Périurbanisation et logiques locales
Eric Charmes, octubre 2015
Ce texte est un extrait revu de La Ville émiettée (Charmes, 2011)
Pour comprendre la spécificité française en matière d’émiettement, il faut se pencher sur les logiques communales. Si les manifestations de la périurbanisation sont extrêmement diverses, il est malgré tout possible de repérer quelques régularités. Le modèle que nous proposons ci-après est fortement inspiré de celui de Thierry Vilmin (2006). Il concerne surtout les communes villageoises ou anciennement villageoises, même si des éléments sont valables pour les bourgs.
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La périurbanisation s’amorce avec l’extension de l’aire d’influence d’une ville voisine et avec la montée de la demande de logements. Cette demande est généralement bien accueillie par les populations rurales et leurs édiles. L’accueil de populations nouvelles est tout d’abord perçu comme un moyen de revivifier la commune, notamment en repeuplant l’école. L’urbanisation représente aussi une manne importante pour les propriétaires fonciers. Ces derniers sont souvent influents dans les conseils municipaux et exercent d’intenses pressions pour obtenir le classement d’une partie de leurs terres agricoles en zones urbanisables (Daligaux, 2001 ; Langumier, 2007). Les enjeux financiers sont considérables. Dans la couronne périurbaine de Paris par exemple, la valeur des terrains agricoles oscille généralement entre 0,5 et 1, 5 euro par mètre carré. Les premiers prix pour les terrains constructibles se situent aux environs de 100 euros par mètre carré. A l’hectare, l’enjeu financier est de l’ordre d’un million d’euros… Autour des autres métropoles françaises, le facteur multiplicatif est plus couramment de l’ordre de 50, mais les enjeux restent considérables. Les intérêts privés associés à l’urbanisation sont d’autant plus puissants qu’en France, contrairement à des pays tels que les Pays-Bas, la plus-value issue de l’urbanisation n’est récupérée qu’en faible part par la collectivité. Les propriétaires privés sont les principaux bénéficiaires de l’ouverture à l’urbanisation.
La croissance qui résulte de cette ouverture est souvent importante (du moins relativement à la situation préexistante), avec la prolifération de maisons individuelles sur tout le pourtour du noyau villageois et le long des routes. Cette phase de croissance essentiellement quantitative peut être plus ou moins continue, avec des paliers plus ou moins longs. Lorsque l’urbanisation s’effectue surtout en diffus, le long des voies de communication, la croissance peut être relativement régulière. Lorsque l’urbanisation s’effectue via des lotissements ou des opérations d’habitat groupé, la croissance s’effectue par à-coups. Ces à-coups peuvent être brutaux : l’arrivée de quelques dizaines de familles nouvelles dans un village qui en compte une centaine constitue un bouleversement important. La commune peut alors souhaiter prendre le temps de retrouver son équilibre avant de lancer une opération d’urbanisation nouvelle.
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Cette phase de croissance quantitative est brève, s’étalant souvent sur moins d’une génération. Elle résulte en effet d’une coalition d’intérêts ruraux qui, rapidement, laisse la place à des intérêts périurbains. Dans un premier temps, les périurbains oscillent entre un désir de préservation du caractère campagnard de leur commune et la nécessité d’atteindre un seuil démographique assurant la viabilité des équipements qui font encore défaut. Ce seuil, largement déterminé par le souci de rendre viable une école et des équipements parascolaires, est cependant bas (il peut être inférieur à 1 000 habitants).
La viabilité de l’école assurée, la volonté de préservation du cadre de vie devient dominante, au détriment du développement urbain et de la valorisation foncière. Les propriétaires de maisons individuelles nouvellement arrivés ont moins à gagner dans la construction de nouveaux ensembles pavillonnaires : ils ne possèdent pas les terrains agricoles ou les bois potentiellement constructibles et ils préfèrent que ces terrains restent verts. Les élus ruraux peuvent difficilement ignorer ces attentes, car le poids démographique des pavillons excède vite celui des fermes et des maisons anciennes du noyau villageois et des hameaux. Aux premières élections municipales où ils sont majoritaires, les périurbains peuvent soit prendre les rênes de la mairie, soit faire alliance avec des ruraux qui partagent leur volonté de préservation du paysage de la commune. Une fois les règlements d’urbanisme sous contrôle, les périurbains limitent les ouvertures à l’urbanisation. Ils peuvent même décider de les arrêter, voire de déclasser des terrains urbanisables en terrains non urbanisables.
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Des demandes favorables à la croissance peuvent subsister toutefois (voir Les résistances à la clubbisation). D’abord, certains propriétaires fonciers continuent à s’exprimer et à pousser pour l’ouverture de terres nouvelles à l’urbanisation. Leurs voix sont certes moins audibles au sein du conseil municipal, mais leurs demandes peuvent être appuyées par la nécessité de maintenir ouvertes les classes de l’école communale. En effet, avec l’avancée en âge des premiers périurbains, l’école se vide et il faut attirer de nouveaux ménages avec enfants. Par ailleurs les habitants sont sensibles aux difficultés que rencontrent leurs enfants pour se loger, une fois devenus adultes, et ils offrent un écho favorable à l’idée qu’il faut construire pour loger les jeunes. La croissance qui en résulte est toutefois ponctuelle et limitée. En termes démographiques, elle excède rarement un pourcent par an, avec une moyenne nettement inférieure.
Des communes s’engagent parfois dans une croissance plus forte. Cela peut être ponctuellement, en raison d’un projet urbanistique de restructuration du tissu bâti, par exemple pour relier deux ensembles pavillonnaires isolés ou pour requalifier des corps de ferme du noyau villageois. Le développement peut être plus structurel dans les cas où la commune a une fonction de centralité affirmée.
Referencias
CHARMES Eric, 2011, La ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine. Paris, Presses Universitaires de France
DALIGAUX Jacques, 2001, La Périurbanisation en Provence : visages d’hier et d’aujourd’hui, interrogations pour demain. Le cas du Var et des Bouches-du-Rhône, Géocarrefour, vol. 76, n° 4, p. 289-302
LANGUMIER Julien, 2007, Le modèle périurbain à l’épreuve de la catastrophe. Ethnographie d’un village du Narbonnais touché par des inondations catastrophiques, Métropoles, n° 1.
VILMIN Thierry, 2006, Le système local de l’urbanisation en maisons individuelles. Etude de cas en Ile-de-France, Logiville, rapport pour le PUCA, ministère de l’Equipement