Pourquoi s’intéresser à la mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi ?
La mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi
agosto 2020
Conseil économique, social et environnemental régional (CESER)
A travers les contacts qu’ils nouent jour après jour de part et d’autre des frontières, les territoires frontaliers constituent aujourd’hui de véritables avant-postes de l’intégration communautaire préfigurant l’Europe de demain. La Nouvelle Aquitaine bénéficie d’une frontière avec la région Pays-Basque espagnole. Dans ce contexte, le CESER Nouvelle-Aquitaine s’est penché sur les relations entre mobilités transfrontalières, emploi et formation. Cette étude apporte une contribution à la réflexion sur la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable établis par les Nations-Unies :
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Bonne santé et Bien-être
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Education de qualité
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Egalité entre les sexes
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Energie propre et d’un coût abordable
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Travail décent et croissance économique
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Inégalités réduites
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Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique
Para descargar: ceser_rapport_mobilite_1.pdf (600 KiB)
Plusieurs auteurs ont montré les effets positifs de mener des études et d’avoir une expérience de travail à l’étranger. La mobilité internationale est porteuse d’épanouissement, d’insertion, d’employabilité et d’ouverture interculturelle des individus. Elle peut être aussi source d’innovation. La coopération en matière de mobilité liée à la formation et à l’emploi peut, quant à elle, aider les partenaires à apporter des réponses adaptées aux territoires, face aux enjeux posés par les nécessaires transitions environnementale, sociale et économique.
Pour le CESER, l’intérêt pour la thématique de la mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi est né dans le cadre des échanges avecle Conseil Économique et Social du Pays basque espagnol, pour donner suite à un constat commun : « la continuité territoriale et la proximité géographique entre la région Nouvelle-Aquitaine et son vis-à-vis espagnol d’Euskadi ne vont pas de soi dès lors que l’on aborde la thématique des échanges de jeunes en formation et de l’insertion professionnelle. Or, le développement et l’encadrement des échanges transfrontaliers de jeunes à tous les niveaux de formation pourraient permettre de diversifier les opportunités non seulement d’emploi, mais aussi de formation permettant aux jeunes et adultes de bénéficier de tous les atouts disponibles sur le territoire régional. Ces échanges permettraient également de développer une cohésion territoriale et culturelle transfrontalière » 1 .
Dès la fin de 2018, nos travaux se sont organisés autour d’une compilation d’expériences centrée sur l’aire transfrontalière d’un côté et de l’autre de la Bidassoa. Au fur et à mesure que les informations recueillies lors des auditions et lors des rencontres avec les divers acteurs du territoire aiguisent la compréhension du sujet et ses enjeux, cette étude voit sa portée thématique et géographique s’élargir.
Cette étude a bénéficié d’un travail conjoint avec la Commission 1 « Education, Formation et Emploi » du CESER, autour de la notion de « l’éducation au choix ». Cette notion pose la question de la liberté des personnes dans la construction de leur parcours de vie. Ce travail inter-commissions a fait ressortir l’importance d’une approche qui tienne compte des besoins de l’ensemble des acteurs des territoires concernés, notamment les jeunes.
C’est ainsi que le projet d’étude a vu le jour en septembre 2019, et son objectif s’est précisé : mener à bien une réflexion visant à enrichir la stratégie de coopération de tout le territoire néo-aquitain en matière de mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi dans l’espace de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine – Euskadi – Navarre (Eurorégion NAEN).
Pour entamer cette réflexion, nous présenterons quelques caractéristiques de la mobilité transfrontalière en lien avec la formation et de l’emploi transfrontalier, propres à l’Eurorégion ainsi que leur cadre politique et réglementaire.
La mobilité transfrontalière en lien avec la formation
La mobilité transnationale à des fins d’apprentissage est associée à une mobilité future, à des revenus plus élevés et à un risque de chômage plus faible, le multilinguisme améliorant les perspectives d’emploi des personnes concernées 2 .
Les parcours professionnels présents et à venir sont enrichis par les apports d’une mise au travail des postures, des projections et des ressources d’un individu naviguant dans un environnement socio-culturel et géographique différent. La confrontation avec l’altérité permet d’acquérir des nouveaux savoirs et de prendre du recul par rapport aux savoirs déjà acquis. Le développement des nouvelles capacités et compétences est fortement stimulé par la mise en perspective. Les nouvelles expériences permettent aussi de consolider la citoyenneté puisqu’elles peuvent favoriser l’autonomie, l’interculturalité, le développement d’un esprit coopératif, l’ouverture sur le monde, l’adaptation au changement, l’estime de soi, etc. en écho aux objectifs d’autres domaines de la politique internationale de la Région, tels que l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI) 3.
Or, nos travaux nous ont permis de constater que trop souvent la mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi est avant tout associ ée à une mobilité individuelle des travailleurs dans un espace frontalier. Dans les faits, elle revêt des formes diverses : elle peut être individuelle mais aussi collective ou institutionnelle. Elle peut être constante comme la mobilité des transfrontaliers mais elle peut aussi se circonscrire à des périodes concrètes, brèves ou longues. On y retrouve l’ensemble des séjours au-delà de la frontière, tels que les échanges des élèves et du personnel enseignant, des périodes de scolarité à l’étranger, des séquences d’observation, des visites d’information en milieu professionnel, des stages ou périodes de formation en milieu professionnel, ou dans le cadre de l’implication as sociative et/ou bénévole, etc.
Des avancées ont été enregistrées dans les échanges et la mobilité au niveau supérieur mais la mobilité dans le cadre de la formation professionnelle reste plus limitée. Or, selon l’INSEE, en Nouvelle-Aquitaine, le taux d’élèves ayant obtenu le baccalauréat et poursuivant des études supérieures est inférieur à la moyenne nationale (73,6 % contre 79,4 %). Un des facteurs pouvant expliquer cette différence, réside dans la part importante des lauréats issus de la voie professionnelle. Cette dernière débouche en effet plus directement sur une insertion dans la vie active et ouvre moins qu’ailleurs la voie des études supérieures 4.
Ainsi, au regard de l’ensemble des lauréats de la session 2015, les titulaires d’un bac professionnel sont proportionnellement plus présents (30,3 %) en Nouvelle-Aquitaine que dans l’ensemble de la France (28,5 %) et ils sont nettement moins nombreux à poursuivre des études supérieures (80 % des titulaires d’un bac général ou technologique poursuivent des études supérieures, contre à peine 37 % des diplômés d’un bac professionnel) 5 .
Pour les jeunes néo-aquitains, la mobilité est au cœur des stratégies de recherche d’emploi ou de poursuite des études. De très nombreux jeunes quittent le domicile familial. Une grande partie rejoint une zone riche en offres de formation, alors que d’autres se rapprochent d’un pôle d’emploi. En 2015, environ 55 % des bacheliers poursuivant des études supérieures ont déménagé. D’autres ont opté pour des navettes quotidiennes. Logiquement, la propension au déménagement est d’autant plus forte que la distance entre le domicile au moment du bac et le lieu d’études supérieures est élevée 6.
Mais les opportunités de mobilité ne sont pas les mêmes pour tous les jeunes. Alors que les orientations technologiques et professionnelles - dès le lycée - prédominent pour les jeunes issus de la classe « défavorisée », et impactent généralement la suite du cursus d’études, le choix de la filière post-bac peut aussi dépendre des coûts de logements et de transports. Par exemple, les sections de techniciens supérieurs (STS), disponibles dans de nombreuses zones, sont davantage choisies par les bacheliers de la catégorie « défavorisée ». En outre, plus l’offre de formation est restreinte dans leur zone de résidence, plus les bacheliers se concentrent dans les STS : jusqu’à 40 % d’entre eux dans les zones peu diversifiées pour 34 % dans les zones dont l’offre est complète. En 2015, 42 % des étudiants déménagent pour rejoindre un bassin de formation supérieure, dont un tiers hors région. Parmi eux, ceux provenant de zones cumulant éloignement et offre de formation limitée sont les plus concernés 7.
Dans un rapport récent sur l’orientation tout au long de la vie en Nouvelle-Aquitaine, le CESER rappelle que « des déterminants sociaux restent de véritables freins à l’Orientation Tout au Long de la Vie tant ceux-ci peuvent empêcher ou faire renoncer l’accès à certaines professions, voire certains parcours de formation. La lutte contre les discriminations et la « réduction des freins » doivent être au cœur des politiques publiques en matière d’Orientation Tout au Long de la Vie de façon urgente. S’agissant de notre grande Région, l a question des mobilités doit également être au cœur de toutes nos réflexions sur la formation a fin que chaque habitant du territoire ait les mêmes chances de réussite et de réalisation de son projet individuel » 8 .
Il n’est pas impossible que les mêmes difficultés liées au capital financier et humain soient un frein à la mobilité transfrontalière et internationale des jeunes issus des classes défavorisées.
En effet, on constate une évolution positive ces dernières années. Les étudiants français sont de plus en plus nombreux à partir étudier à l’étranger principalement dans des pays francophones ou frontaliers. Entre 2008 et 2017, le nombre d’étudiants inscrits dans un établissement français d’enseignement supérieur en mobilité européenne et internationale Erasmus + (mobilité d’études et mobilité de stage) a progressé de 66,1 %. Cette hausse de la mobilité a pour principale raison une croissance importante de la mobilité de stage (+ 253 % en 10 ans). Cette dernière représente dorénavant 35,5 % des mobilités, soit 6,5 points de plus que la moyenne européenne. Sur la même période, la mobilité d’études a augmenté de 28,7 % 9.
Or, pour certaines catégories, il est plus difficile de mettre en marche un projet de mobilité. En effet, le genre, comme l’origine, le handicap et l’orientation sexuelle, pour ne citer que les critères priorisés par la Région dans son Plan d’action « Réaliser l’Egalité », ont des conséquences sur le parcours scolaire, sur l’insertion professionnelle des candidats à l’emploi et donc sur les opportunités de mobilité internationale.
A titre d’exemple : les femmes ont un taux de scolarisation supérieur à celui des hommes 10, une étude menée par Campus France souligne que les étudiantes demeurent encore aujourd’hui moins mobiles que leurs homologues masculins 11. Bien que plus nombreuses, tout autant attirées par un séjour d’études à l’étranger et plus encore convaincues des gains à en espérer, elles bénéficient pourtant moins fréquemment de l’expérience d’une mobilité. Cette difficulté trouve une explication majeure dans le fait qu’elles restent encore minoritaires dans les Écoles, en particulier d’ingénieurs, qui intègrent et le plus souvent imposent la mobilité dans leur cursus 12. Pour celles, beaucoup plus nombreuses, qui fréquentent les universités et sont ouvertes à un projet de mobilité, les obstacles sont souvent financiers mais parfois psychologiques. Nombre d’entre elles avouent avoir des craintes sur le bon déroulement du séjour et des doutes sur leur aptitude supposée à suivre des cours dans une autre langue 13 .
Concernant les trois autres critères, il faut souligner les carences en matière de connaissance statistique, y compris sur les effets des discriminations sur la mobilité en lien avec la formation et l’emploi. Néanmoins, il n’est pas impossible que les stéréotypes spécifiques liés à l’origine, le handicap et l’orientation sexuelle qui conditionnent et freinent l’accès à la formation, aient également un impact sur les opportunités de mobilité 14. De plus, les inégalités persistantes d’accès à la scolarisation conduisent à des parcours scolaires limités et contraints. Ces parcours s’imposent par défaut en raison de problèmes d’accessibilité, de l’autocensure ou d’orientations non choisies liées aux préjugés sur les chances de réussite scolaire supposées.
Par ailleurs, la vulnérabilité sociale et économique est souvent amplifiée par les discriminations multiples qui touchent des personnes dont les caractéristiques les exposent à des discriminations combinant plusieurs critères. Ainsi, le Défenseur des droits s’est emparé de cette problématique afin de vérifier le constat d’une sous-représentation des femmes handicapées en emploi 15.
L’emploi transfrontalier
Au sein de l’Europe, deux phénomènes distincts ont facilité le déplacement de personnes. D’une part, l’économie mondialisée et ses exigences en matière de flux internationaux et d’autre part, la naissance de l’espace Schengen créant un contexte politique favorable à la multiplication des opportunités d’emploi à l’étranger en Europe. En effet, au sein de l’Union européenne, 2 millions de personnes travaillent au moins une fois par semaine dans un autre pays. Ce chiffre est en très forte augmentation et a été multiplié par trois depuis 1999. Pour la France, l’INSEE estime le nombre de transfrontaliers à plus de 363 000 personnes. Les hommes se taillent la part du lion par rapport aux femmes, en Allemagne (65 %), en Belgique (67 %) et au Luxembourg (61 %) 16 .
Entre la France et l’Espagne, les Pyrénées constituent une barrière naturelle aux points de passage peu nombreux qui explique, en partie, des échanges plus limités : le travail transfrontalier vers l’Espagne ne concerne que 5 000 habitants de Nouvelle-Aquitaine ou d’Occitanie, dont deux tiers habitent à Hendaye. Une spécificité du phénomène en Nouvelle-Aquitaine : 70 % des travailleurs transfrontaliers résidant dans les Pyrénées-Atlantiques sont de nationalité espagnole, alors que dans les autres territoires transfrontaliers, ils sont très majoritairement de nationalité française 17.
Au début des années 2010, le rétablissement de l’économie espagnole, le dynamisme de l’économie néo-aquitaine et l’évolution démographique permettent d’espérer un changement positif pour l’emploi dans la frontière franco-espagnole. C’est le pari de l’Eurorégion Nouvelle- Aquitaine – Euskadi – Navarre qui identifie le développement d’un bassin d’emploi eurorégional parmi les priorités de son Plan Stratégique 2014-2020. L’objectif poursuivi est d’accroître la mobilité transfrontalière et, à long terme, faire en sorte que la population de l’Eurorégion voie le territoire transfrontalier comme un domaine dans lequel elle peut trouver des opportunités de travail adaptées à ses caractéristiques et à ses attentes, afin d’accroître son employabilité et de favoriser l’intégration eurorégionale 18. Les complémentarités économiques et les flux commerciaux importants entre les trois régions ainsi que les besoins croissants en main d’œuvre sont mis en avant.
La réalité d’autres bassins d’emploi transfrontaliers nous rappelle que les opportunités de travail frontalier répondent à une dynamique multi-causale. C’est ainsi que dans les territoires transfrontaliers, entre 2010 et 2015, l’emploi évolue de manière très contrastée. En 2015, le nombre de travailleurs transfrontaliers a doublé vers le Luxembourg (+ 4,7 % par an), alors que les effectifs progressent plus modestement vers la Suisse (+ 0,9 % par an) et ils diminuent nettement vers l’Allemagne (- 1,5 % par an). Dans ces territoires, entre 2010 et 2015, l’emploi évolue suivant des facteurs variés tels que 19 :
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L’impact de la croissance démographique sur la population économiquement active : résultat d’une combinaison du taux de croissance naturel et du solde migratoire.
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Les opportunités d’emploi dans des secteurs très divers : l’industrie est un secteur pourvoyeur d’emplois avec 28 % de frontaliers français concernés, contre 16 % des actifs français occupés non frontaliers. Cette part atteint 45 % des frontaliers travaillant en Allemagne, avec une forte proportion d’hommes de plus de 45 ans. Mais elle ne représente pas le seul secteur créateur des opportunités. Le Luxembourg, qui affiche ces dernières années une forte progression du flux des transfrontaliers, attire des actifs plus diplômés, exerçant majoritairement dans le secteur tertiaire, en particulier dans les activités financières, l’administration, la santé, l’éducation et le tertiaire marchand. En Belgique, de nombreux frontaliers travaillent dans les domaines de l’action sociale et de la santé. En Espagne, où la proportion de frontaliers parmi les actifs s’avère déjà faible, emploi et nombre de travailleurs frontaliers diminuent (- 1,3 % par an), sauf dans le secteur de l’administration, santé, éducation, où ils se maintiennent. Avant la crise COVID-19, la construction était déjà particulièrement touchée par la baisse des emplois, de même que l’industrie 20.
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L’offre d’emplois stables : près de neuf frontaliers sur dix de la région Gr and Est, première région française pourvoyeuse de transfrontaliers, occupent un emploi salarié sans limite de durée, contre trois-quarts des actifs travaillant en France. Ce cas est le plus fréquent en Suisse et un peu moins en Belgique (91 % et 85 %). Seulement 5 % des frontaliers occupent un emploi à durée déterminée (contre 8 % des actifs du Grand Est travaillant côté français), et 3 % sont placés par une agence d’intérim ; cette proportion s’élève à 6 % pour les ouvriers. Enfin, 3 % des frontaliers sont des non- salariés.
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Les salaires plus élevés. La consolidation d’un bassin d’emploi transfrontalier doit donc tenir compte de la dynamique complexe mettant en jeu tous ces facteurs. Citons deux exemples :
1) La barrière de la langue est souvent citée comme un obstacle à l’emploi transfrontalier. La Belgique attire beaucoup moins de travailleurs frontaliers, alors que la barrière de la langue ne se pose pas, malgré un espace francophone commun et alors que le chômage est plus faible en Belgique que dans la région du Grand Est 21 .
2) Alors que la croissance de l’emploi est considérée comme un facteur d’attraction, le pourcentage de navetteurs résidant en France et travaillant en Allemagne diminue (- 0,9 % par an), notamment dans l’industrie (- 1,9 %) malgré une hausse de l’emploi de 0,8 % par an entre 2010 et 2015 près des frontières et malgré une augmentation de l’emploi dans l’industrie, augmente de 0,5 % par an, contrairement à celui des zones d’emploi françaises proches (- 1,5 %). Une possible explication : les jeunes actifs français qui maîtrisent l’allemand sont plus qualifiés que leurs aînés, et pourraient privilégier la Suisse et le Luxembourg, qui offrent plus d’emplois de cadres et de meilleurs salaires que l’Allemagne 22.
La Commission européenne souligne les potentiels de croissance que recèlent les régions frontalières et identifie dans ces travaux le soutien à l’emploi transfrontalier comme l’un des domaines économiquement porteurs 23. C’est donc tout naturellement que la création d’un bassin d’emploi est assimilée à un renforcement de la complémentarité entre les territoires transfrontaliers favorisant une amélioration de leur compétitivité. L’emploi transfrontalier est censé générer des retombées positives pour les territoires. Or, alors que l’un des enjeux du développement du travail frontalier porte sur les retombées en termes d’emplois induits, les analyses récentes montrent que le travail frontalier n’engendre pas toujours des créations d’emplois côté français 24.
En Nouvelle-Aquitaine, avec une hausse annuelle de la population de 1,1 % et de l’emploi de 0,7 % entre 2010 et 2015, la zone d’emploi de Bayonne est la seule à bénéficier d’une dynamique emploi-population positive, et celle-ci n’est pas nécessairement liée à sa position frontalière 25.
Il semble donc important de dépasser le postulat selon lequel le différentiel économique et l’évolution démographique de part et d’autre d’une frontière sont les seuls facteurs pouvant déclencher le flux de personnes. Le développement d’un bassin d’emploi et de vie transfrontalier devrait se faire à la faveur des complémentarités régionales, économiques certes, mais aussi sociales et culturelles. Afin de bénéficier du développement des régions transfrontalières, une approche territoriale de l’emploi transfrontalier doit aussi tenir compte des enjeux économiques, sociaux environnementaux desdits territoires ainsi que des pratiques d’acteurs qui les façonnent. Plus récemment, la crise COVID-19 a montré l’importance de la protection sociale et son lien avec les enjeux en termes de conditions décentes de travail, tous deux au cœur de la résilience des territoires, alors qu’ils ont été perçus jusqu’à maintenant comme des obstacles à la création d’un marché de l’emploi transfrontalier.
L’inexistence d’un véritable bassin d’emploi eurorégional et les caractéristiques des travailleurs transfrontaliers (pour une bonne partie des Espagnols travaillant en Espagne et résidant en Nouvelle-Aquitaine pour profiter des facilités résidentielles) amènent à questionner la pertinence d’une stratégie de coopération axée sur l’emploi transfrontalier. La coopération autour de la formation en lien avec l’emploi apparaît donc comme une clé d’entrée plus appropriée pour favoriser la dynamique transfrontalière dans ce domaine. Par ailleurs, l’analyse des déplacements récurrents entre les deux côtés de la frontière montre en partie que les flux transfrontaliers dans la région sont causés par de multiples motifs (au-delà de la seule sphère professionnelle), et que le passage de la frontière découle de dynamiques autant régionales que locales 26.
Le cadre politique
Dans le cadre de la décentralisation, les Régions ont vu s’étendre le champ de leurs compétences en matière de formation professionnelle des jeunes et des adultes. Les Conseils régionaux décident, sur les territoires des régions, des politiques de formation en fonction des priorités économiques et sociales locales.
Le Contrat de Plan régional de Développement des Formations et de l’Orientation Professionnelles (CPRDFOP), schéma structurant des politiques régionales, est un document cadre stratégique pour la période entre 2018 et 2022, concernant le pilotage des politiques orientation/formation à l’attention de l’ensemble des partenaires impliqués. Le CPRDFOP étaye la stratégie de développement de la formation et l’orientation de la Nouvelle-Aquitaine autour de quatre priorités 27 :
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l’égalité d’accès à la formation et à l’emploi ;
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la qualification et le développement des compétences ;
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le développement équilibré des territoires ;
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les emplois et les compétences de demain.
Encourager la mobilité internationale dans les apprentissages est identifié comme l’un des services visant à faciliter l’appariement entre offre et demande dans le cadre de la construction et le déploiement d’un dispositif régional de développement des compétences. Le CPRDFOP incite également à encourager les expérimentations et innovations favorisant l’ouverture à la mobilité internationale.
Dans son Règlement d’intervention mobilité internationale, la Nouvelle-Aquitaine engage une perspective éducative tournée vers l’égalité des chances et l’épanouissement de chacun, de levée des freins qui s’opposent notamment aux plus démunis, et de compensation des inégalités de tout type. La Région constate que les dispositifs de mobilité internationale sont nombreux en France et en Nouvelle-Aquitaine, et leur efficacité est reconnue. En revanche, ils demeurent insuffisamment visibles et coordonnés d’une part, et d’autre part, ils bénéficient peu aux jeunes les moins diplômés. Le règlement rappelle que les expérimentations nationales menées dans le cadre du Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse (FEJ), ont mis en avant les freins financiers et linguistiques mais aussi l’influence de l’entourage qui pèse sur certains jeunes. Surtout, elles ont démontré que c’est la conjugaison de ces différents facteurs qui rend pour certains la mobilité peu accessible. Ainsi, la région Nouvelle-Aquitaine soutient la mobilité internationale des jeunes en cours de formation, qu’ils soient lycéens, apprentis, étudiants, stagiaires de la formation professionnelle ou apprenants du secteur sanitaire et social. Afin de permettre le départ d’un maximum de bénéficiaires, elle sollicite des financements européens pour compléter les financements régionaux lorsque cela est possible (Erasmus+). Par ailleurs, un accompagnement est proposé aux CFA ne disposant pas de l’ingénierie pour rechercher des fonds européens 28.
L’importance de la formation initiale et continue, la qualification et le développement des compétences dans l’ensemble du territoire néo aquitain, est reconnue par le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) de la Nouvelle-Aquitaine (objectif stratégique OS 1.3), ainsi que le besoin d’ouvrir la région Nouvelle-Aquitaine sur ses voisines, l’Europe et le monde en renforçant les coopérations avec les régions voisines et les territoires européens, notamment, mais pas uniquement, dans le cadre de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine – Euskadi – Navarre afin de doter la région de territoires attractifs, créateurs d’activités et d’emplois (OS 1.5).
La formation tout au long de la vie est un axe prio ritaire des programmes européens 2014 - 2020 dont la région Nouvelle-Aquitaine a l’autorité de gestion. Ainsi, le Programme Opérationnel (PO) FSE-FEDER Aquitaine souligne que le développement de la mobilité internationale sera recherché afin d’accroître la qualité et l’efficacité du système d’orientation et de formation aquitain. En effet, le renforcement des compétences acquises, la pratique d’une langue étrangère, la découverte d’une entreprise d’un autre pays européen concourent à une meilleure insertion sociale et professionnelle, et à une adaptabilité fonctionnelle et géographique plus grande. La mobilité internationale est à encourager afin de favoriser l’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi au même titre que l’apprentissage des langues : une personne ayant bénéficié d’un stage ou d’une formation à l’étranger a en effet 20 % de chance en plus de trouver un emploi 29.
Une des lignes d’action du Plan stratégique de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine – Euskadi – Navarre est de favoriser la configuration d’un bassin eurorégional d’emploi intégré, pour que la population active de l’Eurorégion acquière une plus grande mobilité transfrontalière que celle existant actuellement. L’objectif à long terme est de faire en sorte que la population voie le territoire transfrontalier comme un domaine dans lequel elle peut trouver des possibilités de travail adaptées à ses caractéristiques et à ses attentes, afin que son employabilité augmente et que l’intégration eurorégionale soit favorisée. Le projet EMPLEO met en exergue l’importance de la collaboration entre les services publics pour l’emploi des trois régions intégrant l’Eurorégion (Pôle Emploi, Lanbide et Service pour l’emploi de Navarre-Lan Sare), pour créer une offre et une demande de travail partagées par les trois services publics d’emploi eurorégionaux et favoriser la mobilité professionnelle eurorégionale.
Au niveau européen, le Cadre stratégique de la coopération dans le domaine de l’éducation et la formation « Éducation et formation 2020 » fixe parmi les objectifs de référence 30 :
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L’apprentissage tout au long de la vie : la partici pation des adultes (25-64 ans) à des activités d’éducation et de formation tout au long de la vie devrait atteindre au moins 15 %.
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La mobilité à des fins d’apprentissage. Deux objectifs ont été fixés : - au moins 20 % des diplômés de l’enseignement supérieur devraient avoir effectué à l’étranger une période d’études ou de formation liée à cet enseignement (y compris des stages), représentant un minimum de quinze crédits ECTS ou une durée minimale de trois mois ; - au moins 6 % des 18-34 ans diplômés de l’enseignement et de la formation professionnels initiaux devraient avoir effectué à l’étranger une période d’études ou de formation liée à ce type d’enseignement ou de formation (y compris des stages) d’une durée minimale de deux semaines.
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1 Cahier des charges du recueil d’expériences sur la mobilité transfrontalière en lien avec la formation et l’emploi
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2 Commission européenne, 2019, Rapport de suivi de l’éducation et de la formation France.
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3 So ECSI in www.socooperation.org/ecsi consulté en janvier 2020.
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4 Ferret, Jean-Pierre et Joubert, Marc., 2018, « Déménager ou pas : une alternative pour la poursuite d’études supérieures » – INSEE : Analyses Nouvelle-Aquitaine, 22 juin. www.insee.fr/fr/statistiques/3561268#titre-bloc-5 consulté en mars 2020.
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5 Idem.
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6 Idem.
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7 Idem.
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8 CESER Nouvelle-Aquitaine, juin 2020, L’orientation tout au long de la vie en Nouvelle-Aquitaine.
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9 Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2019, État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n° 13.
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10 Selon l’INSEE, en Nouvelle-Aquitaine, entre 18 et 24 ans, elles sont 53,5 % à être scolarisées contre 47,7 % des hommes et 7,8 % contre 7,2 % entre 25 et 29 ans. Source : INSEE, 2020, Chiffres détaillés : Dossier complet Nouvelle-Aquitaine, avril. www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=REG-75#chiffre-cle-4
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11 Campus France, 2016, Les notes de Campus France n° 52 : Le genre et la mobilité étudiante internationale, Septembre. ressources.campusfrance.org/publications/notes/fr/note_52_fr.pdf
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12 Ce constat de Campus France s’applique à l’ensemble des écoles ingénieurs dans sa globalité et ne contredit pas le fait que, dans certaines de ces écoles, les filles soient bien représentées.
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13 Campus France, 2016, Les notes de Campus France n° 52 : Le genre et la mobilité étudiante internationale, Septembre. ressources.campusfrance.org/publications/notes/fr/note_52_fr.pdf
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14 En effet, malgré les évolutions récentes, le niveau général de qualification de la population reconnue handicapée demeure faible et constitue un obstacle important à l’accès à l’emploi et l’évolution de carrière (Défenseur des droits, 2016, « L’emploi des femmes en situation de handicap. Analyse exploratoire sur les discriminations multiples). Seulement 25 % des personnes reconnues handicapées ont le bac, un brevet professionnel ou plus, contre 49 % de la population totale (DARES Analyse, Emploi et chômage des personnes handicapées, Synthèse. Stat n°17, 2015). Selon le défenseur des Droits, 1 personne sur 3 considère que le fait de révéler son homosexualité à son entourage professionnel peut avoir un impact négatif sur la carrière et 44 % des personnes transidentitaires déclarent avoir été discriminées dans la recherche d’un emploi (Défenseur des droits, 2017, Agir contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans l’emploi, mai). Le résultat de l’appel à témoignages mené par le Défenseur des droits en 2016 sur les discriminations liées aux origines dans l’accès à l’emploi illustre la diversité des difficultés rencontrées par les personnes d’origine étrangère et leurs conséquences sur les parcours professionnels et personnels : pour plus de 60 % des répondants, les discriminations liées aux origines lors des recherches de stage ou d’emploi se produisent « souvent » ou « très souvent » (Défenseur des droits, 2016, Résultat de l’appel à témoignages Accès à l’emploi et discriminations liées aux origines, septembre).
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15 Défenseur des droits, 2016, « L’emploi des femmes en situation de handicap. Analyse exploratoire sur les discriminations multiples »
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16 INSEE, 2019, Première : Forte croissance du nombre de travailleurs frontaliers vers la Suisse et le Luxembourg, Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4164642
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17 INSEE, 2018, Flash Nouvelle-Aquitaine, n° 38 : Habiter à Hendaye et travailler en Espagne, juin. www.insee.fr/fr/statistiques/3562948
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18 GECT NAEN, 2018, EMPLEO : Diagnostic sur l’Emploi Transfrontalier au sein de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine – Euskadi – Navarre.
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19 INSEE, 2019, Analyse Grand Est : Depuis 1999, le nombre de frontaliers à destination du Luxembourg a doublé, n° 97. Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4171650#figure1
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20 NSEE, 2019, Première : Forte croissance du nombre de travailleurs frontaliers vers la Suisse et le Luxembourg, Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4164642
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21 INSEE, 2019, Analyse Grand Est : Depuis 1999, le nombre de frontaliers à destination du Luxembourg a doublé, n° 97. Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4171650#figure1 et Insee, 2020, Analyses Haut-de-France : une baisse des actifs plus marquée en Belgique d’ici à 2030.
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22 INSEE, 2019, Analyse Grand Est : Depuis 1999, le nombre de frontaliers à destination du Luxembourg a doublé, n° 97. Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4171650#figure1
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23 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen : « Stimuler la croissance et la cohésion des régions frontalières de l’Union européenne », septembre 2017.
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24 INSEE, 2019, Analyse Grand Est : Depuis 1999, le nombre de frontaliers à destination du Luxembourg a doublé, n° 97. Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4171650#figure1
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25 INSEE, 2019, Première : Forte croissance du nombre de travailleurs frontaliers vers la Suisse et le Luxembourg, Juin. www.insee.fr/fr/statistiques/4164642
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26 Eurorégion Nouvelle-Aquitaine – Euskadi – Navarre, 2014, TRANSFERMUGA. Le rôle structurant du rail dans la mobilité citoyenne transfrontalière. Diagnostic du territoire et de la mobilité 2012-2013.
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27 Priorités telles que présentées dans le document de synthèse du CPRDFOP Nouvelle-Aquitaine 2018-2020. www.cap-metiers.pro/TELECHARGEMENT/4456/_synthese_CPRDFOP_nouvelle_aquitaine__pdf_.pdf
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28 les-aides.nouvelle-aquitaine.fr/sites/default/files/2019-11/RI-MI_octobre_2019.pdf
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30 ec.europa.eu/education/policies/european-policy-cooperation/et2020-framework_fr