Curriculum possible de l’Éducation au Développement Durable : entre actions de participation et investigations multiréférentielles d’enjeux

Éducation relative à l’environnement

Jean-Marc Lange, 2014

L’éducation à la durabilité résulte d’une demande sociétale répondant à quatre finalités fortes :

  • apprendre le collectif par la pratique sociale ;

  • étayer l’appartenance au monde par la mise à jour des enjeux sociétaux ;

  • apprendre à anticiper et réduire nos vulnérabilités par l’élaboration collective de solutions durables ;

  • développer le sentiment d’empathie pour l’humanité actuelle et future, étendue aux non humains.

La scolarité obligatoire peut prendre en charge ces finalités en assumant une mission de participation aux transformations induites par l’idée de durabilité et une mission de préparation des élèves à leur rôle futur en société. Ces missions ainsi définies permettent d’offrir aux élèves les occasions de se construire des dispositions (capacités/engagement) individuelles et collectives à vivre dans un monde incertain en permanente transformation. Cela passe par la recherche des moyens de la diminution des vulnérabilités sociales et environnementales lors d’actions éducatives. Celles-ci sont conçues comme une participation effective à des actions de développement durable diversifiées, appropriées, négociées et ajustées.

Cependant, les actions éducatives sont à compléter par des moments d’investigations multi-référentielles d’enjeux, et par les contributions des matières et disciplines. Cette complémentarité garantit ainsi la construction d’un ensemble organisé et cohérent répondant à un principe d’éducation forte, et conscient des principales dérives idéologiques potentielles.

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Synthèse

Pour déterminer les principes fondamentaux d’élaboration d’un curriculum possible pour l’EDD1, nous partons du cadre théorique élaboré par le sociologue britannique Alistair Ross (2000). Il lui a permis d’analyser les variations historiques des conceptions curriculaires, les positions politiques, les présupposés idéologiques, les tensions, les implications éducatives et pédagogiques, relatifs à l’élaboration du « national curriculum » anglais.

Dans une perspective beaucoup plus générale, ce chercheur a proposé une analyse politique des curriculums en termes de grands « modes de pilotage » : soit par des contenus, souvent organisés en disciplines ou au moins en matières, soit par des objectifs, en particulier aujourd’hui des objectifs de compétences, soit par l’intervention sur un processus d’activités pour en exploiter les potentialités éducatives. Ross souligne les incompatibilités existant entre ces types curriculaires pris deux à deux, les impossibilités de chacun, et la forte teneur idéologique des préférences pour ces diverses manières de conduire un curriculum.

Ces trois idéaux-types sont distingués et présentés par Ross sous la forme d’un schéma tripolaire en creux symbolisant l’absence d’harmonie et les tensions potentielles caractérisant les modes de pilotages. À chaque mode de pilotage correspondent des postures politiques contrastées. Le choix d’un mode n’est donc pas neutre idéologiquement et politiquement. Il entraîne par voie de conséquence au mieux des tensions, au pire des oppositions, qui conditionnent son acceptabilité pour les acteurs qui se trouvent impliqués.

Concernant l’EDD, l’organisation de rencontres entre acteurs de l’éducation sous la forme de colloques politiques et professionnels, nationaux et réguliers, ont fini par diffuser une sorte de doxa dont la plus marquante est celle d’une conception du DD2 en piliers issue sans discussion du sommet de Rio en 1992. Celle-ci est médiatisée le plus souvent sous la forme d’un schéma en trois cercles visant à faciliter la diffusion de la norme du DD (Chassande, 2002). Mais ce schéma vise à permettre une appropriation de la norme de DD pour une gouvernance plus efficace et durable. Il ne se veut pas un modèle « clé en main » pour l’activité professionnelle, notamment pour l’éducation.

En acceptant le DD comme idée mobilisatrice exprimée en termes d’enjeux de développement sous contrainte de durabilité, nos travaux s’opposent à la tentation de naturalisation du DD trop facilement suggérée par le schéma de Chassande : rabattre, dans une perspective éducative faible, l’EDD sur une juxtaposition ou succession d’approches explorant les trois entrées au moyen des disciplines académiques ou scolaires existantes oubliant la complexité intrinsèque du DD, sa fonction de mobilisation et la créativité nécessaire au dépassement des tensions, contradictions, conflits d’intérêt et d’usages que recouvre l’accolement des termes de développement et de durabilité. Cette posture de conservation des coutumes éducatives et des routines professionnelles équivaut à renoncer à imaginer la part possible d’intervention de l’éducation sur les transformations sociales en cours.

C’est pourquoi nous proposons de structurer l’EDD selon un principe d’éducation forte par un schéma, inspiré de celui de Ross, sous la forme d’un tri-pôle constitué des actions éducatives a-disciplinaires de DD, d’investigations multi-référentielles d’enjeux de DD, et de contributions disciplinaires à l’EDD.

Figure 2 : Schéma des principes d’élaboration d’un curriculum d’EDD

Ce schéma accorde une place essentielle aux AEDD3, elles seules permettent la construction / incorporation nécessaire des dispositions à vivre dans un monde incertain en recherche de durabilité. Il présente également les formes complémentaires indispensables, l’investigation multi-référentielle d’enjeux et les contributions disciplinaires sont l’une d’elles. L’élaboration de ces formes vise à diminuer les tensions existant initialement entre les modalités de pilotage en leur assignant une complémentarité et non une centralité. La pluralité des postures idéologiques et politiques y est respectée. Les tensions et oppositions, les insuffisances et les risques idéologiques de chacune d’entre elles devraient s’en trouver neutralisées, ou du moins permettre leur dépassement.

Conclusion

Pour atteindre les quatre visées définies en amont, il y a besoin de concevoir et d’évaluer les situations éducatives pertinentes et efficientes, ce qui constitue un projet de didactique. Mais l’hétérogénéité des contenus évoqués ci-dessus questionne en retour les didactiques elles-mêmes. En particulier, la centration sur l’action disqualifie a priori les didactiques de disciplines pour leur incapacité à penser des situations de ce type, même si les contributions des disciplines les requalifient « localement ». Nous avons besoin d’une didactique spécifique capable de prendre en charge l’ensemble des modes de pilotage présentés ci-dessus. Cette didactique est une didactique qui se définie, non en substitution aux didactiques existantes, mais dans la recherche d’une complémentarité, par une responsabilité vis-à-vis de contenus caractérisés par l’importance accordée à l’action, aux enjeux de société, l’attention portée aux implications des actes et décisions, à la mobilisation de savoirs proactifs et hybrides, en référence explicite à des valeurs, à la contrainte permanente d’un projet politisé mouvant et en continuelle rectification. Nous proposons de la désigner comme didactique des contenus orientés action. Son projet est de suggérer des contenus nouveaux ou d’analyser les situations éducatives permettant d’atteindre les visées définies plus haut et d’évaluer leur efficience.

Enfin, l’EDD telle que conçue ci-dessus, met en son cœur la volonté d’apprendre le sens du collectif par la pratique sociale. Elle implique l’apprentissage du délibératif, du compromis, de la décision au nom de l’intérêt général, mais aussi la découverte des contraintes, des divergences d’intérêts, des conflits de pouvoir. Elle se différencie ainsi nettement du projet coutumier de l’école républicaine, celle d’une École conçue comme microsociété idéale, sans classes sociales, dans laquelle les individus sont classés objectivement selon leurs dispositions personnelles (Rosanvallon, 2011). Si l’ambition est forte, les obstacles et dérives de tous ordres le sont également.

Plan du document joint en pdf

  • 1 EDD : Education au développement durable

  • 2 DD : Développement durable

  • 3 AEDD : Action éducative de développement durable

Sources

  • Jean-Marc Lange, « Curriculum possible de l’Éducation au Développement Durable : entre actions de participation et investigations multiréférentielles d’enjeux », Volume 11 | 2014, mis en ligne le 20 décembre 2013, consulté le 21 février 2020. journals.openedition.org/ere/691 ; DOI :10.4000/ere.691

  • Jean-Marc Lange s’est intéressé à l’éducation à la santé et à l’environnement, après avoir travaillé sur l’éducation scientifique dans le domaine des sciences du vivant. Il a coordonné de 2008 à 2012 une recherche nationale, ED2AO, soutenue par l’Agence Nationale de la Recherche. Ses travaux actuels portent sur les conditions de faisabilité d’une littératie politique scolaire, notamment sur les compétences des enseignants nécessaires à l’émergence de ce champ.