Une concentration du développement qui n’est pas sans poser de difficultés aux grandes villes
Remi Dormois, marzo 2013
Le processus de métropolisation a profondément modifié la forme, le fonctionnement et le peuplement des grandes métropoles. Nous avons fait le choix de présenter plus en détail trois effets de la métropolisation appartenant à des thématiques différentes mais entretenant des relations entre eux soulignant ainsi le caractère systémique de ce processus : la dualisation sociale des très grandes villes, la spécialisation socio-résidentielle des quartiers et des communes, le renforcement du polycentrisme économique.
Des grandes villes duales dans leur fonctionnement social ?
Un certain nombre d’auteurs insistent sur le processus de dualisation sociale des très grandes villes. L’économie post-fordiste offre principalement deux types d’emplois : des emplois très qualifiés et bien rémunérés mais en nombre réduit – ce que l’INSEE appelle en France les emplois stratégiques ou métropolitains – et des emplois peu qualifiés, peu rémunérateurs et souvent précaires (CDD). Les premiers se situent principalement dans les services dits supérieurs : marketing, recherche et développement, conseil et finance, assurance, informatique, multimédia, design,… Il peut s’agir d’emplois publics (par exemple les enseignants-chercheurs des Universités) ou privés. Les emplois peu qualifiés caractérisent certains secteurs d’activités : services à la personne, nettoyage, logistique, transport,… Là encore ces emplois peuvent être dans le secteur public (hôpitaux, mairie, éducation nationale) ou privé. Il est à noter que les deux catégories d’emplois peuvent se trouver dans un même secteur. L’industrie emploie un volet important d’intérimaires sur des fonctions à faible valeur ajoutée mais est dans le même temps pourvoyeuse d’emplois pour les ingénieurs, les cadres.
L’emploi post-fordiste est donc marqué, nous disent les partisans de la thèse duale, par un repli des catégories socioprofessionnelles dites intermédiaires tels que les employés dans les métropoles. Il s’en suivrait une sociologie bi-polaire entre d’un côté des populations très modestes (demandeurs d’emplois, travailleurs pauvres) et de l’autre côté des populations aux revenus supérieurs (actifs travaillant dans des services à haute valeur-ajoutée, personnes tirant leurs revenus de leur capital).
Mais plusieurs chercheurs européens, tel que Edmond Préteceille pour le cas de la région Ile-de-France, discutent cette thèse de la dualisation sociale de la très grande ville. Ils montrent que les quartiers des grandes villes comme Paris et Londres connaissent bien soit une progression de la présence de ménages très modestes soit une progression de la présence de ménages aux revenus supérieurs. Mais, nous disent-ils, il existe toujours une diversité de classes sociales dans les quartiers avec, notamment, le maintien des catégories intermédiaires et ce sur la longue durée. Le quartier le plus paupérisé n’est pas peuplé uniquement de ménages pauvres, nous disent-ils, ce qui distingue la métropole européenne de la métropole nord-américaine par exemple.
Ce débat ne doit pas occulter le très large consensus qui traverse la communauté scientifique pour signaler que dans les métropoles de plus en plus de ménages sont confrontés à un cumul de différentes formes de précarités : bas revenus, isolement social, problèmes de santé, logement vétuste, environnement de faible qualité voir porteur de nuisances,… Il convient en effet de rappeler que les métropoles attirent non seulement les cadres et les créatifs mais aussi les personnes en recherche d’emploi ou les migrants. L’étendue du marché du travail des métropoles et la présence de communautés étrangères structurées sont perçues par les ménages modestes comme des opportunités pour trouver un emploi, un logement et bénéficier des réseaux d’entraides sociaux.
Hausse des loyers, hausse des prix : accélérateurs de la spécialisation sociale des quartiers et des communes
Le constat est largement partagé : la métropolisation s’accompagne d’une spécialisation sociale accrue des espaces infra-urbains. Mais les analystes s’appesantissent moins sur les raisons pour lesquelles la métropolisation génère ce marquage social de l’espace. Nous proposons d’en rendre compte en privilégiant comme grille d’analyse le fonctionnement du marché du logement dans les très grandes villes.
La concentration des emplois à forte valeur ajoutée dans les métropoles conduit à une augmentation importante de ménages disposant de revenus élevés. Ces ménages disposent des moyens financiers suffisants pour satisfaire leurs attentes résidentielles. Or quelles sont ces attentes ? Soit habiter dans les quartiers où résident déjà des ménages qui ont les mêmes caractéristiques socioéconomiques – ce qu’on appelle fréquemment les « beaux » quartiers ou les communes « résidentielles » - soit habiter dans des quartiers populaires mais en se préservant d’un voisinage résidentiel direct (achat de lofts, sécurisation des accès). Dans les deux situations, les stratégies résidentielles de ces ménages aux revenus supérieurs aboutissent à une éviction des autres catégories de ménages. Dans le premier cas, ce sont principalement les «classes moyennes» qui ne peuvent pas suivre les hausses de loyers à la relocation et qui ne peuvent pas satisfaire leurs projets d’achat. Dans le second cas, ce sont les ménages populaires qui sont confrontés aux mêmes difficultés. Plusieurs sociologues ont mis en évidence, en s’appuyant sur le logement ou les écoles, que ce sont les ménages aux revenus supérieurs qui sont les principaux vecteurs de la spécialisation sociale des espaces infra-urbains.
Trois types d’espaces se caractérisant par un « entre-soi social » ont progressivement émergé dans les grandes villes. Relevons que l’intensité de ce processus n’est pas identique d’un pays à un autre : les grandes villes du Sud de l’Europe, de la France et de la Grande Bretagne ont un degré de spécialisation sociale de leur espace plus fort que les grandes villes de l’Allemagne ou des États du Nord de l’Europe.
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Il s’agit d’abord des quartiers bourgeois ou entrés dans un processus d’embourgeoisement (de gentrification pour reprendre la terminologie anglo-saxonne). Ce sont principalement les «gagnants» de la nouvelle économie qui y résident avec, pour le second type de quartier, encore un maintien des autres groupes sociaux mais avec une dynamique de recul. Commerces, services, aménagements urbains répondent aux attentes de ces ménages (ménage ne voulant pas nécessairement dire familles). Cet entre-soi est recherché, même s’il peut être refoulé comme dans le cas de la gentrification.
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Les quartiers populaires – très souvent des quartiers d’habitat social collectif mais aussi des quartiers anciens très dégradés – sont majoritairement peuplés par des ménages qui n’ont pas les moyens financiers de se loger ailleurs. Une partie des observateurs insistent sur l’existence de systèmes d’entraides, de solidarités dans ces quartiers populaires qui permettent par exemple aux migrants de se familiariser avec les codes culturels de leur nouveau pays, de trouver un premier emploi même précaire. Ces auteurs relèvent donc un «effet quartier» favorable en termes d’intégration sociale. Cet entre-soi peut aussi être recherché pour des raisons économiques. L’entre-soi facilite le contrôle sur les allers et venues dans le quartier nécessaire et constitue donc un avantage pour le développement des activités illicites (vente de drogue, jeux notamment). Mais d’autres observateurs mettent en évidence un «entre-soi subi». Les personnes aspirent à quitter le quartier mais n’en ont pas la possibilité pour des raisons financières ou pour des raisons qui tiennent à des stratégies délibérées de peuplement émanant de certaines institutions (bailleurs sociaux par exemple).
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Les lotissements pavillonnaires dans les communes périphériques constituent une forme urbaine caractéristique de l’entre-soi des classes moyennes. Ces ménages aux revenus intermédiaires résidaient fréquemment dans les différents quartiers de la ville-centre y compris dans les ZUP qui représentaient alors un saut qualitatif spectaculaire concernant la qualité de leurs logements et la présence d’espaces verts, d’équipements collectifs. Leur départ a tenu tout autant à l’effet des dispositifs favorisant l’accession à la propriété, à l’ouverture de larges zones d’urbanisation dans les communes dites périphériques qu’à une volonté de ces ménages de se mettre à distance des classes populaires afin de témoigner leur ascension sociale (leurs parents étaient souvent issus de la classe populaire) mais aussi avec la volonté de se mettre à distance des nouvelles classes populaires issues de l’immigration. Il s’agit très certainement du type d’espace où l’entre-soi est le plus porté et revendiqué par ses résidents. Certains observateurs évoquent ainsi un phénomène de « clubbisation » : le ticket d’entrée est de plus en plus élevé ce qui peut s’observer «en creux» avec tous les mouvements d’opposition qui se forment à l’occasion de projets de construction de logements sociaux dans ces communes voir d’ouvertures de nouvelles zones à urbaniser.
Quartiers bourgeois, quartiers populaires, lotissements pavillonnaires en périphérie sont donc trois types d’espaces avec un degré d’homogénéité sociale assez élevé qui caractérisent la très grande ville. Ils résultent aussi bien de logiques économiques (marché de l’habitat), de logiques sociales (être proches de ceux qui nous ressemblent) que politiques (politiques de peuplement très souvent occultées). Les trajectoires résidentielles entre ces trois types d’espaces se sont considérablement réduites conduisant à la mise en place de politiques publiques pour essayer de réintroduire une diversité des types d’habitat (parc privé en accession ou en location dans les quartiers d’habitat social, parc locatif public dans les communes périurbaines et dans les quartiers bourgeois, incitation à la construction de petits collectifs dans les communes périurbaines…) mais avec des résultats encore très partiels.
La remise en cause du schéma ville-centre / banlieue : le polycentrisme économique
La croissance économique et démographique des très grandes villes a eu aussi des conséquences sur la géographie de la localisation des activités économiques : industrie, BTP, commerces, bureaux. L’évolution qui a affecté cette géographie prend sens si elle est mise en rapport avec celle qui a concerné la localisation résidentielle des ménages. On peut alors schématiquement distinguer deux processus : le processus de desserrement et le processus de structuration de polarités économiques périphériques (polycentrisme économique). Précisons que ces deux processus se déroulent en même temps mais avec des intensités variables en fonction de la taille démographique de la ville et son rayonnement économique.
Le processus de desserrement est très certainement le plus connu et le plus intégré par les décideurs et observateurs de l’urbain dans sa première dimension que l’on qualifiera de «centripète». La valorisation résidentielle de quartiers où sont présentes historiquement des activités économiques (commerces de gros, ateliers voir petites usines) conduit fréquemment à leur départ vers des zones d’activités monofonctionnelles et situées en périphérie de la ville-centre. Ce desserrement a différentes causes : classiquement le départ s’explique par l’impossibilité pour l’entreprise de pouvoir mener à bien un projet d’extension ou par des contraintes croissantes sur son fonctionnement (encombrements, conflits de voisinage) mais il faut aussi avoir à l’esprit la plus-value financière qu’accompagne ce départ. La vente à un promoteur se fait à un prix qui permet très largement de couvrir la construction du nouveau site et le déménagement de l’activité. Une étude menée sur les agglomérations de Lyon et de Saint-Étienne montrait qu’entre 70 et 80% des implantations d’établissements dans les zones d’activités dédiées étaient le fait de ces transferts depuis les centres. S’apercevant que cette dynamique conduisait à la disparition de l’artisanat et de la petite industrie dans les quartiers centraux, certaines collectivités ont entrepris de développer une offre immobilière adaptée sous forme de villages d’artisans ou de micro-ZI (zone industrielle), notamment sur des secteurs délaissés par les promoteurs (proximité d’infrastructures ou de quartiers HLM stigmatisés).
La seconde dimension du processus de desserrement est moins perçue. Elle renvoie non pas au départ d’activités économiques depuis le centre mais à leur création dans les communes périphériques. Des commerces, des entreprises de services à la personne sont apparus au fur et à mesure du développement résidentiel des communes situées dans les couronnes périurbaines. En dynamique, le rythme de croissance de ces emplois dits présentiels, parce qu’ils sont liés à la présence résidentielle des ménages d’actifs, a d’ailleurs été plus forte que celle des emplois localisés dans les villes-centres depuis 1990. Bien entendu, en volume, l’essentiel des emplois restent concentrés dans les villes-centres mais cette dynamique de périurbanisation économique mérite d’être soulignée.
S’en tenir à une lecture en termes de desserrement des activités économiques à l’échelle de l’agglomération voir de l’aire urbaine présente le risque de masquer un phénomène de structuration de réelles polarités économiques complètes qui peut s’observer depuis le milieu des années 90 sur les métropoles. Que veut-on dire par polarités économiques complètes ? La présence de polarités économiques en périphérie des grandes villes n’est pas une chose nouvelle, pensons aux grandes zones industrielles aménagées dans les années 60/70 mais aussi à la création des grandes zones commerciales à proximité des rocades et autoroutes. Par polarité économique complète, nous renvoyons à l’émergence de réels bassins économiques qui ont leur propre complétude en termes de marché du travail (un équilibre relatif offre/demande d’emplois se dessine sur leur territoire), de diversité suffisante dans l’offre de services aux entreprises voir dans l’offre d’enseignement supérieur et de recherche. Certes ces bassins économiques «secondaires» ne fonctionnent pas en autarcie, mais ils ont autant de relations avec le centre de l’agglomération qu’avec d’autres polarités économiques complètes situées dans le reste de l’agglomération. Ils ne sont plus des polarités économiques spécialisées dépendant du centre d’agglomération. Les cartes de localisation des pôles de compétitivité et des pôles de recherche d’enseignement supérieur en région Ile-de-France illustrent ce concept de polarités économiques complètes périphériques. L’émergence de ces bassins économiques au sein des aires métropolitaines a de nombreuses répercussions pour les collectivités. Elle rend par exemple nécessaire une modification du système de transport – historiquement construit sur un modèle centre / périphérie – pour assurer la desserte interne de chaque bassin, pour assurer la connexion entre bassins économiques et pour assurer une connexion entre ces bassins et les gares TGV ou les aéroports. De nouveau les réflexions du Grand Paris sur les futures infrastructures de transport illustrent cette évolution dans la conception des schémas de desserte du fait de ce polycentrisme économique des grandes aires métropolitaines.
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