Le périmètre pertinent, gage d’une planification effective ?
Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012
En l’an 2000, au moment de l’élaboration de la loi Solidarité et renouvellement urbains, le législateur est parti d’un postulat simple : si les outils de planification doivent être rénovés, il faut, dans le même temps, avoir des garanties sur la mise en œuvre d’une planification stratégique à l’échelle des bassins de vie. C’est pourquoi, une disposition législative prévoit que la constructibilité est limitée dans les communes non comprises dans le périmètre d’un schéma de cohérence territoire (SCOT), dans un rayon de 15 kilomètres autour des villes de plus de 50 000 habitants.
Les trois cas de Caen, Dijon et Montpellier montrent comment les territoires ont pu se saisir de cette question. Compte tenu du caractère très conflictuel de la naissance de la communauté d’agglomération de Montpellier, le combat pour un périmètre « large » de SCOT n’a pas eu lieu, plus par épuisement des acteurs locaux dans les querelles territoriales que par absence d’enjeux. Certaines intercommunalités périurbaines ont même réussi à imposer des SCOT de canton (SCOT du Pays de l’Or et SCOT de Lunel), signe que, même avec un nouveau président depuis 1999 (André Vezinhet, socialiste, ancien adjoint de la ville de Montpellier, conseiller général d’un quartier populaire de la ville), le poids des oppositions institutionnelles entre département et agglomération est toujours aussi fort.
A Dijon ou à Caen, si les débats paraissent plus feutrés, la même opposition structurelle entre département et ville-centre s’exprime, parfois même plus facilement quand un différend politique s’y ajoute. Louis de Brossia, président UMP du Conseil Général, s’inquiète d’une mainmise de Dijon sur la Côte d’or … tandis que François Rebsamen, maire, président de la communauté d’agglomération et du syndicat mixte du SCOT, socialiste, se défend de toute volonté d’hégémonie. A Caen et Dijon, l’opposition se manifeste à de nombreuses reprises et se résout finalement par un accord politique : le maire de la ville-centre préside le syndicat mixte et peut l’étendre sur une large portion du département. Toutefois, afin de ne pas heurter les élus communaux périurbains, dont certains sont conseillers généraux, les droits de vote du périurbain sont nettement surévalués par rapport à leur son poids démographique : avec moins d’un tiers des habitants, les élus du périurbain ont 49 % des votes au syndicat mixte du SCOT de Caen. Avec près de 20 % des habitants, les élus du périurbain dijonnais ont plus de 50 % des droits de vote. Bref, à Caen et Dijon, les élus ont mis en place un « bon » périmètre, le périmètre large souhaité par le législateur, tandis qu’à Montpellier, c’est un périmètre restreint qui s’est mis en place.
Dans le cas de Montpellier, le SCOT présente un certain nombre d’innovations pour traduire localement les principes du développement durable et de la lutte contre l’étalement urbain. Le SCOT approuvé contient différents points remarquables. Tout d’abord, afin de renforcer l’urbanité de la ville existante, un principe de densité minimale est institué avec trois intensités variables selon la localisation des quartiers ou secteurs à urbaniser. Afin de renforcer la cohérence entre l’urbanisme et les transports, les secteurs à urbaniser sont localisés en fonction des projets d’extension du réseau de tramway. Par ailleurs, afin de penser la ville automobile et de s’éloigner d’une logique fonctionnaliste pour laquelle la vitesse automobile est une fin en soi, le document d’orientations générales du SCOT invite à « hiérarchiser et civiliser les espaces publics de voirie ». Ce dossier a été fortement salué par le ministère de l’Equipement puisque le principal artisan de la maîtrise d’œuvre, Robert Reichen a reçu le grand prix de l’urbanisme 2005.
Que se passe-t-il dans les deux aires urbaines où les périmètres sont, d’un point de vue géographique, plus pertinents ? Dans les deux cas, il semble que la consistance des règles édictées soit inversement proportionnelle à la pertinence du périmètre. Dans le cas de Dijon, c’est avec une célérité contenue que le SCOT se met en place. Difficulté technique - due à la lourdeur de la procédure - et faible empressement se conjuguent pour un tel résultat. Toutefois, avant même que ne soit produit un SCOT une première manière de travailler ensemble se met en place à travers un examen des différents plans locaux d’urbanisme (PLU). Une délibération cadre a été prise pour définir selon quels critères seront rendus les avis du syndicat mixte sur les PLU. La délibération reprend les grands principes de la loi Solidarité et renouvellement urbains. Sur ces bases, des avis sont donnés et il est important de noter que certains ne sont pas positifs, ce qui est une rare entorse au principe de gestion consensuelle des structures supra-communales.
A Caen, le cas est différent puisque l’enlisement paraît plus net qu’à Dijon. On peut souligner parmi les raisons qui expliquent cette langueur, la vigueur des oppositions politiques entre le Conseil Général et la ville de Caen puisque la naissance du SCOT a pâti de ces oppositions. De plus, les projets caennais ont souffert, entre 2001 et 2008, d’une opposition entre le président de l’intercommunalité, Luc Duncombe (UDF), et la maire de Caen et présidente du syndicat mixte du SCOT, Brigitte Le Breton (UMP). Les nouveaux principes de l’urbanisme sont également peut-être moins défendus par les professionnels locaux qui, vu la très intense périurbanisation caennaise, soulignent l’inadéquation entre le discours de l’Etat sur la lutte contre l’étalement urbain et la réalité territoriale.
Cet exemple montre finalement les limites du concept de « périmètre pertinent », même pour la planification territoire. En effet, si les périmètres caennais et dijonnais paraissent les plus pertinents, l’absence de leadership politique clair, notamment dans le cas de Caen, conduit à un processus extrêmement long pour la construction d’accords. Les structures « intercommunautaires » dont les représentants sont élus au troisième degré perdent en consistance ce que leur périmètre gagne en pertinence.
Sources
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Desjardins Xavier, « De la pertinence des périmètres à la consistance des politiques : le défi de la planification territoriale » in Boino Paul et Desjardins Xavier (dir.), Intercommunalité, territoire et politique, La documentation française, février 2009, pp. 65-86.