La démocratie participative à l’échelle régionale : une voie pour sortir de la proximité ?
Expériences des régions Poitou-Charentes, Ile-de-France, Rhône-Alpes et Nord Pas-de-Calais en matière de participation des citoyens
Pierre-Yves Guiheneuf, 2011
Institut de la Concertation et de la participation citoyenne
En 2011, 17 des 21 régions françaises ont mis en place une vice-présidence ou une délégation spécialisée à la démocratie participative. Les expériences de participation, plus ou moins ambitieuses, plus ou moins réussies, se sont multipliées à une échelle où l’on considère traditionnellement qu’il est plus difficile d’associer les citoyens qu’à l’échelon micro-local. Quel bilan peut-on tirer de ces expériences multiples (budgets participatifs, jurys de citoyens, comités de lignes, accompagnement de dispositifs de participation locaux, forums électroniques, assises régionales…) qui ont maintenant, pour certaines, plus d’une dizaine d’années d’existence ? L’Institut de la concertation a organisé, le 9 mai 2011, un séminaire qui a réuni une trentaine de participants autour des présentations de quatre chercheurs ayant travaillé sur cette question (Guillaume Gourgues, Alice Mazeaud, Julien Talpin et Yves Sintomer) et de quatre élus et agents territoriaux impliqués dans ces expériences (Marion Ben Hammo, Myriam Cau, Bastien François et Marianne Le Roux). Les cas autours desquels les discussions ont porté étaient ceux des régions Ile-de-France, Poitou-Charentes, Nord Pas-de-Calais et Rhône-Alpes. Cette fiche ne prétend pas résumer le séminaire ni les positions des intervenants, mais constitue une analyse personnelle de son auteur.
Les pratiques
Les pratiques participatives sont très diverses. A l’échelle régionale, il s’agit principalement :
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Des budgets participatifs, à l’instar du budget participatif des lycées lancé par la région Poitou-Charentes et qui y a pris une grande ampleur. Ce dispositif est novateur en ce sens qu’il repose sur un véritable partage du pouvoir de décision et que les sommes en jeu et le nombre de participants sont significatifs.
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Des conférences (ou jurys) de citoyens, instances consultatives dont les effets sur la décision publique sont parfois aléatoires (exemples des régions Rhône-Alpes et Ile-de-France), non pas du fait du dispositif en lui-même mais probablement du manque de portage politique.
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De diverses instances consultatives, comme les Comités de ligne TER qui réunissent usagers, administrations et collectivité régionale.
Les causes du développement des pratiques participatives régionales
Le développement de la démocratie participative semble pour certains relever presqu’uniquement d’une offre. En effet, peu de secteurs sociaux revendiquent aujourd’hui massivement une plus grande participation dans les affaires publiques. L’activisme citoyen se traduit d’abord par la création de rapports de force et de revendications, voire de processus de contrôle de l’action publique, et de façon minoritaire seulement par des velléités de co-construction ou de fourniture d’avis. Cette absence de demande sociale massive de participation se traduit par un faible nombre de participants qui contraste avec le développement toujours plus important de techniques de participation. Dans les Régions, échelon territorial en outre mal connu qui a du mal à exister pour les citoyens, un soupçon pèse sur ces dispositifs accusés de relever d’un usage marketing de la participation.
Quels facteurs politiques, institutionnels et sociaux sont-ils alors susceptibles d’expliquer le recours à la participation dans le cadre des politiques régionales ? Les chercheurs ne pensent pas qu’il s’agit là d’une évolution « naturelle » de l’exercice du pouvoir, une apologie du partenariat qui succèderait à une conception autoritaire du pouvoir ne convenant plus au contexte actuel. Les dispositifs participatifs sont à la fois le résultat de l’engagement militant, idéologique, de personnes insérées dans ces institutions, et de calculs stratégiques visant principalement à redonner une certaine légitimité aux processus décisionnels ou aux personnes qui les portent. Dans certaines régions par exemple, la participation citoyenne a été vue comme un « marqueur politique » capable d’améliorer l’image de ses promoteurs. C’est le cas en Poitou-Charentes, où des initiatives ont été prises sous l’impulsion de la Présidente du Conseil régional, Ségolène Royal. Mais dans la même région, la participation a également été portée par des élus et des agents territoriaux intimement convaincus du bien-fondé de ces pratiques et animés par une conception très démocratique de l’action publique. L’engagement de ces personnes explique d’ailleurs en partie leur force de conviction face à des collègues parfois réticents face à ces évolutions. Dans d’autres régions, la participation a servi à souder des alliances entre partis minoritaires, comme les Verts et le Parti Communiste.
Les faiblesses
Les fragilités de ces expériences sont liées aux facteurs précédemment mis en évidence :
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L’artificialité de la mise en place des dispositifs participatifs peut naître du constat de la faible mobilisation de participants. L’échelle régionale n’est traditionnellement pas une échelle de forte mobilisation des citoyens, les attributions de la Région sont souvent mal connues, les élus pas toujours bien identifiés…
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La fragilité des coalitions politiques ou des politiques d’image dès lors que celles-ci ne produisent pas un retour jugé suffisant, peuvent provoquer un revirement de leurs promoteurs et obérer la pérennité des expériences.
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L’épuisement des militants ou leurs difficultés à entraîner les institutions craignant une prise de risque (remise en cause de leur statut ou de leur pouvoir) se produit surtout dans les situations où il n’y a pas (ou pas suffisamment) de volonté politique du haut de la hiérarchie régionale. Dans ce cas, le manque de soutien peut se révéler déterminant en évitant l’institutionnalisation des expériences, qui restent confinées dans un rôle marginal.
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La taille de certaines régions constitue une limite au développement de certaines expériences. La région Rhône-Alpes par exemple, aussi grande que la Suisse et aussi peuplée que le Danemark, pose des problèmes d’échelle qui peuvent expliquer en partie la difficile mise en place de budgets participatifs dans les 552 lycées et centres d’apprentis rhônalpins, qui aurait nécessité des capacités d’animation très importantes.
La participation à l’échelle régionale n’est donc pas facile. Cependant, il faut noter que ce n’est pas du fait du manque d’outils adaptés. Des dispositifs décentralisés, comme les budgets participatifs, ou des outils basés sur des groupes de citoyens réduits à l’échelle régionale (comme les Conférences de citoyens ou les Forums ouverts) fonctionnent parfaitement. Ce qui semble plus incertain est leur impact sur la décision politique, qui ne tient pas aux outils eux-mêmes mais à l’usage qui en est fait. Or, l’effectivité de l’impact de la participation sur la décision politique est une condition de sa crédibilité.
Les forces
Malgré ces difficultés, la participation a vu dans certaines régions augmenter le nombre de ses partisans. Des facteurs de succès sont à mettre en avant, qui ne sont pas spécifiques à l’échelle régionale :
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La capacité de l’institution régionale à tirer des enseignements de sa pratique, à communiquer sur ses réussites et à apprendre de ses échecs, c’est-à-dire à capitaliser et faire connaître son expérience. A ce niveau, l’observation des effets de la participation est importante. Il ne faut pas la limiter à l’observation des effets sur la décision publique mais également aux effets sur le délitement du lien social, le manque d’engagement des citoyens, le sentiment que rien ne peut changer, le discrédit des politiques, etc.
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La montée en capacité des spécialistes de la participation, notamment des agents territoriaux, grâce à l’apport méthodologique acquis au travers de formations, connaissance d’autres expériences, aide de consultants ou de chercheurs.
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La capacité de l’institution régionale à s’adapter et notamment à faire évoluer les processus décisionnels pour prendre en compte le temps nécessaire à la participation, les exigences du calendrier, les craintes des techniciens qui redoutent de se voir dépossédés de leur statut d’expert, etc.
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Les appuis reçus de l’extérieur (par exemple de pairs d’autres régions ou d’autres pays), qui légitiment les efforts consacrés à la participation.
Les pratiques et les pensées sur la participation sont en évolution rapide et, dans les services des collectivités par exemple, la pensée des agents territoriaux a sensiblement changé au cours des dernières années, les préjugés ou les idéaux initiaux faisant place à des analyses coûts-bénéfices beaucoup plus pragmatiques et l’appréhension du risque étant plus rationnelle. L’idée que les élus doivent justifier de l’usage qu’ils font des avis consultatifs donnés par des citoyens est de plus en plus communément admise. La délégation de pouvoir au travers d’expériences comme les budgets participatifs se heurte encore à des résistances mais ne parait plus aussi inconcevable qu’auparavant. L’avenir dira si les trajectoires actuelles vont se poursuivre.
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