Vers de vrais partenariats aménageur-promoteurs ?

January 2016

La Revue Foncière / Association Fonciers en débat

Selon la démarche habituelle, une collectivité publique définissait un programme l’aménagement puis lançait un appel à concurrence pour choisir un aménageur. Aujourd’hui, c’est de plus en plus souvent, avant même la définition du projet, qu’il est fait appel à la concurrence des opérateurs.

To download : rf9_baraud.pdf (160 KiB)

Démarche partenariale » sur les Docks Saint-Ouen, « protocole général d’accord » sur Ivry-Confluences, appel à projet du Belvédère à Bordeaux… indéniablement, l’implication des promoteurs dans la définition des projets urbains semble se généraliser. Devenue un quasi-phénomène de mode, l’implication des promoteurs en amont de leur stade habituel d’intervention (dépôt d’un permis de construire sur la base de fiche de lot) relève presque d’un objectif en soi : « Lançons un appel à partenariat auprès d’opérateurs, et voilà qui nous permettra d’être plus performant en termes de délais, de prix et de qualité » nous disent de plus en plus d’aménageurs. Et ils ont raison… à une condition : ne pas confondre le moyen avec l’objectif, et bâtir une méthodologie adaptée à chaque projet. C’est sur cette méthodologie que nous nous proposons de revenir dans le cadre de cet article, après avoir rappelé quelques éléments de contexte.

Partenariat amont aménageur/promoteurs : de quoi parle-t-on ?

Traditionnellement, dans ce qu’on pourrait appeler l’urbanisme séquentiel, le promoteur intervient sur la base d’une chose (le projet, décliné par fiches de lot 1) et d’un prix (la charge foncière). Or, de plus en plus, on assiste à l’intervention des promoteurs en amont de la finalisation des fiches de lot (ou sur la base de fiches de lot très ouvertes, peu contraignantes) ; cette intervention amont s’opère de façon partenariale, c’est-à-dire selon des modalités d’étroite collaboration avec l’aménageur. Telle est la définition que nous proposons de retenir pour caractériser ces partenariats amont aménageur-promoteurs, la dimension partenariale représentant par définition une rupture dans l’enchaînement séquentiel classique en introduisant une logique de coopération via la participation des promoteurs à la définition des règles du jeu auxquelles ils se soumettront par la suite. Comme on le verra plus en détail, ces partenariats amont aménageurs-promoteurs peuvent prendre des formes variées : la plupart du temps, l’aménageur présélectionne des promoteurs quasiment au même moment que l’urbaniste et met les promoteurs à contribution sous forme d’ateliers thématiques. Dans certains cas, les promoteurs interviennent après la désignation de l’urbaniste et sur un lot donné (et non sur des thématiques transversales à l’échelle du projet urbain). Plus rarement, il arrive que le promoteur intervienne avant la désignation de l’aménageur, répondant à une consultation directement pilotée par la collectivité. Dans tous les cas, le promoteur a été associé à l’élaboration de la fiche de lot sur la base de laquelle il va intervenir.

Partenariat amont aménageur/promoteurs : pourquoi se développent-ils maintenant ?

Même si on en parle beaucoup depuis ces deux ou trois dernières années, l’apparition de ces partenariats amont est plus ancienne (l’Île-Saint-Denis ou Ivry-Confluences, par exemple, remontent à 2008 et 2006). Dans les faits, elle a correspondu à l’ouverture de l’aménagement au secteur concurrentiel. Cette convergence de calendrier laisse penser que l’arrivée des promoteurs dans l’aménagement a accéléré une prise de conscience chez les aménageurs : oui, les promoteurs ont les capacités d’intervenir plus tôt qu’ils ne le font habituellement. Ces partenariats amont apparaissent surtout comme une piste possible pour palier la diminution des finances publiques, de plus en plus sensible : nécessité de trouver de l’argent ailleurs ou de ne pas en dépenser. Cette contrainte financière se combine avec la prise de conscience de la révolution environnementale, notamment énergétique, avec un maître mot : la « mutualisation » entre bâtiments. Production énergétique et stratégie de stationnement en particulier sont désormais appelées à être pensées à l’échelle du quartier. Une autre prise de conscience est celle d’une accélération des mutations, qui incite collectivités et aménageurs à vouloir produire du projet urbain plus rapidement (ce qui correspond aussi à un gain financier) et à s’adapter à la montée des incertitudes en étant davantage en prise avec les usagers des lieux in fine. La fabrique urbaine est dès lors repensée pour que ses séquences successives soient à la fois condensées (gain de temps) mais aussi « tuilées » (pour un meilleur ancrage opérationnel du projet). Ces tendances de fond qui expliquent le développement des partenariats amont se retrouvent déclinées, évidemment de manière plus précise, dans les finalités recherchées par chaque partenariat. Au risque d’être un peu schématique (les partenariats sont le plus souvent une combinatoire d’objectifs multiples), les principales motivations des partenariats que nous avons analysés sont les suivantes : permettre le préfinancement de l’opération (Ivry-Confluences) ; convaincre de l’attractivité commerciale du site (Louvres-Puiseux et Ivry-Confluences) ; permettre une meilleure anticipation et conception des sujets à l’interface entre l’échelle du quartier et l’échelle du bâtiment, notamment sur le stationnement ou l’énergie (Docks Saint-Ouen, l’Île-Saint-Denis) ; tester des formes urbaines inédites, comme une mixité habitat-activités (Ardoines, l’Île-Saint-Denis) ; envisager des modalités de participation des habitants à la conception des espaces (l’Île-Saint-Denis). Il peut aussi s’agir de faire payer les études préopérationnelles par les promoteurs, de permettre une réalisation plus rapide de l’opération ou encore d’optimiser les montants de charge foncière par une réduction des risques des promoteurs. Comprendre et identifier précisément les finalités recherchées du partenariat est assurément une des conditions clés de sa réussite. De cela dépend le choix pertinent du moment d’intervention du (des) promoteur(s), des règles de sélection du (des) promoteur(s) et des sujets sur lesquels on lui demande d’intervenir.

Des approches sur-mesure

On pourrait presque dénombrer autant de types de partenariats qu’il existe de projets : les contours se dessinent sur mesure en fonction des enjeux de l’opération, et s’articulent autour de quelques points clefs. Souvent, on retrouve les mêmes étapes dans les dispositifs partenariaux que dans la chaîne séquentielle classique mais elles n’interviennent pas forcément dans le même ordre 2. Par exemple, quand le promoteur est présent très en amont (parce qu’il est propriétaire, ou parce que tel bâtiment doit être livré très rapidement), l’étape de définition du projet à l’échelle du lot doit intervenir avant la définition du projet à l’échelle de l’opération. De même, la commercialisation d’un lot peut intervenir avant la conception définitive du plan-masse du lot. Ainsi, la séquentialité est plus ou moins fortement bousculée d’un partenariat à l’autre : elle l’est par exemple très peu dans le cas de Clichy-Batignolles puisque les opérateurs sont consultés sur la base de fiches de lots et peut l’être beaucoup plus, comme aux Ardoines ou à l’Île-Saint-Denis où les opérateurs interviennent alors que le découpage des lots n’a pas été réalisé (voire, pour l’Île-Saint-Denis, alors que l’aménageur n’est même pas désigné). Elle l’est également dans le cas d’Ivry-Confluences compte tenu du préfinancement des charges foncières qui a conduit les promoteurs à s’engager sur un prix et une quantité sans que soient précisément définies les limites du lot et les prescriptions architecturales, urbaines et environnementales.

Mais la séquentialité n’est pas le seul critère qui distingue un partenariat d’un autre. Selon les cas, les opérateurs sont appelés à intervenir à l’échelle de l’opération, et pas seulement du lot. Cela peut être le cas sur certains positionnements programmatiques (volume et localisation) comme à l’Île-Saint-Denis où la jauge et la situation des commerces a été longuement discutée entre la communauté d’agglomération, l’aménageur et les opérateurs. Cela peut aussi être le cas sur certains sujets transverses, et notamment l’énergie et le stationnement ; à l’Île-Saint-Denis toujours, la stratégie de stationnement et ses montages administratifs et financiers associés ont été ainsi travaillés pendant plus d’une année entre l’aménageur et le groupement de promoteurs ; sur les Docks Saint-Ouen, les enjeux de stationnement mutualisés ont été à l’origine du choix du partenariat. Ainsi, les prescriptions architecturales, urbaines et environnementales peuvent être élaborées par l’aménageur avec l’appui du promoteur. Cette intervention du promoteur à l’échelle de l’opération peut se faire de manière étroite sur un sujet, ou bien sur un grand nombre de sujets (comme sur l’Île-Saint-Denis).

Inversement, on constate une intervention de l’aménageur à l’échelle du lot : les modalités de désignation de l’architecte sont de plus en plus souvent discutées avec l’aménageur, ce qui est logique puisque si la règle est moins forte en amont, il faut aussi que l’aménageur puisse intervenir en aval. De même, sur Clichy-Batignolles, une forte dimension partenariale a été introduite pour l’élaboration de l’esquisse architecturale 3.

La présence d’un partenaire promoteur unique ou au contraire de plusieurs opérateurs est un facteur qui fait varier fortement la nature du partenariat. Il est rare, dans les faits, qu’un opérateur unique soit désigné partenaire à l’échelle d’un projet urbain. La configuration d’un promoteur partenaire unique présente certains avantages notamment pour la réalisation commune d’études amont. À l’inverse, un aménageur peut, en multipliant les partenaires, diversifier les compétences (comme aux Ardoines où l’Epaorsa a fait appel à la fois à des promoteurs spécialisés en activités/logistique ainsi qu’à des opérateurs généralistes). Et l’inscription d’un partenariat exclusif sur le long terme pose de vraies difficultés comme l’illustre notamment le cas de l’Île-Saint-Denis. En termes de mise en oeuvre temporelle, on peut observer que selon la séquence au cours de laquelle les promoteurs sont désignés et selon l’échelle sur laquelle ils sont amenés à intervenir, ces partenariats peuvent s’inscrire sur des temps relativement classiques d’opération (c’est le cas de Clichy-Batignolles dont la spécificité est l’ajout de 6 mois d’ateliers préalables) ou au contraire extrêmement longs, soit parce que l’opération prend du retard (c’est le cas de l’Île-Saint-Denis où le concours à destination des promoteurs est lancé en 2006 et les chantiers n’ont pas démarré à l’heure où nous écrivons cet article) soit parce que le contrat aménageur-promoteur est d’emblée prévu sur un temps long (comme à Ivry-Confluences où le protocole général d’accord signé en mars 2009 prévoit trois phases d’intervention, la dernière s’échelonnant de 2018 à 2022… et sera bien sûr probablement revu). La combinaison de ces différents critères permet d’esquisser un début de typologie :

Premiers retours…

Sans doute est-il possible aujourd’hui d’esquisser un premier bilan de ces partenariats. Mais sur quels critères apprécier leur réussite ? Sur la base de la qualité des réalisations ? Des gains de délais ou du coût global de l’opération ? Plus sûrement, on ne devrait pouvoir mesurer le succès d’un partenariat aménageur/promoteur qu’à l’aune des objectifs qui lui avaient été fixés. Dans bien des cas cependant, ces objectifs n’ont pas été formalisés. En outre, si les partenariats sont initiés pour certaines raisons, d’autres intérêts au partenariat apparaissent souvent chemin faisant. À ce stade, on se contentera donc d’observer quelques succès à l’arrivée, notamment en matière de qualité architecturale et de produits : chambre d’amis mutualisée sur Clichy-Batignolles, ateliers à rdc à l’Île-Saint-Denis, parkings mutualisés sur les Docks Saint-Ouen et l’Île-Saint-Denis. Mais il semble que ce sont surtout les relations entre partenaires, i.e. le partenariat lui-même, qui pourraient être améliorées. D’un côté, les aménageurs ont tendance à trouver trop faible l’implication des promoteurs, et à regretter le manque de créativité de leur part : tant en termes de produits, que de financements, montages et modalités de commercialisation. Ils regrettent aussi les bilans insuffisamment transparents et la lenteur du processus. De l’autre côté, les promoteurs déplorent le fait que les aménageurs aient tendance à considérer comme gratuits la matière grise et le temps passé. Ils regrettent aussi un processus de travail non suffisamment cadré, des objectifs pas assez clairs, des injonctions contradictoires données par la collectivité, le non respect des engagements et du calendrier.

Parfois même, certains aménageurs oublieraient qu’il leur appartient de définir un véritable projet urbain, et que c’est sur cette base seulement que peut se construire un partenariat pertinent avec les promoteurs. Ainsi, le contrat promoteur-aménageur est souvent non abouti du fait de règles du jeu insuffisamment clarifiées. Surtout, on peut craindre que cette tendance ne s’aggrave avec l’effet de mode que nous évoquions en introduction. En attendant d’établir un premier bilan détaillé, l’analyse des partenariats amont qui ont été menés jusqu’à présent nous permet surtout d’esquisser quelques recommandations en termes de méthodologie.

…et enseignements méthodologiques

Nous proposons une méthodologie en trois étapes : la définition des enjeux de l’opération ; la définition des finalités du partenariat ; la détermination des règles du jeu du partenariat.

Partir des enjeux propres à l’opération…

Définir les motivations qui peuvent inciter un aménageur à lancer un partenariat amont apparaît comme une nécessité compte tenu des enjeux que cela va avoir sur la mise en œuvre du partenariat. Pour cela, il convient de partir des enjeux de l’opération, qui sont évidemment spécifiques d’une opération à l’autre. La grille d’analyse suivante peut ainsi être utilisée (voir tableau 1).

… pour identifier le(s) besoin(s) d’un partenariat amont promoteur(s)-aménageur …

C’est de cette compréhension fine des enjeux propres à l’opération que découlera l’identification des motivations prédominantes de l’aménageur à vouloir établir un partenariat amont avec des promoteurs (voir tableau 2). Chacune de ces finalités peut ensuite être déclinée ainsi :

• Financement du projet :

• Innovations à l’échelle du quartier :

• Innovations à l’échelle du lot :

• Rapprocher les usages :

… puis les règles du jeu du partenariat

Une fois les motivations prédominantes identifiées, l’aménageur devrait pouvoir répondre aux questions suivantes : à quel moment est-il pertinent que je fasse intervenir le(s) promoteur(s) ? Ai-je intérêt à retenir un ou plusieurs promoteurs ? Sur quel(s) critère(s) ai-je intérêt à sélectionner le(s) promoteur(s) ? De cette dernière question découlera la suivante : la charge foncière doit-elle être fixée par l’aménageur ou proposée par les promoteurs ? ou correspondre à une formule intermédiaire (montant minimum pouvant évoluer à la hausse) ?

Si la motivation prédominante est la valorisation foncière maximale, les critères de sélection du promoteur ne seront pas les mêmes que si la motivation principale est de trouver un partenaire avec qui concevoir des formes urbaines et programmatiques singulières. En outre, dans le premier cas, la sélection est d’abord un appel à charges foncières tandis que dans le second, l’aménageur peut fixer lui-même les montants de charge foncière. Selon les cas, l’aménageur gagne à s’entourer d’abord de promoteurs d’une certaine taille et dont la solidité financière n’est plus à prouver tandis que dans d’autres, le critère de sélection peut être la capacité du promoteur à s’entourer de partenaires variés et à produire des réalisations singulières.

Un challenge : cadrer le risque promoteur alors que le projet est encore peu défini

Toute la difficulté de ces partenariats amont est de baliser les règles du jeu alors que la chose (le projet) et le prix (la charge foncière) ne sont pas définis… Et pour cause puisque, précisément, ces partenariats reviennent toujours in fine à préciser le projet (et ses équilibres financiers) en amont. Un sujet clef est évidemment celui de la fixation de la charge foncière. Car même lorsque la charge foncière est fixée par l’aménageur ou a été préalablement arrêtée entre l’aménageur et le promoteur, celle-ci est en réalité amenée à être rediscutée lorsque les conditions du projet ont changé. Et c’est presque toujours le cas.

Ainsi, à l’Île-Saint-Denis, les charges foncières étaient fixées mais la stratégie de stationnement ayant évolué (le stationnement était initialement prévu en infrastructure sous bâtiment, donc compris dans le calcul initial de la charge foncière, pour être finalement conçu en silo, de façon foisonnée et mutualisée), il a fallu trouver un arbitrage financier pour s’adapter à cette nouvelle donne.

À Ivry-Confluences, les charges foncières étaient fixées mais le marché du logement s’étant avéré plus porteur que prévu, l’aménageur a souhaité revoir les montants négociés initialement. Pour que le promoteur s’implique réellement dans le partenariat, son risque doit être cadré. Pour mémoire, les principaux risques pour le promoteur, dans ces opérations partenariales sont les suivants : avoir des fonds immobilisés très longtemps ; être susceptible de sortir du jeu à tout moment ; être amené à faire des dépenses imprévues et à dégrader ainsi son bilan ; ne pas réaliser l’opération car celle-ci était en fait peu maîtrisée par l’aménageur (coûts de dépollution trop importants pour l’aménageur, expropriation foncière complexe etc.) ; être soumis à des règles de commercialisation difficilement finançables. Que gagne le promoteur quand la chose et le prix ne sont pas définis ? Le droit de participer ? Pour arriver où in fine ? Être exclu du jeu à tout moment ? La problématique est : encadrer les curseurs susceptibles de varier en matière de projet et de prix et définir les conditions susceptibles de provoquer la sortie de route du promoteur.

La seule façon de relever ce défi, nous semble-t-il, est de fonder le partenariat sur un impératif de transparence et de confiance. Concrètement, cela signifie qu’il faille pousser la logique partenariale jusqu’au bout c’est-à-dire en ouvrant totalement les bilans et en acceptant certains curseurs qui ne seront plus négociés par la suite (notamment la marge du promoteur) 4. Trop de partenariats s’enlisent dans une défiance de l’aménageur vis-à-vis du promoteur parce que les règles de bilan ne sont pas totalement clarifiées et montrées. Il ne serait pourtant pas très compliqué de s’entendre sur les invariants du bilan et d’identifier ainsi les curseurs qui peuvent être actionnés. Aux partenaires de poser d’emblée les invariants : la marge minimale sous laquelle le projet n’est plus finançable ? Les honoraires de maîtrise d’oeuvre ? Les tarifs de la garantie financière ?… et ce qui reste comme leviers disponibles : la charge foncière ? Le coût de construction ? Alors, les deux parties gagneraient un temps précieux, trop souvent perdu aujourd’hui dans des négociations sans fin, par manque de transparence des règles du jeu. Travailler à bilan ouvert est possible, à condition d’aller jusqu’au bout de la logique. L’analyse des partenariats qui ont été organisés jusqu’à présent montre que ceux-ci doivent être précisément structurés pour être constructifs. Cette structuration repose sur une explicitation des enjeux du projet lesquels permettront de cerner les objectifs du partenariat pour pouvoir ensuite poser les règles du jeu de ce partenariat. Ces trois étapes successives sont indispensables mais pas forcément évidentes : elles exigent de prendre une certaine hauteur ou distance par rapport au travail de gestion quotidienne d’une opération.

Au-delà, il y a un autre défi, plus profond, car plus culturel : c’est admettre que dans l’expression « partenariat amont aménageur-promoteur » c’est le terme « partenariat » qui est important. Pour être partenaire, il faut marcher dans le même sens, poursuivre un objectif commun. Or, il existe un jeu de rôle manichéen, et assez français, entre acteurs privés et publics, avec les premiers qui ne chercheraient qu’à maximiser leur profit tandis que les seconds seraient par essence garants de l’intérêt général. Il ne nous appartient pas ici de juger de la pertinence de cette lecture mais il est certain qu’il est nécessaire de dépasser ce jeu de rôle pour pouvoir poser les bases d’un vrai partenariat. Dépasser cette vision passe non seulement par une claire définition des règles du jeu, peut-être par une plus grande porosité (notamment via les parcours professionnels) entre aménageurs et promoteurs, et en tout cas par une véritable compréhension de l’intérêt commun que promoteurs et aménageurs ont à travailler ensemble. Dans un premier temps, ces partenariats gagneraient sans doute à être outillés d’une forme de médiation : en effet, on observe régulièrement des partenariats amont qui s’enlisent, et parfois même qui ne vont pas jusqu’au bout. Voilà un constat un peu paradoxal pour une démarche supposée favoriser une fabrique urbaine plus intégrée, donc plus rapide. Un tiers faciliterait bien souvent une objectivation plus rapide des enjeux et des points de blocage.

Mais il y a sans doute un autre enjeu : à l’image de l’Appel à manifestation d’intérêt (AMI) XXL lancé cet automne par Euroméditerranée à Marseille, une nouvelle forme de partenariats amont apparaît. Celle-ci vise de fait à répondre à la complexité qui naît de la révolution numérique et de ses conséquences sur les modes de production et de gestion : place plus importante prise par l’usager-habitant-consommateur et plus grande hybridation technique entre les secteurs (croisements plus importants notamment entre l’immobilier, l’énergie, le numérique, les déchets). Comme dans les partenariats amont que nous avons analysés, les opérateurs sont de fait associés à la définition de la fiche de lots qui leur sera imposée. Mais, le partenariat glisse vers l’aval et passe d’un partenariat entre aménageur et promoteurs à un partenariat qui s’établit d’abord entre opérateurs, avec un double élargissement : élargissement dans la nature des opérateurs (aux côtés des promoteurs, on trouve des énergéticiens, entreprises de BTP, entreprises de services urbains, starts-ups et, de manière générale, les nouveaux entrants de la fabrique des projets urbains…), et élargissement dans l’échelle du lot (l’échelle d’intervention de l’opérateur privé est ainsi passée de la parcelle au macro-lot et concerne maintenant plusieurs îlots, comme l’îlot qui, à Marseille qui développe 250 000 m2 de surface de plancher sur 14 hectares).

Faire en sorte que les collectivités et les aménageurs puissent continuer à maîtriser cette fabrique de la ville de plus en plus partenariale et complexe, tel est le prochain défi, passionnant, de la fabrique urbaine.

1 On définit la fiche de lot comme un outil du projet urbain,traditionnellement annexé à la promesse de vente signée avec le promoteur ; elle formalise les exigences de compositions spatiales et programmatiques d’un lot.

2 Cf. également « Vers la privatisation du projet urbain ? Les nouvelles relations aménageurs-promoteurs, ou les recompositions de la chaîne de l’immobilier », Isabelle Baraud-Serfaty, Actes pratiques et ingénierie immobilière, janvier-février-mars 2014

3 Méthode inventée pour le projet Clichy-Batignolles, à la fois pour la maîtrise de l’image architecturale et pour composer avec les contraintes de grande densité du projet urbain. Méthode racontée notamment dans l’ouvrage de Frédérique de Gravelaine, L’Atelier des Batignolles. Une nouvelle fabrique de la ville, Gallimard, Alternatives, 2014, 161 p.

4 Certains partenariats commencent du reste à l’envisager (par exemple dans le cas des dialogues entre la Fab et les promoteurs autour des « 50 000 logements », dans le cadre desquels les promoteurs devaient remplir un bilan type très détaillé).

Sources