L’enjeu de la démocratie participative dans la gouvernance des territoires - Entretien avec Pierre Calame, Président de Citego
Séquence 1.3 du cours en ligne Démocratie Participative
Olivier Petitjean, Pierre Calame, 2016
Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT)
Nous avons abordé au cours des séquences précédentes l’histoire de la démocratie participative. Nous avons évoqué toute la diversité de ses formes en France et dans le monde, et quels étaient les grands enjeux communs qu’on retrouvait dans ces différentes expériences. Maintenant, comment la démocratie participative et ses outils s’intègrent-ils ou doivent-ils s’intégrer dans la gouvernance des territoires ? C’est la question que nous allons aborder avec Pierre Calame, Président de CITEGO, qui a consacré une conférence entière à cette question de la gouvernance des territoires.
Dans votre conférence pour le CNFPT, vous soulignez combien les territoires et la gouvernance des territoires sont en train de devenir une échelle cruciale pour faire face aux grands défis de nos sociétés, aux grands défis du 21ème siècle qui sont comme vous le soulignez par nature glocaux, c’est-à-dire associer à la fois le niveau global et le niveau local. Comment la démocratie participative peut-elle selon vous aider à affronter ces défis ?
Réponse de Pierre CALAME :
Prise dans un sens très restreint, où malheureusement on la cantonne souvent, à pas grand-chose. Prise dans un sens plus large, cela devient un élément fondamental de ce que j’appelle « la révolution de la gouvernance ». Je rappelle simplement les grandes lignes de mes réflexions. La gouvernance, et a fortiori la gouvernance territoriale, ce n’est pas un mot à la mode pour le plaisir de remplacer administration, gestion locale, politique, par un mot qui nous vient de l’anglais. C’est la volonté de prendre de l’altitude, de dire : « Nous sommes héritiers de systèmes, de modes de fonctionnement, de pratiques qui se sont sédimentés sur deux ou trois siècles ». Je rappelle qu’encore jusqu’à la décentralisation, le fonctionnement des relations entre Préfets et Maires datait du consulat, datait de 1800.
On ne va pas s’amuser à changer les choses tous les jours, mais on trimbale des modes de faire, des conceptions qui sont hérités des siècles passés. Et à force d’y être habitué, on finit par les prendre pour des évidences, comme de dire : « Le partage de compétences entre les différents niveaux de territoire, c’est une évidence. » Mais pas du tout. Ce n’est pas du tout une évidence, puisqu’il n’y a aucun problème qui peut se régler à un seul niveau. C’est au contraire un héritage d’une pensée passée qui se transpose sur le 21ème siècle et qui arrive en permanence à fabriquer des contradictions. Tout notre appareillage institutionnel… L’idée de démocratie représentative, ça date d’un système technique très particulier où l’on se déplace à cheval et où une petite minorité de la population est alphabétisée. Est-ce que c’est le modèle indépassable de la démocratie dans un contexte où à la fois les problèmes sont mondialisés, sont glocaux, où chaque problème local fait écho à des transformations à l’échelle mondiale, que ce soit au niveau de l’exclusion sociale ou que ce soit au niveau de l’environnement ? On ne peut pas rester enfermé dans l’idée que la démocratie représentative est le seul moyen de construire de la démocratie, et donc de donner un sens substantiel à l’idée que les citoyens sont suffisamment adultes, suffisamment mûrs pour être en capacité de comprendre le monde et de peser sur leur propre destinée, ce qui est l’enjeu de la démocratie. Donc, revisiter la démocratie participative en disant : « Attention, ce n’est pas seulement de la consultation. C’est des documents d’urbanisme » ou « Ce n’est pas seulement comme dans beaucoup pays du sud de demander aux habitants de participer à la gestion des services publics tout simplement parce qu’il n’y a pas d’argent pour le gérer autrement ». Non. C’est une manière de dire : « Dans le cadre de la gouvernance territoriale, repensons au 21ème siècle l’enjeu de la démocratie ».
Effectivement, la démocratie locale à ce sens-là joue un rôle très important. Mais au sens où Jean-Paul Delevoye, qui avait animé un groupe de travail du défunt commissariat au plan sur le rôle nouveau des territoires, disait : « A un moment où pratiquement tous les corps intermédiaires, églises, syndicats, partis, qui étaient quelque part les médiateurs entre les individuels mondes sont en train de se casser la figure, l’une des médiations fortes possible et émergentes, c’est précisément la médiation territoriale comme porte d’accès, clé d’accès du citoyen pris isolément à un niveau collectif où l’on puisse espérer avoir un minimum de prise sur sa destinée. »
Pour moi, revisiter la démocratie participative s’inscrit donc totalement dans la perspective de repenser la gouvernance territoriale en fonction du rôle des territoires du 21ème siècle, en fonction de la nature des défis auxquels la société se heurte ou rencontre, qui ne sont bien entendu pas que des défis locaux, très loin de là, et du coup de redonner un sens concret à ce « bobo » de démocratie.
D’accord. Vous soulignez justement les limites de la démocratie participative souvent telles qu’elles existent actuellement. Justement, comment lui faire réaliser son plein potentiel par rapport à ces défis ?
Réponse de Pierre CALAME :
Un mouvement civique m’avait demandé aux dernières élections municipales de les aider à réfléchir à la démocratie et à la crise de la démocratie. Ils avaient réussi à mettre autour de la table – c’était bien une ville de Normandie, peu importe – les différents candidats représentant les différents partis dans l’idée de montrer que l’on pouvait avoir un dialogue civil et pas limiter les rapports de concurrence à des invectives ou des simplifications, etc.
Bien entendu, chaque candidat y est allé sous sa profession de foi pour la démocratie participative. C’était charmant, sympathique, etc. On me demande de tirer les conclusions et d’écouter les avis. Il y a toujours cette différence entre démocratie représentative, démocratie occupationnelle et démocratie substantielle. C’est formidable. Vous êtes tous décidés à associer l’ensemble de la population aux choix des arbres sur le prochain espace public. Félicitations. Sauf que si la démocratie se réduit à ça, elle est morte.
La vraie question est : dans un système mondialisé, peut-il exister encore une démocratie ? Est-ce que l’on peut espérer que les gens soient en prise sur leur destinée ? Cela implique de comprendre le monde, d’imaginer des chemins pour agir sur le monde, aux bonnes échelles. Si l’on ne considère pas que cet espace territorial, cette société locale qui est traversée de partout par la mondialisation dans ses consommations, dans ses attractivités économiques, dans ses exclusions sociales, dans ses impacts climatiques, etc., ne peut pas servir à aider les citoyens à mieux comprendre le monde, réfléchir ensemble, réfléchir y compris à des questions comme les modes de vie, les préférences collectives, réfléchir aux filières de production et de consommation dans lesquelles ils sont pris, réfléchir à la manière dont à l’échelle d’un réseau de ville, on peut se mettre à peser à l’échelle nationale ou internationale, je leur dis alors : « Ce n’est pas de la démocratie participative que vous faites, mais de la démocratie occupationnelle ». C’est-à-dire que l’on va mobiliser les gens sur des enjeux extrêmement respectables de vie quotidienne. Je ne dis pas que la vie quotidienne n’est pas intéressante, mais quand je vois quand même quelquefois les espèces de réflexes pavloviens en disant : « La démocratie participative, oui, c’est le budget participatif ». Super, très bien. C’est très sympathique d’avoir un budget au niveau du quartier. Mais le problème des gens, c’est l’avenir de leurs enfants. C’est la transformation climatique. C’est tout ce que l’on voudra, et c’est aussi bien sûr de choisir d’eux-mêmes de dire : « Oui, on met toute notre énergie sur l’association de parents d’élèves ». Bravo. Je suis père et grand-père. Je crois effectivement que la question de l’école est fondamentale. Est-ce que pour autant on a sauvé la démocratie ? Non, non et non. Il faut réinventer des conditions dans lesquelles au sein des collectivités territoriales, on construit une vision de l’avenir, on prolonge les jumelages forts sympathiques et qui ont été une formidable invention de l’après-guerre pour réconcilier les peuples, en disant : « Aujourd’hui, ces jumelages devraient servir à construire le dialogue avec les Chinois, avec les Indiens, avec les Africains parce que de toute façon, nos avenirs sont liés ». Ça, c’est de la démocratie participative au sens de reconstruire la démocratie substantielle non pas en s’imaginant que l’on peut tout à partir du niveau local, mais dans la déclaration universelle des responsabilités humaines à laquelle je suis très rattaché, on dit : « On est responsable à proportion de son pouvoir à condition d’avoir eu la volonté de construire son pouvoir, en s’unissant aux autres ».
Sinon, qu’est-ce qu’on dit ? On dit : « Oui, malheureusement il y a le pouvoir et la puissance d’argent ». C’était la grande puissance de l’argent. Tout le monde est mené par la finance internationale formellement. Cela veut dire il n’y a plus de démocratie. Très bien. On peut s’amuser à aller aux fêtes de parents d’élèves. C’est très bien, et c’est très sympathique. Cela crée du lien social. Je ne méprise pas du tout cela, mais ne disons pas que c’est le renouveau de la démocratie.
Et concrètement, vous faites signe vers une réforme de la gouvernance. Où sont les dispositifs participatifs ? A quels endroits voyez-vous cette gouvernance renouvelée ?
Réponse de Pierre CALAME :
Cela passe déjà par un changement de vision de la place du politique. J’ai eu le plaisir en 2013 d’être rapporteur général d’une conférence internationale qui s’appelle Ecocity, 100 ateliers de réflexion sur la question de la transition, très riche, très riche. Qu’est-ce qui ressortait à l’évidence ? C’est quelque chose de très différent des discours habituels. C’est-à-dire au fond que quelquefois, ce sont les citoyens qui ont l’initiative. Quelquefois, de sont des groupes d’universitaires. Quelquefois, ce sont des entreprises. Quelquefois, ce sont les collectivités territoriales. Nous ne demandons pas si, parce qu’ils représentent le peuple, c’est aux élus locaux de prendre l’initiative. Dans certains cas, ils suivent les citoyens. Dans d’autres cas, ils les précèdent. Cela veut dire qu’au lieu de dire : « il y a un monopole du bien public qui est la puissance publique », telle qu’on l’a construite en France dans une vision étatiste au 19ème siècle, qui conduisait aussi à dire : « Il faut qu’il y ait la tutelle des Préfets sur les Maires parce que ces gens-là, si on ne les surveille pas, ils ne vont penser qu’à leur clientélisme local ». Comme si au niveau de l’état, on ne pensait pas au clientélisme politique ».
Nous sortons donc petit à petit de cette espèce de vision très étriquée du bien public. Le bien public, c’est une coproduction, et donc construire les partenariats entre entreprises, ONG, organisations parapubliques, collectivités territoriales, etc., c’est de la démocratie participative. C’est de la recherche de la coproduction du bien public, d’abord par sa définition même. Ce n’est pas parce qu’un Maire est élu qu’il a le monopole de la définition du bien public. Il faut se sortir de cette idée-là, et puis que le reste, c’est des intérêts privés. Nous sommes donc amenés à avoir une vision beaucoup plus large de qui prend l’initiative. Ma foi, ceux qui veulent la prendre. Le pouvoir est un construit social. Ce n’est pas quelque chose qui est distribué par les urnes. C’est un construit social. C’est ça la démocratie, à savoir construire des pouvoirs ensemble. C’est sa définition fondamentale. C’est en ce sens que la question de la démocratie participative est fantastique. Elle est au cœur de tout. Si on dit : « La démocratie participative, c’est d’un côté la consultation sur les documents d’urbanisme, de l’autre le choix des arbres sur la place publique, et en troisième lieu le budget participatif », terminé, gentil, très bien, démocratie occupationnelle.
Donc, la démocratie participative, c’est la possibilité même de refonder la gouvernance et la démocratie ?
Réponse de Pierre CALAME :
Voilà, d’être en prise sur le monde, de construire la communauté comme le moyen pour les individus d’être en prise sur leur destin, d’être en prise sur le monde. A l’époque de la Cité grecque, on pouvait admettre qu’être en prise sur le monde, c’était gérer les affaires de la Cité. Maintenant, être en prise sur le monde, c’est transformer les systèmes de production et de consommation. C’est transformer les dépenses collectives. C’est agir ensemble sur le climat, etc.
Par exemple, l’enjeu de la responsabilité et de la co-responsabilité est fondamental. Il n’y a pas de pouvoir sans responsabilité. Construire comme ça s’impose à l’évidence des stratégies multi-acteurs de transition vers des villes durables, cela oblige de s’expliquer sur les responsabilités à assumer par chacun. Ce n’est pas de dire : « voilà, on le fait tout ensemble. Mais au bout du compte, il y a un seul responsable. C’est le Maire ». Non. On s’explique sur les engagements et les responsabilités de chacun, et cette construction de la responsabilité et de la co-responsabilité est aussi au coeur de la gouvernance.