Gouvernance, la pluralité des acceptions
Une notion parfois convoquée pour rendre compte de réalités opposées
Claude Jacquier, 2010
La notion de gouvernance est fréquemment utilisée, et dans des sens fort variés, par les spécialistes des relations internationales, par les experts des systèmes politico-administratifs, par des politologues, des sociologues et des économistes. Sous le qualificatif de «bonne gouvernance», elle est même devenue un label distribué par les organisations internationales.
Multiplicité des utilisateurs et multiplicité des usages, donc multiplicité du sens et des définitions possibles, la notion de gouvernance est parfois convoquée pour rendre compte de réalités opposées. Par exemple chez certains économistes[[COASE, Ronald.H (1991).- The Nature of the Firm.- in «The nature of the firm : origins, evolution and development» edited by Oliver E. Williamson, Sidney G. Winter, New York : Oxford University Press, 235 p.]], promoteurs de cette notion il y a quelques décennies, elle qualifie les modes de coordination d’une entreprise lui permettant d’échapper aux coûts de transaction que lui impose le marché. Sous la formulation «corporate governance», gouvernance d’entreprise, elle est apparue dans les années quatre-vingt-dix lors de la révélation des nombreux scandales financiers (cf. Enron) pour réaffirmer la nécessité d’un contrôle des mandants (les actionnaires) sur les mandataires (les instances de management). Dans son usage plus récent par les politologues, elle désigne une action publique qui déploie des formes de partenariat public-privé afin de mieux intégrer les mécanismes du marché (voir en particulier les sociétés à capital mixte, les délégations et concessions de services publics, etc ). Bref, la gouvernance, notion commune à plusieurs disciplines ne désigne pas forcément la même réalité, le même objet de recherche et ne donne donc pas naissance à une définition stricte partagée et adoptée par tous.
Pour la science politique, la sociologie, voire la géographie et l’urbanisme, disciplines qui nous intéressent plus particulièrement ici, la notion de gouvernance qualifie un processus de transformation et de recomposition des modes d’action publique mettant en jeu la construction de mécanismes de régulation des acteurs au sein des sociétés locales. Le succès de cette notion se manifeste en accompagnant deux mouvements concomitants : d’une part, un retrait relatif des pouvoirs centraux et des formes traditionnelles de gouvernement et, d’autre part, une montée en puissance des collectivités territoriales et de leurs instruments (sociétés d’économie mixte, agences, etc.), au sein des régions et notamment des grandes villes, d’où la notion de gouvernance urbaine. Cette notion qui souvent s’articule et parfois s’oppose aux modes traditionnels de gouvernement (centralisés, hiérarchisés, descendants «top-down», procéduraux) postule et parfois promeut une approche fondée sur des réseaux d’action publique et des mécanismes de coopération, de régulation, voire d’intégration dans des systèmes et dispositifs d’action d’une large diversité d’acteurs publics et privés (systèmes polycentrés, réticulaires, horizontaux, transversaux, processuels, ascendants «bottom-up»)
Dans cette dernière formulation intégrative, la gouvernance est à rapprocher de la première définition donnée par les économistes en matière de coûts de transaction. Mais alors qu’il s’agit pour eux, grâce aux entreprises, de créer un espace à l’abri des coûts de transaction, pour les autorités publiques, il s’agit, au contraire, de nouer précisément des relations avec d’autres acteurs présents sur les marchés (cf. partenariat public-privé). La perspective est bien une meilleure coordination des acteurs publics et privés qui opèrent de manière relativement autonome sur un territoire et dans des champs de contraintes qui leur sont propres. Cette intégration est souvent l’objectif poursuivi par les nouvelles politiques urbaines, politiques partenariales, transversales et territoriales qui cherchent à dépasser la traditionnelle sectorisation de l’action publique ainsi que les logiques bureaucratiques et corporatistes qui la caractérise. Ces politiques visent la coproduction de la ville par les acteurs urbains, quels qu’ils soient. Il faut mentionner toutefois que peu nombreuses sont les définitions politiques de la gouvernance qui font explicitement référence aux mécanismes démocratiques malgré ce qui est suggéré par les économistes (contrôle des mandataires par les mandants, contrôle et régulation des pouvoirs et des intérêts potentiellement en conflit).
Esquissons une définition large de la gouvernance permettant de regrouper différentes variations sur ce thème. La gouvernance serait la constitution délibérée de coalitions formelles ou informelles d’intérêts ou d’acteurs divers visant à assurer la fourniture de biens et de services qui ne pourrait l’être par l’action indépendante d’acteurs isolés. Elle suppose de nouveaux modes de décision à diverses échelles, fondés sur des relations multilatérales entre acteurs dans des contextes organisationnels perçus comme étant de plus en plus complexes et fragmentés. Une telle définition devrait donc faire toute sa place à la dimension démocratique représentative, participative ou encore, tel que nous le suggérons dans cet article,… contractuelle.
Sources
-
Communication de Claude Jacquier présentée lors du colloque « Vers une Nouvelle Gouvernance des Territoires » organisé le 15 septembre 2008 à Reims par J-M Beaupuy, président de l’intergroupe Urban-Logement au Parlement européen.