Produire de l’action collective en faveur du développement territorial : l’exemple de la Bretagne

Remi Dormois, March 2013

Cette fiche est une fiche de lecture de l’ouvrage « La capacité politique des régions, une comparaison France - Espagne »1. En prenant l’exemple de la Bretagne, l’auteur met en avant le fait que le partage de certaines valeurs comme la structuration d’une capacité collective, partagée entre acteurs publics et privés, peut être à l’origine d’une dynamique et de l’intensité de développement économique d’une ville ou d’une région.

Plusieurs chercheurs se sont attachés – dans la perspective des travaux néo-institutionnalistes menés en science politique – à montrer que les différences d’intensité de développement économique d’une ville ou d’une région ne reposaient pas seulement sur des facteurs liés au dynamisme des entreprises et à l’importance de leur marché de consommateurs, mais à la structuration d’une capacité collective – c’est à dire partagée entre acteurs publics et privés – à savoir diagnostiquer des problèmes, mettre en place des stratégies collectives d’intervention. Le partage de certaines valeurs peut être à l’origine d’une telle dynamique. C’est notamment la thèse avancée par Romain Pasquier au sujet du développement économique de la région bretonne.

Romain Pasquier s’interroge sur la variabilité du potentiel mobilisateur des régions. Pourquoi dans certaines régions, on observe davantage que dans d’autres l’organisation d’une coopération entre différentes institutions et groupes socio-politiques en vue de concevoir et d’appliquer des politiques pour faire face à des problèmes collectifs. Pourquoi certaines régions parviennent à mieux négocier des programmes d’équipements et d’infrastructures avec le niveau central que d’autres ? Pourquoi certaines régions mettent en œuvre des politiques de développement territorial plus dynamiques et plus efficaces que d’autres ?

Pour l’auteur, dans certaines régions se structure une coalition d’acteur autour d’un modèle régional d’action collective, coalition qui est à même de mettre en œuvre une capacité d’action politique. Cette dernière notion est définie comme un processus complexe de définition d’intérêts, d’organisation et de coordination de l’action collective qui permet à des institutions et à des groupes d’acteurs publics et privés de concevoir et d’appliquer des politiques dans des contextes d’action fragmentés et fluides que sont les espaces régionaux. Illustrons cela avec les éléments présentés par l’auteur au sujet du modèle breton d’action collective.

Avant d’en décrire le contenu, il est important de revenir sur les conditions de la mise en place du modèle d’action collective breton après la seconde guerre mondiale. A la sortie de la seconde guerre mondiale, ce sont des militants de la cause régionale (J. Martray - fondateur du Comité d’étude et de liaisons des intérêts bretons le 22 juillet 1950 ainsi que du Mouvement national pour la décentralisation et la réforme régionale), des académiques et certains élus (R. Pleven député, président du Conseil Général des Côtes d’Armor et co-fondateur du CELIB par exemple) qui sont à l’origine de la production de représentations territoriales et de normes d’action qui vont constituer l’ossature du modèle d’action collective breton.

Les caractéristiques du modèle d’action collective breton

Le modèle d’action collective breton repose d’abord sur un certain nombre de représentations collectives. Ces représentations vont porter assez classiquement sur l’identité régionale, sur les contours de l’espace breton. Mais elles vont aussi permettre de sélectionner certains problèmes de développement et donc certaines solutions en termes d’action publique. Dans la production et la circulation de ces représentations, la réalisation d’études, la conduite de démarche de prospective territoriale et de planification régionale vont jouer un rôle clef. Le plan reste le moyen de produire une vision commune de l’avenir régional et de faire converger les autres niveaux d’administration et les groupes d’intérêts régionaux autour d’objectifs communs.

Le modèle d’action collective breton repose ensuite sur deux principales normes d’action. L’apolitisme va permettre d’élargir la mobilisation politique en faveur de ce modèle mais aussi de se protéger des effets de cycles dans la coopération avec les gouvernements successifs. La seconde norme d’action a trait au rapport à l’État que l’auteur qualifie à la fois de coopératif et d’antagoniste. Coopératif au travers du soutien des parlementaires bretons mais aussi des négociations répétées avec les élites étatiques au sujet des programmes de modernisation. Antagoniste avec le soutien apporté aux syndicats agricoles dans leur lutte avec le niveau central.

Une fois structuré, le modèle d’action collective breton a été transmis, diffusé au-delà du cercle de ses promoteurs pendant les trente glorieuses. De nouveau, la production d’études et de plans a joué un rôle clef dans cette diffusion. Elle a permis par exemple de socialiser plus largement les élites bretonnes aux problèmes de développement et à la priorité que devait constituer la défense des intérêts bretons. Ces démarches ont aidé aussi à sensibiliser les représentants des intérêts agricoles aux interdépendances entre leur secteur d’activité et les autres secteurs de développement.

Mais au final, quels ont été les effets de ce modèle d’action collective breton ?

En premier lieu, tout au long de la période 1950/1980 la transmission de ce modèle d’action collective a permis de structurer une coalition d’acteurs au niveau régional pour défendre les intérêts de la région bretonne au niveau national et européen. Négociation et lobbying couronnés de succès puisque la région bretonne a bénéficié de décisions de l’État concernant notamment des délocalisations industrielles (L’usine de Citroën à Rennes), de centres d’études et de recherche (le Centre National d’Études des télécommunication à Lannion), d’établissements d’enseignement supérieur (École Nationale de Santé Publique à Rennes), mais aussi de la réalisation d’infrastructures routières non concédées, de l’électrification de plusieurs voies ferrées, et enfin la réalisation d’un port en eau profonde à Roscoff pour désenclaver la Bretagne par rapport à la Grande Bretagne (et en particulier permettre aux agriculteurs bretons d’accéder au marché anglais) complétait le dispositif.

L’existence de ce modèle d’action collective breton a eu une influence par la suite lors de la mise en œuvre des lois de décentralisation au début des années 80 et de la montée en puissance des instances communautaires. Le leadership politique de la nouvelle institution régionale a été beaucoup moins discuté en Bretagne que dans d’autres régions. La Région Bretagne s’est positionnée comme un méso-gouvernement c’est à dire comme l’institution politique à laquelle il était reconnu la légitimité politique pour assurer l’essentiel de la médiation avec l’extérieur. Au niveau des outils de gouvernement, on peut noter que le travail constant de prospective régionale a été un élément facilitateur pour la mise en place des premiers contrats de plan entre l’État et la Région Bretagne. Les normes, les valeurs partagées au sein de la coalition régionale ont été aussi une ressource utilisée dans le dialogue avec les instances communautaires. La région Bretagne s’est affirmée comme un interlocuteur direct de l’Union Européenne, témoignant ainsi de la structuration d’une capacité politique d’action à l’échelle régionale.

L’influence du modèle d’action collective s’observe aussi dans le contenu des politiques locales. L’attention accordée en permanence dans les politiques régionales à l’équilibre dans le développement du territoire régional découle directement des travaux du CELIB (comité d’études et de liaison des intérêts bretons) qui avaient produit un découpage fin de territoires infra-régionaux (pays et bassins) avec pour chacun l’identification de problèmes de développement.

1 PASQUIER R. 2000. La capacité politique des régions : une comparaison France-Espagne

Sources

ADCF. 2011. Les agglomérations et leur territoire. 10 ans de dynamiques socio-économiques, 160 p.

BAGNASCO A. TRIGILLIA C. 1993. « La construction sociale du marché : le défi de la « Troisième Italie », Paris, Éditions de l’ENS Cachan, 284 p.

BECCATINI G. 1992. « Le district marshallien : une notion économique », in BENKO G., LIPIETZ A., Les régions qui gagnent, Paris, PUF, p.35-55.

BECKOUCHE P. DAMETTE F. 1993. « Une grille d’analyse globale de l’emploi. Le partage géographique du travail », In Economie et statistiques, n°270, p.37-50.

DAMETTE F., HAUTBOIS A., HIDE S., RENARD C. 1994. La France en Villes, Paris, DATAR, Documentation française.

DAVEZIES L. 2008. La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Paris, Ed. Le Seuil., Coll. «La République des Idées», 110 p.

PASQUIER R. 2000. La capacité politique des régions : une comparaison France-Espagne, Thèse de science politique, octobre 2000, Université de Rennes I, 434 p.

PASQUIER R. 2003. Modèles régionaux d’action collective et négociation de l’action publique en France : une comparaison Bretagne/Centre, in LABORIER P., TROM D. (dir.), L’historicité de l’action publique, Paris, PUF, pp.137-158.

PINSON G. 2002. Projets et pouvoir dans les villes européennes. Une comparaison de Marseille, Venise, Nantes et Turin, thèse de science politique, Université de Rennes 1, 728 p.

ROZENBLAT C., CICILLE P. 2003. les villes européennes : une analyse comparative, DATAR, 96 p.

ROZENBLAT C., CICILLE P. 2003. Les villes européennes : éléments de comparaison, Paris : La Documentation Française (DATAR), 59p

To go further

PASQUIER R. 2002. La capacité politique des régions. Une comparaison France-Espagne, In Annuaire des collectivités locales, Volume 22, n°1, pp. 809-815

REAU M. 2005. Romain Pasquier : La capacité politique des régions, une comparaison France-Espagne (compte rendu), In Pôle Sud, Volume 22, n°1, pp. 169-171

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