Le diagnostic juridique, compte rendu de l’analyse approfondie de la situation du ménage
Adil de Paris : Mission de traitement des commandements de payer - Bilan 2022
2023
Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL)
Signée en décembre 2017, la Charte parisienne de prévention des expulsions locatives porte l’ambition de mobiliser davantage les acteurs institutionnels et associatifs pour rechercher des solutions le plus en amont possible de l’impayé locatif. C’est en cohérence avec ce texte et son objectif que l’ADIL de Paris est mandatée depuis 2019 par la DRIHL, la DASES et la CAF pour la mise en place d’une mission d’accompagnement juridique de locataires du parc privé destinataires d’un commandement de payer, premier acte de procédure d’une expulsion pour impayé locatif. Cette mission a pour objet de contacter et de recevoir ces locataires afin de les informer sur la validité du commandement de payer, l’exigibilité de la dette, les droits et obligations des cocontractants et les aides qui pourraient éventuellement être mobilisées. Un diagnostic juridique est réalisé en parallèle de l’entretien et est remis au locataire et à la DRIHL. Il rend compte d’une série d’informations relatives au ménage et utiles aux professionnels du travail social et de l’accès au droit, mais permet aussi d’affiner la situation des ménages et de trouver les solutions les plus adaptées.
To download : adil75_rapport_2022_de_la_mission_cdp_004.pdf (530 KiB)
L’importance du contact et de l’entretien
L’entretien est l’occasion d’un examen juridique et social global de la situation du locataire. Cet examen s’accompagne de la rédaction d’un diagnostic juridique, qui rend compte de l’entretien (en rappelant, lorsque nécessaire, les textes applicables), compile une série d’informations relatives au ménage et utiles aux professionnels du travail social et de l’accès au droit, et oriente le ménage vers une série de solutions adaptées.
Ce document sert à la fois d’entrée juridique et sociale au ménage, mais aussi de support à ses différentes démarches. Le diagnostic rend compte de l’entièreté de la situation locative du locataire et s’attarde notamment sur :
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la validité du commandement de payer ;
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l’exigibilité des sommes réclamées ;
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la conformité du contrat et du logement aux exigences législatives et réglementaires ;
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le respect par les différentes parties de leurs obligations ;
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les aides éventuellement mobilisables en soutien du ménage.
Il s’achève par une série de préconisations qui orientent le ménage vers les démarches les plus adaptées à sa situation. Grâce à de précieux partenariats avec des acteurs du logement, de l’accès au droit et du travail social, certains ménages peuvent être directement orientés par l’ADIL vers l’acteur à même de les aider à réaliser une partie de leurs démarches.
94% des entretiens mènent à la rédaction d’un diagnostic juridique. Ce dernier n’est pas réalisé lorsque le ménage a réglé la dette ou lorsqu’il a passé le stade de l’assignation. En 2022, 300 diagnostics juridiques ont été rédigés et transmis aux ménages concernés et à la DRIHL.
88% des commandements de payer examinés en rendez-vous en 2022 étaient parfaitement conformes aux dispositions de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989.
Cette conformité est en baisse de 6% sur un an.
La validité d’un commandement de payer reste soumise à l’interprétation souveraine du juge. Aussi, lorsque l’ADIL soulève un point susceptible d’être contesté, elle ne fait qu’alerter le locataire sur un élément qui pourrait être interprété comme contraire à la lettre de l’article 24 et sur lequel le juge ne s’est pas encore prononcé.
Lorsque l’invalidité semble établie (par exemple en cas d’absence totale de décompte de la dette), cela est précisé dans le diagnostic.
Dans 73% des cas, le commentaire lié à la conformité du commandement de payer est lié à l’absence totale de décompte de la dette, malgré un déplacement du locataire à l’étude pour récupérer l’acte et ses annexes qui y sont conservés.
Dans ce cas précis, il semble clair que les commandements de payer signifiés contreviennent à la lettre de l’article 24. Dans 9% des cas, le commentaire est lié à l’absence de dette au moment de la signification du commandement : dans ce cas, un acte est signifié alors qu’un versement réglant la totalité de la dette a été comptablement enregistré.
Dans 15% des cas, le commentaire est lié à un décompte de la dette incomplet, qui mentionne par exemple un « solde antérieur » important et non-justifié, comprenant une partie importante ou la totalité de la dette. Dans ce cas, la majeure partie voire la totalité de la dette n’est pas détaillée et justifiée. Cette situation est sujette à interprétation et aucune solution jurisprudentielle n’a encore été apportée.
Dans un cas, le commentaire est lié au fait que Garantme, caution personne morale, avait déjà soldé la dette au moment de la signification de l’acte, ce qui pose la question de l’intérêt à agir de la bailleresse. Garantme aurait normalement dû se subroger à la bailleresse et faire signifier le commandement de payer, sous réserve que la clause de substitution figure bien dans les conditions générales.
Un montant de sommes contestables en très forte hausse
Lors de l’entretien, le juriste vérifie l’intégralité des sommes réclamées et, lorsqu’il est disponible, examine l’ensemble du compte locataire (indiquant les débits, les crédits et leurs libellés) sur 3 ans. Il réalise un tableau récapitulatif de la dette qui indique, pour chaque mois à compter du début de l’impayé, ce qui est dû et ce qui est payé.
Cela permet de comprendre l’origine de la dette, de mettre en lumière les éventuels efforts du locataire, mais surtout de mettre à jour des sommes qui pourraient être contestées (parce qu’elles ne sont pas dues ou parce qu’elles sont insuffisamment justifiées).
Toutes les sommes, même infimes, pouvant être contestées, sont mentionnées en commentaire, avec mention de la référence légale ou jurisprudentielle.
En 2022, parmi les dettes réclamées aux ménages reçus pour un commandement de payer, un total de 198 865 € pourrait être remis en cause.
Par rapport à l’année 2021, ce montant double presque, avec une hausse de 84%.
Ces 198 865 € représentent 14% du total des dettes examinées en 2022 (soit 1 454 959 €), contre seulement 8% en 2021.
Cette hausse importante s’explique donc moins par une hausse du total des dettes examinées (+7%) que par une augmentation de la part des dettes contestables (+75%).
43% des ménages reçus sont concernés contre 32% en 2021. On retrouve en 2022 un niveau de ménages concernés proche des années 2019 (38%) et 2020 (46%).
Les sommes pouvant être contestées sont également plus importantes par ménage : 1578 € en moyenne (+23%) et 561 € en médiane (+24%). On constate, à la fois, un élargissement du public concerné et une augmentation des sommes pouvant être remises en causes.
La part des sommes contestables de plus de 1000 € est en forte progression sur un an : 38% en 2022 contre 27% en 2021.
La somme contestable la moins élevée est de 1,37 € et elle liée à la facturation de frais de relance, qui est illégale. La somme contestable la plus élevée est de 13 557 € et est liée à une erreur comptable du bailleur.
Dans 25% des cas, les sommes pouvant être contestées sont liées à plusieurs motifs de remise en cause.
Les « frais divers » sont la première cause de contestation de la dette, comme en 2020 et en 2021, et sont en augmentation de 26% sur un an. Il s’agit souvent de frais de relance, de frais de procédure ou de pénalités de retard, avec des libellés très variables. Ces frais sont clairement exclus par l’article 4 de la loi du 6 juillet 1989. Ces frais représentent en réalité des sommes faibles, souvent quelques euros par mois.
Les erreurs de comptabilité progressent fortement et font plus que doubler en un an (+109%). Elles peuvent constituer des montants importants : si un crédit est enregistré en débit, un écart comptable du double de la somme payé va se constituer.
Les contestations liées aux charges locatives baissent, de 26% en 2021 à 20% en 2020. Il s’agit généralement de charges non-récupérables et de régularisations réclamées en l’absence de communication d’un décompte par nature de charges (alors que l’écart lié à la régularisation est exigible un mois seulement après la transmission de ce document).
Les erreurs liées à une révision ou à une augmentation de loyer, prévues aux articles 17-1 et 17-2 de la loi du 6 juillet 1989, sont en diminution de 33% sur un an.
A l’occasion du rendez-vous et lorsqu’il dispose du bail, le juriste vérifie toujours que la révision de loyer a bien été menée depuis l’origine du contrat. Des écarts conséquents peuvent apparaître, particulièrement lorsque l’entrée dans les lieux est ancienne. Le locataire peut dans ce cas réclamer sur 3 ans l’écart entre le loyer réclamé et le loyer dû.
Les sommes non-justifiées sont liées à des libellés fantaisistes (par exemple « divers gérants », « erreur de montant » ou « divers conservés ») ou absents. Dans ce cas, le locataire est toujours invité à demander une justification au bailleur.
Le nombre d’erreurs liées à la prescription de 3 ans est en légère diminution sur un an (-14%). Les « soldes antérieurs » mentionnés dans les décomptes doivent particulièrement alerter et cachent parfois des dettes prescrites très anciennes.
La Cour de cassation rappelle par ailleurs clairement que, lorsque le bailleur impute les paiements les plus récents sur la dette la plus ancienne, ce dernier doit « expliquer concrètement, pour quelles sommes et à compter de quelle date, les règles relatives à l’imputation des paiements feraient obstacle à la prescription des dettes locatives » (Ccass, 3ème Civ, 4 mars 2021, n°20-11.106).
6% des contestations sont liées à la présence d’une clause pénale, pourtant réputées non-écrites depuis la loi ALUR du 24 mars 2014.
En matière d’encadrement du niveau des loyers, la contestation est toujours liée à un dépassement du loyer de référence majoré sans complément de loyer. Beaucoup de baux avec un complément de loyer sont examinés chaque année mais ne peuvent être contestés, le locataire n’ayant que 3 mois à compter de la date de signature du contrat pour contester un complément de loyer. Une majorité de locataires ignorait l’existence de ce dispositif avant d’être reçue à l’ADIL et n’a donc jamais eu l’occasion de contester le complément.
Dans 3% des cas, le paiement de plusieurs commandements de payer, signifiés pour la même dette, était réclamés au locataire. La Cour de cassation juge que cette multiplication de frais d’acte ne peut pas être imputée au locataire.
Une analyse juridique et sociale globale de la situation du ménage :
Lors de l’entretien, le juriste informe le locataire sur l’entièreté de sa situation juridique. Le ménage souhaite souvent être informé sur les conséquences juridiques du commandement de payer, la suite potentielle de la procédure et l’éventualité de saisies.
Cette information sur la procédure est toujours proposée au locataire et permet souvent de démystifier la procédure d’expulsion : de nombreux locataires pensent à tort être dans l’obligation de partir au terme du délai de deux mois.
Cette connaissance du détail de la procédure possible, du début à la fin, permet généralement de rassurer les locataires. Le juriste vérifie toujours le contrat de location, lorsque le locataire le produit. Cela permet parfois de mettre à jour l’absence d’informations ou de pièces obligatoires. C’est parfois le cas de la surface habitable ou du dossier de diagnostics techniques à annexer au contrat.
Cette vérification est d’autant plus nécessaire depuis le 24 août 2022 : dès lors que le contrat de location a été conclu, renouvelé ou reconduit depuis cette date, toute augmentation de loyer des logements du parc privé classés F et G au titre du DPE est interdite.
Pour les baux conclus, renouvelés ou reconduits à compter du 1er janvier 2023, les logements de classe G dont la consommation d’énergie finale dépasse 449 kWh/m² ne pourront plus être mis en location car considérés comme non-décents.
Lorsque le contrat désigne le logement comme étant meublé mais que ce dernier ne l’est pas, et qu’aucune pièce signée des parties ne confirme ce statut (comme l’inventaire du mobilier, obligatoire, ou l’état des lieux d’entrée), le locataire est informé sur la possibilité de demander au juge la requalification du contrat en bail de location d’un logement vide. Pour rappel, le contrat est plus protecteur du locataire lorsqu’il concerne un logement vide loué à titre de résidence principale : le contrat est d’une durée de 3 ans contre une année en meublé et les conditions du congé du bailleur sont différentes (préavis de 3 mois avant l’échéance en meublé et de 6 mois avant l’échéance en vide).
Le juriste interroge également le locataire sur l’état du logement. C’est l’occasion de rappeler les réparations qui sont à la charge du bailleur et celles qui sont à la charge du locataire. Ce questionnement débouche parfois sur une information sur les problématiques de dégâts des eaux et d’assurance. Il est fréquent que certains locataires ignorent qu’un dégât des eaux doit être déclaré à l’assurance. Le juriste interroge également le locataire sur l’état du logement. C’est l’occasion de rappeler les réparations qui sont à la charge du bailleur et celles qui sont à la charge du locataire. Ce questionnement débouche parfois sur une information sur les problématiques de dégâts des eaux et d’assurance. Certains locataires ignorent qu’un dégât des eaux doit être signalé à l’assurance.
45% des locataires reçus ont des remarques relatives au mauvais état de leur logement. Ces observations sont toujours mentionnées dans le diagnostic juridique. Elles sont souvent relatives à l’humidité de tout ou partie du logement ou à sa mauvaise isolation.
Beaucoup de ces logements, d’après les descriptions qui en sont faites par les locataires, ne respectent pas les conditions du logement décent.
La part de logement signalé comme étant en mauvais état par les locataires est en baisse de 7 points sur un an. Le service technique de l’habitat (STH) de la Ville de Paris est déjà passé dans 5% des logements des ménages reçus. Une majorité de locataires vivant dans un logement qu’ils décrivent comme étant humide n’avait pas connaissance de cette démarche avant de rencontrer l’ADIL. 21% d’entre eux ont d’ailleurs été orientés vers cette démarche.
En outre, une analyse sociale sommaire se superpose à l’analyse juridique : le juriste, avec ses moyens (notamment le simulateur gouvernemental), qui ne sont pas ceux d’un travailleur social, vérifie que le ménage bénéficie bien de toutes les aides qu’il pourrait obtenir.
Compte tenu du nombre de ménages non-suivis par un travailleur social et non-allocataires de la CAF (49%), il est fréquent qu’aucune ouverture de droit n’ait été effectuée. L’ouverture de droit permet parfois au ménage de reprendre le paiement du loyer avec un taux d’effort tout à fait supportable. Mise en place plus tôt, elle aurait pu permettre à plusieurs locataires d’éviter la situation d’impayé.
Enfin, il est courant que l’entretien donne lieu à une aide à la rédaction d’un courrier ou d’un mail. Des modèles de courriers (pour demander la mise en place d’un échéancier, la rédaction de la fiche bailleur à annexer au dossier de FSL, la réalisation de travaux ou encore pour contester une partie de la dette) sont régulièrement mis à disposition des locataires, le niveau d’assistance à la rédaction variant en fonction du niveau de dépendance du ménage.