuite sécher sur pied, quand les opérateurs premiers parviennent à encaisser toutes les plus-values présentes et futures, et ne laissent aucune marge d’adaptation ultérieure.

Ainsi les prix initiaux dans les projets urbains (des logements, des bureaux) sont en général supérieurs à ceux qu’on observe dans le voisinage proche. Leur évolution postérieure pourrait donner une approximation grossière mais chiffrée du sort fait au nouveau quartier. A cela on pourrait ajouter des observations continues sur l’état des lieux, la fréquentation et la diversification des fonctions, sans trop se fier aux proclamations de mixité qui accompagnent désormais toute réalisation. Et puis des commentaires libres. Autrement dit, l’évaluation raisonnée pourrait être un exercice fructueux, à condition de ne pas s’en tenir à la comptabilité des opérateurs. Pourquoi faut-il constater qu’il n’est presque jamais entrepris ? Cette seule question préalable fait débat.

Sources

Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°7

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