La difficile mobilisation des terrains publics. Fallait-il passer par la loi ?
mayo 2015
La Revue Foncière / Association Fonciers en débat
Devant le manque de terrains pour réaliser des logements, une « loi de mobilisation du foncier public » a été votée en janvier 2013. Cette loi visait à faciliter la construction de logements sur des terrains publics. Cependant, après deux années de mise en application, au vu de la complexité des mécanismes mis en oeuvre et des résultats obtenus, on est en droit de se demander si cette loi apporte une réelle avancée. N’est-elle pas plutôt source de complication et de restriction ? D’où une proposition radicale : sa suppression.
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La difficile mobilisation des terrains publics. Fallait-il passer par la loi ?
La loi no 2013-61 du 18 janvier 2013 (dans son titre Ier) permet à l’État 1 de vendre ses terrains « bâtis ou non » à un prix inférieur à leur valeur vénale, dès lors qu’ils sont cédés en vue de permettre la réalisation d’un programme comportant essentiellement des logements, dont une part de logements sociaux (ou assimilés, au sens de cette loi). Une promesse de campagne, l’engagement n° 23 du candidat François Hollande, est à l’origine de cette loi : « Je mettrai gratuitement à disposition des collectivités locales les terrains de l’État qui sont disponibles pour leur permettre de construire de nouveaux logements dans un délai de cinq ans. » 2 Cette promesse n’était pourtant pas réalisable en l’état, car non constitutionnelle. En effet, le principe de préservation de la propriété publique interdit de la céder à vil prix. L’État ne peut consentir une cession en deçà de la valeur vénale du bien (c’est-à-dire sa valeur de marché) que si l’acquéreur poursuit un but d’intérêt général et s’il existe des contreparties appropriées ainsi que des garanties de réalisation. Pour essayer d’approcher l’objectif de mise à disposition gratuite des terrains, le gouvernement a donc décidé de passer par une loi. Porté par la ministre Cécile Duflot, ce dispositif est ordinairement désigné dans l’administration comme « la décote Duflot ». La loi du 18 janvier 2013 reprend donc l’esprit du principe constitutionnel, en conditionnant le bénéfice d’une décote, à un engagement de l’acquéreur à réaliser un certain programme social. En deux articles législatifs et quatorze articles réglementaires (issus du décret du 15 avril 2013), reprennent largement les éléments juridiques préexistants. On y trouve principalement : la manière de calculer ladécote appliquée à la valeur vénale, le rôle des différents services de l’État impliqués, les pièces à fournir par l’acquéreur sollicitant la décote, les engagements que celui-ci prend (traduits dans une convention à annexer à l’acte de vente), les sanctions à appliquer en cas de non-respect des engagements.
Si l’objectif est louable – vendre des terrains à un prix permettant la réalisation de logements sociaux – tout cet édifice juridique manque pour le moins de simplicité. Plus ennuyeux, ces textes corsetant les pratiques de cession de l’État, sont dans certains cas d’application difficile, parfois même ils rendent impossibles la réalisation du projet…
Les difficultés d’application de la loi Duflot
La « décote Duflot » présente en effet un certain nombre de difficultés d’application, notamment dues à des imprécisions dans le vocabulaire utilisé. Par exemple, la loi mentionne les programmes de constructions. Ce terme de construction, repris logiquement dans le décret (« opérations de construction de logements »), rend alors impossible l’application d’une décote dans les cas de réhabilitation. « L’acquisition-amélioration 3 » d’un logement vétuste pour en faire un logement social est pourtant une opération qui présente généralement de nombreux intérêts, à la fois sociaux (création de logement financièrement abordable), urbains (transformation d’un bâti dégradé) et environnementaux (amélioration des performances énergétiques du logement), ainsi que l’explique le rapport rendu par la Commission nationale de l’aménagement,de l’urbanisme et du foncier 4. De plus, les textes fixent des contraintes précises qui rendent impossibles certaines opérations. Par exemple, la décote ne peut s’appliquer que si le programme de construction comporte au moins 75 % de surface de plancher destiné au logement. Ce nombre de 75 % est la traduction chiffrée, par le décret, du terme « essentiellement » contenu dans la loi. Il n’est pourtant pas rare que l’on veuille réaliser des opérations mixtes avec des locaux commerciaux ou des équipements publics, surmontés de logements, car cela est souvent intéressant d’un point de vue urbain. Il faudra alors, dans un cas pareil, pour bénéficier de la décote, « tordre » le programmepour rentrer dans les contraintes fixées par les textes. Pourtant, quelle est la différence de nature entre une opération comportant 80 % ou 60 % de surface de plancher destinée au logement ? En outre, la loi s’est aventurée dans des détails qui ne relèvent pas du niveau législatif. Elle a bâti un édifice alambiqué qui complique sa mise en application et la rend peu lisible. Par exemple, l’article L.3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques indique qu’une décote peut être appliquée pour la part du programme dont l’objet est la construction d’équipements publics destinés en tout ou partie aux occupants des logements sociaux à construire, à condition que l’on se place dans le cadre d’une décote « de droit » – c’est-à-dire lors de la vente de terrains figurant dans une liste régionale arrêtée par le préfet de région, à certains types d’acquéreurs –, et que la commune sur laquelle se trouve le terrain ne fasse pas l’objet d’un constat de carence. La décote ainsi consentie est alignée sur la décote allouée pour la part du programme consacrée aux logements sociaux. Un telniveau de détail ne relève assurément pas de la loi.
Selon la formule consacrée, le décret qui a « fixé les modalités d’application » de la loi, a produit une usine à gaz qui se prête bien peu aux opérations se réalisant sur un foncier multi-propriétaires, aux mises en concurrence (pourtant la procédure de base pour les terrains appartenant à l’État), aux opérations faisant l’objet de protocole foncier entre propriétaires. Tout cet arsenal juridique est compliqué à appréhender par les acteurs (acquéreurs ou services de l’État chargés de vendre) et présente de nombreuses difficultés d’application. En contrepartie de ces inconvénients, la loi de 2013 constitue-t-elle une avancée par rapport aux textes antérieure ?
Une loi qui complique et restreint
Avant cette loi, deux régimes de décote coexistaient : une décote 5 plafonnée à 25 % ou 35 % et une décote dite « Jourdain » 6. L’ancienne rédaction de l’article L.3211-7 prévoyait qu’une décote pouvait être appliquée à la valeur vénale, et l’article R.3211-15 plafonnait cette décote à 25 % (ou 35 % en zone tendue). Comme l’indique l’étude d’impact 7 de la loi Duflot, « il n’existe pas aujourd’hui de suivi systématique de l’application du régime de la décote aux cessions de biens de l’État en faveur du logement. » Le recours à cette décote semble bien peu fréquent ; l’étude d’impact ne cite que deux cas d’utilisation. L’autre pratique, la « décote Jourdain », consistait à déterminer le prix de vente du bien immobilier en effectuant un compte-àrebours dans lequel il était tenu compte de la minoration des recettes liées à la présence de logements sociaux dans le programme. Cette pratique était explicitement recommandée par une circulaire de 2009 8, qui indiquait notamment : « Lorsqu’un programme comporte des logements locatifs sociaux, l’évaluation domaniale devra intégrer, au prorata de la part de ces logements dans le programme, une charge foncière définie localement pour ce type de produit, au vu des opérations comparables réalisées récemment sur la commune au cours des années récentes et de la pertinence du plan de financement annoncé pour l’opération concernée. »
Cette pratique avait ceci d’intéressant qu’elle permettait de vendre à un juste prix, rendant économiquement viable l’opération. De plus, le souci de contreparties appropriées et de garanties de réalisation évoqué plus haut était pris en compte : « L’acte de cession doit contenir expressément les éléments de l’accord conclu avec la commune sur le programme de construction de logements (dont un nombre de logements sociaux précis). […] Tous les actes doivent intégrer une clause d’intéressement aux plus-values en cas de dépassement des surfaces de logement et d’activités construites par rapport à celles initialement prévues ou en cas de variation des catégories de logement par rapport à celles initialement envisagées. » Dans la pratique cette solution semble avoir été la plus fréquemment utilisée, bien qu’il soit impossible de le quantifier 9. La « décote Duflot », à travers la loi du 18 janvier 2013 qui modifie substantiellement l’article L.3211-7, vient se substituer à la décote à 25 % ou 35 %. Mais la coexistence avec la « décote Jourdain » semble plus difficile. En effet, si la « décote Jourdain » pouvait toujours se pratiquer, la « décote Duflot » serait quasiment inutile, ou tout au moins peu utilisée. L’acquéreur potentiel n’aurait pas d’intérêt particulier à rentrer dans un formalisme contraignant, pour une décote difficile à calculer, qui de plus ne peut s’appliquer que dans certains cas de figure. Au lieu de cela, il proposerait un prix étayé par un bilan d’opération, et demanderait l’application de la « décote Jourdain ». Cela ne l’exonérerait pas d’engagements (cf. extraits de la circulaire du 15 juillet 2009) mais rendrait tout le processus de contractualisation plus souple. Dans les faits, la « décote Jourdain » est bel et bien supprimée. Tel est en tout cas l’interprétation des administrations centrales, interprétation rappelée dans une circulaire récente 10 : « Seuls deux mécanismes de cession seront en effet possibles : la cession à la valeur vénale du bien ou la cession à un montant décoté, le montant de décote étant alors déterminé obligatoirement selon les règles présentées dans cette instruction et conformément à la loi du 18 janvier 2013. » Si cette interprétation est compréhensible dans l’optique de soutenir la « décote Duflot », elle l’est moins quand on considère que les éléments fondamentaux des textes juridiques étaient les mêmes en 2009, lorsqu’a été publié la circulaire du 15 juillet préconisant le recours à la « décote Jourdain ». En effet, les mêmes formulations apparaissaient déjà : « L’aliénation des terrains du domaine privé de l’Etat […] peut être consentie à un prix inférieur à la valeurvénale […] par application d’une décote dans les conditions prévues aux articles [etc.] »
Ainsi, la loi du 18 janvier 2013 et l’interprétation qui en est faite, en érigeant le nouveau mécanisme de décote comme seule solution pour vendre à un prix inférieure à la valeur vénale, est venue compliquer le processus de cession des biens immobiliers de l’État (et des établissements publics) en faveur de la réalisation de logements. Plus grave, ce nouveau mécanisme restreint les possibilités de décote, qui étaient auparavant plus souples, et de ce fait plus adaptées à la diversité des situations rencontrées.
La simplification, c’est maintenant
Au final, la situation actuelle est marquée par une loi compliquée, qui mobilise inutilement les administrations de l’État, qui alourdit les démarches des acteurs souhaitant développer du logement, et qui présente des zones de flous juridiques ainsi que des difficultés d’application. Cette situation est d’autant plus regrettable que cette loi a été élaborée dans un contexte marqué par la volonté de… simplifier les normes. Devant une situation où une pratique souple et adaptée (la « décote Jourdain ») avait pris le pas sur une réglementation inadaptée et donc peu utilisée, la loi du 18 janvier 2013 a pris le parti de réactiver et renforcer la réglementation inadaptée (déplafonnement de la décote certes, mais augmentation du nombre de contraintes). Pourrait-on tirer tous les enseignements de cette situation et procéder à la suppression de tous ces articles législatifs et réglementaires inutiles ? Une telle simplification donnerait-elle le moindre coup de frein à la mobilisation du foncier public ? Certainement pas. Il s’agit d’un mal bien français. Nous croyons qu’une politique publique a toujours besoin d’être mise en oeuvre par une loi détaillée, alors que cela relève bien plus d’une volonté gouvernementale, mettant les acteurs en mouvement. Au lieu de consacrer leur énergie à analyser les textes, à tenter de les comprendre, à intégrer leurs diverses subtilités des dispositifs juridiques, une telle simplification permettrait aux acteurs de dégager un peu de temps pour faire avancer les projets.
1 Et certains établissements publics.
2 Engagement numéro 23, « Le changement c’est maintenant. Mes 60 engagements pour la France », Le projet présidentiel de François Hollande pour l’élection de 2012.
3 Terme employé par les bailleurs sociaux et l’État pour désigner ces opérations consistant à acquérir et réhabiliter (parfois lourdement) des logements du parc privé pour les transformer en logements sociaux.
4 Le rapport de la commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier – sans aucun doute le meilleur document pour avoir une analyse détaillée de la mise en oeuvre du dispositif de mobilisation du foncier public en faveur du logement – indique que « certaines rédactions des textes législatifs ou réglementaires ont posé des problèmes d’interprétation ». Une analyse détaillée et une proposition d’évolution législative sont faites sur ce point spécifique des réhabilitations.
5 Déjà codifiée au L.3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.
6 Nom donné depuis peu par certains fonctionnaires à cette précédente pratique où l’on vendait avec décote sans parler de décote.
7 « Projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social – Étude d’impact », novembre 2012.
8 Circulaire du 15 juillet 2009 relative à la poursuite du programme national 2008-2012 de cession du foncier public en faveur de l’aménagement durable et du développement de l’offre de logement.
9 Notons qu’un plan local d’urbanisme imposant un taux de logements sociaux implique une valeur vénale calculée par cette méthode. Il n’y a alors plus de décote, puisqu’il s’agit de la valeur de marché du bien, compte tenu des servitudes qui pèsent dessus.
10 Instruction N° DGOS/PF1/2015/104 du 1er avril 2015 relative aux modalités du processus de cession avec décote d’un terrain du domaine privé des établissements publics de santé (EPS) en application de la loi no 2013-61 du 18 janvier 2013 sur la mobilisation du foncier public pour la réalisation de logement social.