Les différentes formes d’implication des citoyens dans l’action publique urbaine - Interview de Gwennaelle d’Aboville, Agence Ville Ouverte
Séquence 4.4 du cours en ligne Démocratie Participative
Camille Gardesse, Pauline Gaullier, 2016
Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT)
Nous sommes à présent avec Gwenaëlle D’ABOVILLE de l’agence Ville Ouverte, à qui nous allons poser quelques questions sur sa pratique de la démocratie participative en tant qu’urbaniste.
Tout d’abord, du point de vue de ta pratique d’urbaniste, quel est l’intérêt d’organiser une démarche participative, et même plus largement, quel sens y trouves-tu et y trouvez-vous au sein de l’agence Ville Ouverte ?
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
C’est une question qui est importante pour nous, puisqu’à l’agence Ville Ouverte, on est tous urbanistes. C’est un critère important pour nous pour caractériser notre action. Et à ce titre-là, on pratique vraiment la concertation pour améliorer le projet urbain parce qu’on en attend un résultat du point de vue du dessin finalement adopté ou du programme finalement retenu dans le cadre d’un projet d’urbanisme. On est donc très clairement convaincu que des démarches de concertation servent la qualité urbaine du projet. C’est la question de l’intérêt vraiment de manière très pragmatique.
Dans les séquences précédentes, on a passé en revue pas mal d’outils qui peuvent être mis en œuvre pour concrètement faire de la participation. Alors selon ton expérience, est-ce qu’il y aurait des dispositifs pratiques, certains outils qui seraient particulièrement pertinents plus que d’autres ? Quel est ton point de vue par rapport à cela ?
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
Il n’y a pas d’outil, je pense, qui soit plus pertinent. Il n’y en a pas qui soit inadapté. Je pense qu’ils sont tous importants et qu’on ne peut pas a priori ou in abstracto dire que celui-ci convient mieux que celui-là. Nous arrivons à des temps de concertation avec des outils différents, et on est toujours surpris par celui qui va susciter le dialogue. Ce n’est pas forcément celui sur lequel on aurait parié même dans des contextes parfois similaires. Cela fait mieux réagir ou pas du tout, alors qu’on a eu des temps très instructifs grâce à tels ou tels types d’outil. Je pense que c’est vraiment du sur-mesure et qu’on est dans une matière humaine très subjective, toujours changeante. On ne peut donc pas anticiper là-dessus.
J’aurai deux précautions quand même peut-être à transmettre. La première, c’est qu’il faut absolument sortir des salles de réunions et des formats très formels que sont même parfois nos ateliers de concertation. Il faut qu’on sorte. Il faut qu’on aille sur le terrain. On demande aux habitants de venir, et on leur demande de se conformer à des espèces de figure de style qui nous correspondent bien parce que c’est notre univers professionnel, mais qui sont très très éloignées de leur code à eux. Il faut beaucoup de travail pour comprendre ce que c’est qu’un comité de pilotage, une réunion publique, l’atelier de concertation puis la commission thématique. Enfin, on est dans quelque chose d’assez compliqué. Et de temps en temps juste sortir, aller à la rencontre, se poser dans un hall d’immeuble. Cela nous est arrivé d’aller chez des voisins et de leur demander d’inviter la cage d’escalier, et de faire cela dans un salon. Il faut essayer d’arriver sur des choses qui sont peut-être plus spontanées et un peu moins cadrées à mon avis. Il faut qu’on se l’autorise collectivement. Moi-même, je n’ai pas toujours le courage de l’expliquer à un maître d’ouvrage parce que finalement, c’est peut-être ma deuxième précaution, je pense qu’on se rassure beaucoup nous avec les outils, et que souvent les efforts de conception d’outils qu’on a servent d’abord à nous rassurer sur la participation des gens, et à rassurer la maîtrise d’ouvrage et la collectivité sur le fait que cela ne va pas partir complètement en cacahuètes.
Ces outils relèvent souvent plutôt d’effort de contrôle que d’une logique de libération de la parole. Il faut donc faire attention à ne pas trop sur-investir ces outils pour trop cloisonner les débats, ou mener les habitants exactement là où on les attend parce qu’on a très peur de ce qui pourrait se dire en dehors de ce champs-là.
Une des difficultés dont on a parlé avec Camille lors des précédentes séquences, c’est celle de l’inclusion et particulièrement de la mobilisation de certaines populations qui peut-être se mobilisent moins spontanément. Quel conseil justement pourrais-tu donner pour essayer de développer cette sollicitation de publics qui sont directement concernés par les politiques et les projets urbains, mais qu’on ne retrouve pas pour autant forcément autour de la table de la participation ?
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
Alors la première chose, il faudrait déjà arrêter d’attendre qu’ils franchissent la porte de nos salles de réunion. Ce serait déjà la première chose, et donc d’aller tout simplement à la rencontre de ces personnes-là. Cela implique de se mobiliser sur les bons créneaux et aussi de ne pas attendre de ces rencontres-là qu’on ait une photo avec une tribune, cinquante personnes rangées en rang d’oignons et que cette photo puisse figurer ensuite dans un journal municipal. Quand on va de manière plus informelle à la sortie d’un foyer ADOMA, cela ne donne pas le même genre d’image. Cela interroge tout de suite ce qu’on attend de la concertation aussi comme la manière de se donner la latitude, de varier les formes.
Donc, je dirai d’abord la rencontre. Ensuite, on a un rapport à l’écrit et aux vocabulaires techniques qui est vraiment pathologique en France. On ne sait plus parler de la ville simplement alors qu’on est en train de parler de la vie des gens, dire quelque chose comme aller faire ses courses ou aller travailler, c’est indigne, on a alors plein de périphrases très très compliquées. Et c’est frappant dans le champ du logement. Par exemple, quand on intervient sur des quartiers avec du logement insalubre ou du logement indigne, on a aussi tout un vocabulaire médical pour parler de choses qui sont très concrètes et que les gens vivent. Cela nous demande encore une fois d’être beaucoup plus simple et beaucoup plus dans un relationnel, de miser dans un relationnel beaucoup plus que sur une technique ou des outils.
La dernière chose que je dirai c’est que, quand les personnes ne viennent pas alors qu’on s’est donné les moyens, je pense à des démarches où on a traduit dans beaucoup de langues des documents écrits, où on a pris contact avec des associations, on a adapté des créneaux et des formes de réunion, on a peu de participation, c’est quand même aussi parce que les projets urbains ne se posent très souvent pas les questions que ces personnes-là se posent. Et donc, l’objet même de la concertation ne correspond pas aux inquiétudes ou aux attentes de ces personnes-là qui sont dans des logiques extrêmement différentes. Apprendre d’abord à les connaître et à comprendre quels sont leurs besoins immédiats ou leur projet à long terme et ce dont ils ont besoin pour pouvoir réaliser ces projets et comprendre quelle serait leur place dans un collectif que serait la ville avec ces projets-là, cela demande peut-être un plus long temps d’approche de notre part que simplement mettre un panneau sur une salle et dire que l’on va parler ce soir de requalification des espaces publics.
Qu’est-ce que cela signifie pour toi de former des personnes à la participation des habitants en urbanisme ? Qu’est-ce qu’il faut essayer de leur transmettre ? Qu’est-ce qui est essentiel dans cette formation ?
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
Je verrai trois choses. La première ce serait d’abord ouvrir les yeux et voir que les habitants existent, ce qui n’est pas évident pour beaucoup d’urbanistes, pour beaucoup d’étudiants aussi qui sont quand même aussi souvent des étudiants de professionnels qui sont dans une forme de légitimation par la technique. Il faut se mettre un peu à échelle d’homme et essayer de regarder concrètement ce qui se passe et essayer de comprendre les motivations et le comportement des habitants et des usages.
D’abord, c’est passionnant et c’est indispensable pour comprendre que les habitants ont réellement leurs mots à dire. Si on n’a pas passé beaucoup de temps à discuter avec un chauffeur de taxi, avec un type qui a ouvert un kebab et qui en fait gagne sa vie comme cela, avec une mère de famille qui travaille 4 heures par jour, mais de 5 à 9, on est quand même dans le risque de se tromper quand on travaille sur un quartier. Donc, pour moi, cette capacité à observer et à observer avec beaucoup de sérieux autant qu’on relève la topographie d’un lieu, qu’on fait un diagnostic technique d’un patrimoine bâti, cela me paraît très important et cela fonde en fait la légitimité à prendre en compte la vie et ensuite les avis des habitants. C’est la première chose.
Ensuite la deuxième chose, c’est apprendre à écouter quand ils parlent parce qu’il y a quand même des moments où on les rassemble. Lors de ces moments où on les rassemble si l’on devait faire le décompte des minutes d’une réunion de concertation ou d’un atelier de concertation, quel qu’il soit, on est quand même souvent avec très peu de minutes consacrées à la parole des habitants et très peu de minutes et très peu d’heures consacrées à essayer de la comprendre. Ce que dit un habitant sur son quartier ou ce qu’il dit sur sa manière de percevoir un projet d’évolution qui va toucher son environnement, cela nécessite en effet d’être approfondi, d’être interprété parfois aussi parce que le vocabulaire n’est pas le même, parce que quand un habitant dit densité, il faut s’interroger sur ce que cela veut dire. Quand il va parler de sensation d’être mis à l’écart ou d’être loin de tout, est-ce que cela veut dire que les transports en commun ne sont pas performants ? Probablement pas ? Il y a un temps de formation à l’écoute qui me paraît indispensable parce qu’on restitue très vite sans beaucoup de soin et sans beaucoup d’effort pour vraiment comprendre ce qui est sous-jacent et ce que cela nous dit vraiment.
Une chose très simple serait d’arrêter d’avoir peur de l’implication citoyenne, d’arrêter d’avoir peur d’expliquer comment fonctionne un projet urbain, c’est-à-dire dans un dialogue pas toujours fluide entre acteurs avec des contraintes qui sont quand même bien souvent des contraintes nobles et que les habitants peuvent comprendre. Je pense aux contraintes économiques. Je pense aussi à ce qui fait qu’un axe a une commercialité ou pas de commercialité. On ne peut pas mettre des boulangeries et des commerces partout et pour peu qu’on prenne le temps d’expliquer à des habitants, ils sont capables d’entrer dans des mécanismes de projet et donc cesser d’avoir peur. Il faut leur donner des moyens de comprendre et cesser d’avoir peur de leur donner des espaces pour qu’ils s’expriment. En plus de 10 ans de pratique, je n’ai encore jamais rencontré un groupe d’habitants qui pose des attentes déraisonnables. Donc, je pense qu’on peut se détendre et à la fois être transparent et humble par rapport au processus de projet, et puis ouvrir des lieux et des espaces et des temps pour qu’on puisse vraiment mettre au débat des projets urbains.
Mais justement Gwenaëlle, quand on est fonctionnaire dans une collectivité territoriale, comment peut-on se former à la participation ?
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
Je pense qu’il peut d’abord y avoir des temps de formation. Il en existe qui sont proposés. L’avantage de ces temps-là, c’est qu’ils permettent de prendre du recul par rapport à une pratique qui est très exigeante pour les fonctionnaires de collectivité, parce qu’on leur demande de gérer cela en plus d’une charge de travail qui est déjà conséquente. La concertation, c’est souvent pesant et stressant parce cela interroge en particulier les rapports de l’élu à sa population. Il y a donc une pression qui est importante et beaucoup d’attentes politiques par rapport à ces moments-là. Je trouve que c’est important que les équipes puissent avoir des temps un peu à part en dehors du rush d’un projet pour pouvoir se poser des questions de ce qu’ils attendent de ces moments-là et des marges qu’ils sont prêts à ouvrir.
Je pense que cette question des règles du jeu et des marges de manœuvre est indispensable à poser d’entrée de jeu dans une démarche pour que le fonctionnaire puisse être à l’aise et savoir où il va, quelle partie de son projet est stabilisée, laquelle peut faire l’objet d’un approfondissement ou d’une réorientation avec les habitants. C’est souvent parce qu’il y a une confusion entre les attentes ou des hésitations ou des incompréhensions par rapport à ce qui est un invariant et à ce qui n’en est pas, qu’il y a des tensions ou des difficultés dans des démarches. Ce sont des temps de réflexion sur ce qu’on attend de cette concertation, ce qu’on fige dans le projet parce que c’est acté, parce que c’est une réalité et qu’il n’y a plus de marge, donc ne faisons pas comme s’il y en avait. Tout cela, ce sont vraiment des choses qui permettent de remettre des mots sur ces démarches-là, de remettre des objectifs et puis de pacifier un peu la mise en œuvre.
Ce sont des choses aussi où les élus ont leur part. Il se joue donc là quelque chose de ce côté-là également.
Réponse de Gwenaëlle D’ABOVILLE :
Oui. La façon dont les fonctionnaires interpellent les élus notamment pour leur demander de clarifier leurs attentes vis-à-vis de la concertation parce qu’il y a différents niveaux de concertation. Aucun n’est honteux ou insuffisant. Ils sont importants. Et donc, il faut pouvoir rassurer aussi des élus par rapport au fait que c’est peut-être une étape d’information ou de consultation. Ce n’est peut-être pas de la participation au sens plein du terme. Il faut que les fonctionnaires puissent être suffisamment outillés et clairs dans leur manière d’analyser le projet et sa mise au débat pour qu’ils puissent aller chercher les élus sur des arbitrages comme cela et des consignes claires.